Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fois; ensuite il remercia la compagnie de lui avoir donné un plaisir auquel il ne s'attendait guère. Ce petit événement, qui fit du bruit par sa singularité, commença la révolution. Ce fut en 1716 que la voix des connaisseurs parvint jusqu'au Régent, qui était fait pour l'entendre, et qu donna ordre de jouer Athalie; elle eut quinze représentations suivies avec affluence et applaudies avec transport, et depuis elle s'est soutenue sur la scène avec le même éclat.

CHAPITRE IV.

Résumé sur CORNEILLE et Racine.

PLUSIEURS écrivains ont dit, et l'on a répété après eux que l'esprit factieux qui régna en France sous le ministère de Richelieu et pendant les troubles de la Fronde, avait déterminé le choix et la nature des sujets que Corneille a traités, et que la politesse et la galanterie qui dominèrent ensuite sous un règne heureux et brillant avaient conduit la plume de Racine. On a été jusqu'à dire de ce dernier qu'il avait fait la tragédie de la cour de Louis XIV. C'est restreindre étrangement un génie tel que le sien. Je sais qu'il fit Bérénice pour madame Henriette; mais j'ose croire que ce fut pour les bons esprits de toutes les nations éclairées qu'il fit Britannicus, Andromaque, Iphigénie, Phèdre, et Athalie. Il n'a point fait la tragédie de la cour; il a fait celle du cœur humain. Tout homme supérieur reçoit de la nature un caractère d'esprit plus ou moins marqué, et c'est cela même qui fait sa supériorité : c'est dans ce caractère qu'il faut d'abord chercher celui de ses ouvrages. Sans doute l'esprit général et les mœurs publiques y ont aussi quelque influence, et le modifient plus ou moins; mais le type originel s'y trouve toujours. Les grands écrivains agissent beaucoup plus sur leur siècle que leur siècle n'agit sur eux, et lui donnent beaucoup plus qu'ils n'en reçoivent.

Corneille avait une trempe d'esprit naturellement vigoureuse, et une imagination élevée. Le raisonnement, les pensées, les grands traits d'éloquence dominent dans sa composition, et il aurait porté ces mêmes qualités dans quelque genre d'écrire qu'il eût choisi. Il eût été un grand orateur dans le sénat romain ou dans le parlement d'Angleterre; mais il aurait plus ressemblé à Démosthène qu'à Cicéron. Comme l'art dramatique est le résultat d'une foule de talens réunis, il a donné le premier modèle de ceux qui tiennent à l'élévation de l'âme et des idées, à la force des combinaisons, et il a eu les défauts qui en sont voisins. Ses lectures de préférence, ses études de prédilection étaient, si l'on veut y prendre garde, analogues à la tournure de son esprit. On sait que ses auteurs favoris furent Lucain, Sénèque et les poëtes espagnols. Comme Lucain, l'amour du grand le conduisit jusqu'à l'enflure; comme Sénèque, il fut raisonneur jusqu'à la subtilité et la sécheresse; comme les tragiques espagnols, il força les vraisemblances pour obtenir des effets. Mais les beautés qu'il ne devait qu'à son talent naturel, le placèrent pendant trente ans si fort au-dessus de ses contemporains, qu'il lui fut impossible de revenir sur lui-même, et d'apercevoir ce qui lui manquait. Rien n'est si dangereux que de n'avoir pour objet de comparaison que ses propres ouvrages et des ouvrages applaudis: c'est à la fois le malheur et l'excuse d'un artiste qui se trouve tout à coup au dessus de tout ce qui l'a précédé. Dans ces circonstances, il est assez naturel au génie d'aller d'abord en fort peu de temps aussi loin qu'il peutaller. Mais arrivé à cette hauteur, où veut-on qu'il porte la vue lorsque rien n'est plus haut que lui, lors même que personne n'est en état de lui faire soupçonner

