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pensait toute la nation, enivrée de la gloire de son roi. Il faut pardonner à l'orgueil national, sentiment utile et louable en lui même, de s'exalter par la continuité des succès et par l'éclat d'un règne qui éclipsait alors toutes les puissances. Le seul tort que l'on eût dans cette profusion de panégyriques, c'était d'y mêler l'insulte et le mépris pour ces puissances humiliées, sans songer qu'elles pouvaient ne l'être pas toujours. Mais l'expérience prouve que c'est trop demander aux hommes que d'attendre d'eux qu'ils se souviennent, dans la prospérité, des retours de la fortune. Un ancien disait (1) que le poids de la prospérité fatiguait la sagesse même ; et nous avons vu, dans ce siècle, celle de toutes les nations rivales de la nôtre, qui a le plus reproché à Louis XIV l'ivresse de la fortune, abuser tout comme lui de la puissance, et en être punie tout comme lui. Ces leçons, si fréquentes dans l'histoire, ne cesseront pas de se répéter, et ne corrigeront personne.

Un autre défaut de ces prologues, c'est de ne tenir en rien au poëme, de faire comme une pièce à part, qui n'a d'autre objet que de louer, et qui ne fait point partie du drame qu'elle précede, et auquel cependant on a l'air de l'attacher. Mais quand un usage est établi, on n'examine guere s'il est bien raisonnable; et les prologues de Quinault, qui avaient du moins l'excuse de l'à-propos, eurent tant de vogue, qu'il devint de règle de ne point donner d'opéra sans un prologue à la louange du roi. Čet asage subsista près d'un siècle, et il n'y a pas long-temps qu'on s'en est lassé.

Le prologue d'Amadis a l'avantage particulier d'être lié au sujet. Urgande et Alquif, que le poëte suppose enchantés et assoupis depuis la mort d'Amadis, s'éveillent au bruit du tonnerre et à la lueur des éclairs, et l'idée du prologue est expliquée dans ces vers que dit Urgande :

Lorsqu'Amadis périt, une douleur profonde
Nous fit retirer dans ces lieux.

Un charme assoupissant devait fermer nos yeux
Jusqu'au temps fortuné que le destin du monde
Dépendrait d'un héros encor plus glorieux.

C'était du moins mêler adroitement l'éloge du roi à l'action du poëme : celui d'Amadis est ingénieux. Le magicien Arcalaüs et sa sœur la magicienne Arcabonne ont de l'amour, l'un pour Oriane, l'autre pour Amadis, qui s'aiment tous deux; car, dans les opéras, comme dans les romans de féerie, les enchanteurs sont toujours éconduits, et les génies toujours dupes. Mais il arrive ici que cet Arcalaüs et cette Arcabonne balancent le pouvoir et combattent la méchanceté l'un de l'autre, parce que le magicien ne veut pas que sa sœur se venge sur Oriane, et la magicienne ne veut pas que son frère se venge sur Amadis. Cette concurrence fait le noeud de l'intrigue, amène des situations, et prolonge à la fois le péril et l'espérance des deux amans, jusqu'à ce que la fameuse Urgande vienne les délivrer. L'apparition de l'ombre d'Ardancanil,

Ah! tu me trahis, malheureuse, etc.

est d'un effet théâtral, et il y a de beaux détails dans le dialogue de la pièce. On a cité ces vers d'Arcabonne à son frère :

Vous m'avez enseigné la science terrible
Des noirs enchantemens qui font pâlir le jour.
Enseignez-moi, s'il est possible,

Le secret d'éviter les charmes de l'amour.

(1) Secundæ res sapientium animos fatigant.

On peut citer encore cette réponse si noble d'Oriane, quand Arcalaüs se vante faussement d'avoir vaincu Amadis :

Vous, vainqueur d'Amadis! Non, il n'est pas possible

Qu'il ait cessé d'être invincible.

Tout cède à sa valeur, et vous la connaissez.