qu'il y a quelque chose au-delà? C'est surtout en comparant l'époque d'un siècle naissant à celle d'un siècle formé que l'on peut comprendre les rapports et les dépendances entre l'homme supérieur qui crée, et la multitude qui juge. Dans la première époque, le génie est seul, et ses juges mêmes tiennent de lui tout ce qu'ils savent : dans la seconde, un certain nombre de différens modèles a déjà composé une masse de lumières et de connaissances, nécessairement supérieure à ce que peut produire l'esprit le plus vaste. Ce qui a été fait apprend tout ce qu'on peut faire; et, pour apprécier les productions de l'art, toutes les forces de l'esprit humain sont dans la balance en contre-poids avec celui d'un seul homme. La première de ces époques est la plus avantageuse pour la gloire; la seconde, pour le talent. Jamais il ne va plus loin dans la carrière des arts que lorsqu'il voit toujours le but au-delà de sa course; jamais il ne s'accoutume à marcher plus ferme que lorsqu'il ne peut faire impunément un faux pas. C'est peu d'effacer ses contemporains, il faut qu'il songe à lutter contre le passé et à répondre à l'avenir. S'il fait mieux que ses concurrens, ses juges en savent plus que lui. Ils peuvent toujours lui demander plus qu'il n'a fait, parce que d'autres ont fait davantage. S'il excelle dans quelques parties, on lui marque celles qui lui manquent. On lui révèle toutes ses fautes; on discute toutes ses beautés; on inquiète sans cesse la confiance de ses forces, et cet aiguillon continuel l'oblige à les déployer toutes.

Ce fut l'avantage de Racine. Né avec cette imagination vive, cette sensibilité tendre, cette flexibilité d'esprit et d'âme, qualités les plus essentielles pour la tragédie, et que n'avait pas Corneille; né avec le sentiment le plus vif et le plus délicat de l'harmonie et de l'élégance, avec la plus heureuse facilité d'élocution, qualités les plus essentielles à toute poésie, et que Corneille n'avait pas non plus, il eut à faire à des juges que Corneille avait instruits pendant trente ans par ses succès et par ses fautes; il écrivit dans un temps où tous les genres de littérature se perfectionnaient, où le goût s'épurait en tout genre; enfin il eut pour ami et pour censeur l'esprit le plus judicieux et le plus sévère de son siècle, Despréaux. Ainsi la nature et les circonstances avaient tout réuni pour faire de Racine un écrivain parfait; et il le fut.

et

La marche progressive de son talent prouve ses réflexions et ses efforts, et ce travail continuel sur soi-même, si nécessaire à quiconque veut avancer vers la perfection. Les deux premiers essais de sa jeunesse, imitations faibles de Corneille, ne sont que les tributs excusables que devait un auteur de vingt-quatre ans à une renommée qui avait tout effacé. Hors le talent de la versification, rien encore n'annonçait Racine. J'ai reconnu, j'ai dû reconnaître que c'était un de ses avantages d'être venu après Corneille; mais je ne saurais convenir que ce soit le génie du premier qui ait formé le second : le contraire est démontré par les faits. Nous avons vu que si Racine parut d'abord fort au-dessous de ce qu'il devint dans la suite, c'est qu'il commença par vouloir imiter son prédécesseur. Nous avons vu que l'amour d'Alexandre pour Cléofile était peint précisément des mêmes traits que celui de César pour Cléopâtre : c'est cette insipide galanterie qu'on croyait alors devoir mêler à l'héroïsme, et qui le dégradait. Une affectation de grandeur, qui tient au faste des paroles, et qui se mêle dans Alexandre à des raisonnemens sur l'amour, était encore une imitation de défauts introduits sur la scène à la suite des beautés de Corneille, et que ce cortége imposant ne rendait que plus contagieux. Si quelque chose prouve la pente irrésistible d'un génie particulier à Racine, c'est la force qu'il eut de revenir à la vérité et à lui-même, malgré l'exemple de Corneille et le succès d'Alexandre; et c'est alors qu'il fit Andromaque, et qu'il s'éleva successivement jusqu'à Iphigénie, Phedre et Athalie. On voit qu'alors il

[ocr errors]

avait enfin pris le parti de ne plus étudier que la nature et les Grecs; qu'il
prit un essor nouveau, dans lequel les modernes ne pouvaient lui servir de
guides. Alors, pour la première fois, la passion de l'amour fut peinte avec
toute son énergie et toutes ses fureurs dans Hermione, Roxane et Phèdre;
et l'éloquence simple et pathétique des Grecs se fit entendre dans les rôles
admirables d'Andromaque, de Clytemnestre et d'Iphigénie. L'étude ré-
fléchie de la langue et des auteurs d'Athènes fut sans doute une source de
lumières pour un homme qui avait tant de goût, et qui sentait si vivement
cette vérité d'imitation, qui est le principe des beaux-arts; mais ce n'est
pas d'eux qu'il apprit à être un si savant peintre de l'amour. Il ne dut qu'à
lui-même ce grand ressort dramatique, devenu si puissant dans ses mains,
et dont Voltaire s'est emparé depuis avec tant de succès. Cette découverte,
en même temps qu'elle enrichissait notre théâtre, a influé jusqu'à l'abus
sur la tragédie française, et nous a exposés à des reproches qui ne sont pas
sans
fondement. Et puisque je m'occupe de développer dans ce moment
les obligations que nous avons à Racine, je crois devoir prouver d'abord
que c'est un rigorisme outré, de regarder l'amour comme une passion in-
digne de la tragédie; et dans la suite de ce résumé, je ferai voir que c'est
an autre excès, non moins condamnable et beaucoup plus commun, de
vouloir qu'il y domine exclusivement.

Les anciens n'avaient point imaginé que la passion de l'amour pût faire le sujet d'une tragédie : le rôle de Phèdre même n'est pas une exception à ce principe. La pièce d'Euripide, comme je l'ai remarqué en son lieu, est intitulée Hippolyte : le sujet est la mort injuste d'un jeune prince innocent, sacrifié à la vengeance de Vénus. L'amour de Phèdre, à le bien considérer, n'est point une passion ordinaire et spontanée. Un prologue apprend au spectateur que Vénus n'a inspiré à Phèdre un amour furieux et incurable que pour perdre Hippolyte, qui a dédaigné et insulté hautement la puissance de cette déesse, et voué à Diane un culte exclusif. La morale même de la pièce, expressément énoncée, est qu'il ne faut jamais offenser un dieu. L'amour de Phèdre n'est donc'; à proprement parler, qu'une espèce de maladie, une sorte de fléau céleste qui sert à venger une divinité.

Nos intrigues amoureuses n'entraient même pas dans la comédie ancienne. Aristophane n'en a point; et si Plaute et Térence, après Menandre, ont peint des jeunes gens amoureux, c'est toujours de courtisanes ou de filles esclaves, reconnues ensuite pour être de condition libre. Les intrigues avec les filles bien nées, et ce commerce de galanterie qui remplit nos pièces, n'étaient point au nombre des ressorts dramatiques employés par les anciens. La raison en est sensible: c'est que les femmes, plus retirées, ne vivaient pas dans la société comme aujourd'hui. Il paraît que c'est de la chevalerie des Arabes, et des romans qu'elle fit naître dans le midi de l'Europe, que l'amour passa d'abord sur les théâtres, où il a rempli une si grande place. L'influence que les femmes ont eue depuis sur la société, sur les mœurs, sur les sentimens, sur les opinions, introduisit par degrés sur notre scène ce langage délicat, noble et passionné, dont Corneille donna la première idée dans Chimène et dans Pauline, et que Racine, et après lui Voltaire, ont embelli de tous les charmes de leur style. Le génie théâtral s'est emparé de ce moyen, parce qu'il a senti tout ce qu'on en pouvait faire quand il est supérieurement manié; et tous les auteurs l'ont employé plus ou moins, parce que c'est en même temps celui de tous qu'il est le plus facile de traiter médiocrement. Comme l'amour est le penchant le plus universel, il est toujours aisé d'intéresser à un certain point, en parlant aux spectateurs de ce qui les occupe le plus. Voltaire disait, à propos de la différence d'effet qui se trouve entre Zaire et Rome

sauvée : « Tout le monde aime, et personne ne conspire ». Si le but de tout auteur est de plaire, comment réprouver le moyen le plus facile et le plus sûr d'y parvenir? Le sévère Despréaux a dit lui-même :

De l'amour la sensible peinture

Est, pour aller au cœur, la route la plus súre.