Quinault, dans ses trois derniers ouvrages, Amadis, Roland et Armide, passa des anciennes fables de la Grèce aux fables modernes des romans espagnols et des poëmes d'Italie. Il puisa dans l'Arioste et dans le Tasse, comme dans Ovide, et ne traita aucun sujet d'histoire. C'est une preuve qu'il regardait l'opéra comme le pays des fictions, et comme un spectacle trop peu sérieux pour la dignité de l'histoire et pour des héros véritables.

Nous verrons combien ce système était judicieux, quand j'aurai à parler de la révolution que ce théâtre a éprouvée de nos jours.

Voltaire avait une admiration particulière pour le quatrième acte de Roland: il le regardait comme une des productions les plus heureuses du talent dramatique, et il est difficile de n'être pas de l'avis d'un si bon juge en cette matière. C'est sans doute une situation vraiment théâtrale que celle de Roland, qui vient, plein de l'espérance et de la joie de l'amour, au rendez-vous indiqué par Angélique, et qui trouve à chaque pas les preuves de sa trahison. La gaîté naïve des bergers qui célebrent les amours d'Angélique et de Médor, et déchirent innocemment le cœur du héros malheureux, forme un nouveau contraste avec la fureur sombre qui le possède :

Quand le festin fut prêt il fallut les chercher.
Ils étaient enchantés dans ces belles retraites.
On eut peine à les arracher

De ce lieu charmant où vous êtes.

ROLAND

Où suis-je? juste ciel ! où suis-je ? malheureux!

Quand le célèbre Piccini vint embellir cet ouvrage de sa musique enchanteresse, notre parterre, apparemment plus délicat que la cour de Louis XIV, et plus connaisseur que Voltaire, trouva cet endroit de Roland fort ridicule. Ce jugement étrange vint probablement de ce qu'on prétendait, depuis quelque temps, que l'opéra fût la tragédie; et il est sûr que cette scène n'est pas d'une couleur tragique. Mais il eût fallu se souvenir que Roland, quoique intitulé, suivant l'usage, tragédie lyrique, parce que les deux principaux personnages sont une reine et un héros, n'est pourtant pas une tragédie: c'est une pastorale héroïque, dont le sujet n'est autre chose que la préférence qu'une reine donne à un berger aimable sur un guerrier renommé. Rien dans ce sujet n'est traité d'une manière tragique, et le quatrième acte est du ton de tout le reste de la pièce. Il n'y a donc aucun reproche à faire au poëte, si ce n'est que, cet acte excepté, le fond de ce drame est un peu faible, et que l'intrigue est peu de chose. L'amour d'Angélique et de Médor n'éprouve aucun obstacle étranger, et on les voit dès le commencement à peu près d'accord. Il s'ensuit que c'est un mérite dans l'auteur d'avoir relevé son action par l'intéressant tableau du désespoir de Roland, et les rieurs du parterre attaquaient précisément ce qu'il y avait de plus louable; mais aussi ce n'était pas à Quinault qu'on en voulait.

Qui n'a pas entendu répéter cent fois, par ceux qui ont l'oreille sensible à la mélodie des vers lyriques, ce monologue de Roland ?

Ah! j'attendrai long-temps: la nuit est loin encore.

Quoi! le soleil veut-il luir toujours?
Jaloux de mon bonheur, il prolonge son cours
Pour retarder la beauté que j'adore.

O nuit! favorisez mes désirs amoureux;
Pressez l'astre du jour de descendre dans l'onde ;
Déployez dans les airs vos voiles ténébreux.
Je ne troublerai plus par mes cris douloureux
Votre tranquillité profonde.

Le charmant objet de mes vœux
N'attend que vous pour rendre heureux
Le plus fidèle amant du monde.

O nuit ! favorisez mes désirs amoureux.

Ce n'est même que dans Roland et dans Armide que Quinault s'élève jusqu'au sublime des grands sentimens; car on peut qualifier ainsi ce trait de Roland, lorsqu'il lit sur l'écorce des arbres le nom de Médor;

Médor en est vainqueur ! Non, je n'ai point encor
Entendu parler de Médor.