Les femmes, qui donnent le ton au théâtre comme partout ailleurs, ont contribué plus que tout le reste à faire de l'amour le principal sujet de nos pièces. Pour peu qu'une actrice ait la voix touchante, c'est l'amour qu'elle exprime le mieux. Les femmes pleurent, et tout le monde pleure avec elles et comment ne se livrerait-on pas de préférence à un genre qui réunit toutes les facilités et toutes les séductions? Il a d'ailleurs produit tant de belles choses, qu'en le condamnant on condamnerait le génie et nos plaisirs.

De cette différence entre notre théâtre et celui des anciens,les amateurs outrés de l'antiquité ont conclu que leur tragédie valait mieux que la nôtre, puisqu'elle était plus sévèrement héroïque. Ce dernier point est vrai; mais est-il vrai que nous ayons tort si la nôtre est généralement plus touchante? Y a-t-il trop de moyens d'intéresser au théâtre? et faut-il s'en refuser un dont l'effet est si universel? Nous avons d'autres mœurs que les Grecs: pourquoi notre théâtre, qui doit se ressentir de cette différence, n'en aurait-il pas profité? Si Sophocle et Euripide eussent vécu parmi nous, croiton qu'ils n'eussent pas traité l'amour? croit-on qu'ils eussent rougi d'avoir fait Andromaque ou Zaïre? De quoi s'agit-il donc en dernier résultat? Ce n'est pas d'exclure l'amour de la tragédie, c'est de l'en rendre digne; c'est de lui donner sur le théâtre les effets tragiques qu'il n'a eus que trop souvent en réalité; c'est de substituer aux froideurs de la galanterie vulgaire toute l'énergie de la passion. Cet art créé par Racine, et porté encore plus loin par Voltaire, est-il indigne de Melpomène, quand il agrandit son empire et augmente sa puissance? Nous met-il au-dessous des anciens quand il nous fournit des beautés qu'ils n'ont pas connues? Si cela pouvait faire une question, on la trancherait bientôt par un principe incontestable: toute imitation de la nature, qui est vraie en elle-même, intéressante par ses effets, et susceptible de couleurs nobles, est de l'essence des beauxarts. La peinture de l'amour réunit tous ces caractères; donc elle n'est point étrangère à la tragédie.

Cette peinture a été un des mérites propres à Racine : elle avait fourni à Corneille des tableaux intéressans dans le Cid et dans Polyeucte: partout ailleurs elle est chez lui froide et fausse. Ceux de Racine sont toujours vrais, toujours parfaits dans les convenances, touchans ou terribles dans les effets. Le rôle de Phèdre est bien plus fortement tracé qu'il ne l'est dans Euripide: ceux de Koxane et d'Hermione ont tous les caractères de l'amour, quand il est éminemment tragique, ses emportemens, ses crimes, ses remords. Si les personnages secondaires de ses pièces, Iphigénie, Eriphile, Aricie, Monime, Bérénice, n'ont pas la même force, ils n'ont pas moins de vérité: ils sont ce qu'ils doivent être. S'ils ne constituent pas la tragédie, ils ne la déparent point. Je ne connais qu'A talide et Bajazet dont le langage paraisse former une sorte de disparate dans la pièce où ils sont placés; encore le charme du style et la délicatesse des ́sentimens leur ont-ils obtenu grâce, s'ils ne les ont pas justifiés. Voltaire a relevé le premier l'absurde injustice du préjugé qui imputait à Racine d'avoir énervé la tragédie en la livrant à l'amour. Il a démontré que c'était Corneille qui l'avait affadie par la galanterie, en même temps qu'il l'élevait dans d'autres parties à la plus grande hauteur. I.a foule le suivit dans ses erreurs, sans l'imiter dans ses beautés. Le seul Racine, au moment où

il fut lui-même, s'éloigna également des unes et des autres. Il ne commit point les mêmes fautes, et trouva des beautés différentes. Il fut, dans le genre qu'il choisit, autant au-dessus de Corneille que de tous les autres poëtes dramatiques.