Ce mouvement est d'un héros,

Enfin, le poëte a tellement soigné ce quatrième acte, que le style en est soutenu jusque dans les paroles des divertissemens, si souvent négligées dans Quinault, et qui sont ici pleines d'élégance et de douceur. Qu'og en juge par celles-ci ;

Quand on vient dans ce bocage;
Peut-on s'empêcher d'aimer ?
Que l'amour sous cet ombrage
Sait bientôt nous désarmer!
Sans effort il nous engage
Dans les nœuds qu'il veut former.
Que d'oiseaux sous ce feuillage!
Que leur chant doit nous charmer!
Nuit et jour par leur ramage
Leur amour sait s'exprimer.
Quand on vient dans ce bocage,

Peut-on s'empècher d'aimer ?

Horace et Anacréon n'auraient pas désavoué la naïveté amoureuse de

ces deux chansons ;

Angélique est reine; elle est belle;

Mais ses grandeurs ni ses appas
Ne me rendraient pas infidèle,
Je ne quitterais pas
Ma bergère pour elle.

Quand des riches pays arrosés par la Seine
Le charmant Médor serait roi,

Quand il pourrait quitter Angélique pour moi 2
Et me faire une grande reine;
Non, je ne voudrais pas encor
Quitter mon berger pour Médor.

Quinault eut, comme Racine, ce bonheur assez rare, que le dernier de ses ouvrages fut aussi le plus beau. Sa muse, qui mit sur la scène les fabuleux enchantemens d'Armide, était la véritable enchanteresse: c'est là que l'élégance du style est la plus continue, que les situations ont le plus d'intérêt, qu'il y a le plus d'invention allégorique, le plus de charme dans les détails. L'exposition est très-belle : c'est Armide plongée dans ндe sombre tristesse, entre deux confidentes qui s'empressent à l'envi

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l'une de l'autre à lui vanter sa gloire, sa fortune, ses succès dans le camp de Godefroi.

Ses plus vaillans guerriers, contre vous sans défense,

Sont tombés en votre puissance.

Elle répond par ce vers, qui suffit pour annoncer son caractère, ses ressentimens et le sujet de la pièce.

Je ne triomphe pas du plus vaillant de tous,

La scène finit par un songe qui n'est pas, comme tant d'autres, un lieu commun; c'est un récit simple et touchant.

Un songe affreux m'inspire une fureut nouvelle
Contre ce funeste ennemi.

J'ai cru le voir, j'en ai frémi;

J'ai cru qu'il me frappait d'une atteinte mortelle.
Je suis tombée aux pieds de ce cruel vainqueur.
Rien ne fléchissait sa rigueur;

Et par un charme inconcevable,

Je me sentais contrainte à le trouver aimable
Dans le fatal moment qu'il me perçait le cœur.

La scène suivante, avec Hydraot, est terminée par un trait sublime!
Le vainqueur de Renaud, si quelqu'un le peut être,
Sera digne de moi.

Il suffit de rappeler cet admirable monologue :

Enfin il est en ma puissance, etc.

Peu de morceaux de notre poésie sont plus généralement connus, et il y à peu de tableaux au théâtre aussi frappans. C'est dans le rôle d'Armide que se trouvent les seuls endroits où le poëte ait osé confier à la musique des développemens de passion qui se rapprochent de la tragédie. Tel est ce monologue, et telle est encore la scène où Renaud se sépare d'Armide, et où l'auteur à imité quelques endroits de la Didon de Virgile. A la vérité, il ne l'égale pas; et qui pourrait égaler ce que Virgile a de plus parfait ? Mais il n'est pas indigne de marcher près de lui, et c'est beaucoup. La passion n'est-elle pas éloquente dans ces vers, quoique bien moins poétiques que ceux de Didon?

Je mourrai si tu pars, et tu n'en peux douter.

Ingrat, sans toi je ne puis vivre.

Mais, après mon trépas, ne crois pas éviter
Mon ombre obstinée à te suivre.