On a dit que Corneille avait un esprit plus créateur : l'a-t-on bien prouvé? En s'expliquant sur le mot, on pourra douter du fait. Si l'on veut dire qu'il a tiré la scène française du chaos, et qu'il a fait le premier de très-belles choses, on a raison. Mais s'ensuit-il qu'il y ait plus de création dans ses ouvrages que dans ceux de Racine? Ce n'est pas, ce me semble, une conséquence nécessaire. On ne peut pas dire de lui qu'il a fait Racine, comme on a dit qu'Homère avait fait Virgile. Virgile a fidèlement suivi les traces d'Homère; Racine a suivi une route toute différente de celle de Corneille. << Mais celui-ci a ouvert le chemin ». Oui, il a eu l'avantage de venir le premier; mais, pour être sûr que Racine n'en eût pas fait autant, il faudrait prouver qu'il n'y a pas la même force d'invention dans ses ouvrages; et, en revenant à cette comparaison, l'examen ne sera pas à son désavantage. Ceux qui lui refusent le génie (et il y a encore de ces gens-là) répètent fort légèrement qu'il n'a fait qu'imiter les Grecs. A les entendre, on dirait que Corneille a tiré tout de son propre fonds. Voyons les faits. Le Cid et Héraclius sont aux Espagnols. La belle scène du cinquième acte de Cinna est toute entière dans Sénèque. Il lui reste donc en propre les trois premiers actes des Horaces, Polyeucte, Pompée, Rodogune et Nicomède. Andromaque, Britannicus, Bajazet, Mithridate et Alhalie sont absolument à Racine. Je ne parle pas de Bérénice: ce n'est qu'un ouvrage enchanteur, qui n'est pas une tragédie. Mais aussi Nicomède est-il une tragédie, ou bien une comédie héroïque ? Dans Phèdre même, et dans Iphigénie, il s'en faut bien que les plus grandes beautés soient prises aux Grecs: ce qu'il y a de plus beau dans le Cid, dans Héraclius et dans Cinna, est d'emprunt. Maintenant, fallait-il un talent plus original, plus inventeur, pour faire les Horaces que pour faire Andromaque, ou pour Polyeucte que pour Athalie? Ceux qui trancheraient sur cette question auraient beaucoup de confiance; quant à moi, j'en suis très-éloigné, et je me contenterai d'observer la différence de caractère et d'effet qui se trouve entre les productions de ces deux grands hommes.

Je crois voir dans tous les deux la même force de conception; mais l'un, dans ses compositions, a plus consulté la nature de son talent; l'autre, celle de la tragédie. Le premier, naturellement porté au grand, a subordonné l'art à son génie; il l'a établi sur un ressort qu'il maniait supérieurement, l'admiration. L'autre, plus souple et plus flexible, a vu dans la terreur et la pitié les ressorts naturels de la tragédie, et a su y appliquer toutes les ressources de son esprit. Aussi le premier n'a-t-il guère employé la terreur que dans le cinquième acte de Rodogune, et la pitié que dans le Cid, et dans les scènes de Sévère et de Pauline. L'autre, dans toutes ses pièces, a tiré des effets plus ou moins grands de ces deux moyens qu'il n'a jamais négligés : c'est un avantage sans doute. Mais est-il vrai, comme on l'a dit de nos jours, et comme on l'a répété à tout moment dans le commentaire de Racine, que l'admiration soit toujours froide et ne soit jamais un ressort théâtral? Cette proscription générale et absolue est un abus de mots, une bérésie moderne, fondée, comme toutes les autres, sur des intérêts du moment. Ce n'est pas à Corneille qu'on en voulait; mais on oubliait que cet arrêt, s'il était fondé, serait la condamnation de ses pièces les plus admirées. J'ai promis de combattre cette erreur, et le moment est venu de venger la vérité et Corneille.

Il faut de nouveaux mots pour de nouvelles doctrines: aussi a-t-on créé nouvellement cette appellation très-impropre de genre admiratif; car il

« AnteriorContinuar »