Tu la verras s'armer contre ton cœur sans fol;
Tu la trouveras inflexible

Comme tu l'as été pour moi;

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Et sa fureur, s'il est possible
Égalera l'amour d'ont j'ai brûlé pour toi.

Armide soutient son caractère altier, lorsque, maîtresse du sort de Re naud, indignée de ne devoir qu'à ses enchantemens tout l'amour qu'il lui montre, elle s'efforce de le haïr, et appelle la Haine à son secours. C'est la plus belle allégorie qu'il y ait à l'opéra, et jamais ce genre de fiction, qui est si souvent froid, n'a été plus intéressant. Ce ballet de la Haine n'est pas une fête de remplissage, comme il y en a tant; c'est une peinture morale et vivante. L'on reconnaît le cœur humain, et l'on plaint Armide lorsqu'elle s'écrie :

Artête, arrête, affreuse Haine !

Laisse-moi sous les lois d'un si charmant vainqueur ;
Laisse-moi je renonce à ton secours horrible.
Non, non, n'achève pas ; non il n'est pas possible
De m'ôter mon amour sans m'arracher le cœur.

Et la réponse de la Haine!

Tu me rappelleras peut-être dès ce jour;
Mais ton attente sera vaine.

Je vais te quitter sans retour.

Je ne puis te punir d'une plus rude peine,
Que de t'abandonner pour jamais à l'amour.

Le seul défaut de cette pièce, c'est que le quatrième acte forme une espèce d'épisode qui tient trop de place et arrête trop long-temps l'action; c'est un trop grand sacrifice fait à la danse et au spectacle. L'auteur a suivi pas à pas la marche du Tasse, qui fait revenir Renaud à luimême à la seule vue du boucher de diamant qui lui montre l'indigne état où il est. Cette idée ingénieuse peut suffire dans un poëme épique rempli d'ailleurs d'une foule d'autres événemens; mais dans une pièce où celuici est capital, je crois que les combats du cœur d'un jeune héros entre l'amour et la gloire seraient d'un plus grand effet que cette révolution subite et merveilleuse qui se passe en un moment.

Si vous lisez, après Quinault, les opéras faits de son temps, vous ne rencontrez que de froides et insipides copies qui ne servent qu'à mieux attester la supériorité de l'original. Des hommes qui ont eu de la réputation dans d'autres genres ont entièrement échoué dans le sien. Les opéras de Campistron et de Thomas Corneille sont au-dessous de leurs plus mauvaises tragédies; ceux de Rousseau et de La Fontaine ne semblent faits que pour nous apprendre le danger que l'on court à vouloir sortir de son talent. Thétis et Pélée, de Fontenelle, eut long-temps de la réputation : elle était bien peu méritée. Voltaire l'a loué dans le Temple du goût, ou par complaisance pour la vieillesse de Fontenelle, ou pour ne pas dé. mentir une opinion encore établie sur un objet qui lui paraissait de peu d'importance. Il faut croire que la musique et tous les accessoires du théâtre en firent le succès: en le lisant, on a peine à le comprendre. Le drame n'est pas mal coupé ; mais il est froid, et le style est à la glace. Les vers sont extrêmement faibles, et souvent plats. Il n'y a pas dans tout ce poëme, prétendu lyrique, une idée de l'harmonie ni une étincelle de feu poétique. On vantait beaucoup autrefois ces deux vers:

Va, fuis: te montrer que je crains,

C'est le dire assez que je t'aime.

Il y aurait de l'esprit à les avoir faits, si l'on ne trouvait pas dans Quinault:

Vous m'apprenez à connaître l'amour;

L'amour m'apprend à connaître la crainte.

J'ai entendu louer aussi, par des vieillards, la scène ou Pélée consulte le Destin. Voici comme elle commence :

O Destin! quelle puissance
Ne se soumet pas à toi ?

Tout fléchit sous ta loi.

Tes ordres n'ont jamais trouvé de résistance.

Malgré nous tu nous entraînes

Où tu veux;

C'est toi qui nous amènes

Tous les événemens heureux ou malheureux.

Tu les as liés entre eux

Avec d'invincibles chaînes.

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