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Par des moyens secrets
Ton pouvoir les prépare,
Et chaque instant déclare
Quelqu'un de tes arrêts.

Ce sont-là d'étranges platitudes dans une scène qui devait être imposante. Les anciens oracles qui parlaient en vers, et qui ne passaient pas pour en faire de bons, n'en ont guère fait de plus mauvais.

Fontenelle fit deux autres opéras, Endymion, fort inférieur encore à Thétis et Pélée, et Enée et Lavinie, qui n'en eut ni le succès ni la renommée, et qui pourtant le vaut bien pour le moins, car il y a une scène qui a du mérite; c'est celle où l'ombre de Didon apparaît à Lavinie, prête à prononcer entre Enée et Turnus, et à se déclarer pour le premier.

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C'est la seule idée dramatique que Fontenelle ait jamais eue. Nous avons eu des poëtes qui ont marché avec plus de succès dans la carrière de Quinault, quoique toujours fort loin de lui; mais ils appartiennent au siècle présent.

CHAPITRE IX.

De l'Ode, et de J.-B. Rousseau.

LA carrière de J.-B. Rousseau, prolongée assez avant dans ce siècle, son nom si souvent mêlé avec celui de Voltaire, et le malheureux éclat de leurs querelles, nous ont accoutumés à le compter parmi les poëtes qui appartiennent à l'âge présent. Il n'en est pas moins vrai que le siècle de Louis XIV, peut le réclamer avec plus de justice. Rousseau, né en 1669, disciple de Despréaux, et qui eut l'avantage précieux de travailler vingt ans sous les yeux de ce grand maître, dont il apprit (nous dit-il luimême) tout ce qu'il savait en poésie; Rousseau avait fait, avant la mort de Louis XIV, la plupart des ouvrages qui le mettent au nombre de nos écrivains classiques. Ses Psaumes, ses belles Odes, ses Cantates, avaient paru avant la fatale époque de 1710, qui l'éloigna de la France, et qui, en commençant ses malheurs, parut marquer en même temps le déclin de son génie. Il est donc juste de ranger la poésie lyrique, dans laquelle

il n'a point de rival, parmi les titres de gloire qui sont propres au siècle dont je retrace le tableau.

Rousseau en eut tous les caractères dans le genre où il a excellé, l'heureuse imitation des anciens, la fidélité aux bons principes, la pureté du langage et du goût. Dieu vous bénira, lui disait le marquis de Lafare, car vous faites bien des vers. Malgré cette prédiction, il éprouva bientôt que, si le talent d'écrire en vers est un beau présent de la nature, ce n'est pas toujours une bénédiction du ciel.

Bien des gens regardent ses Psaumes comme ce qu'il a produit de plus parfait c'est au moins ce qu'il parait avoir le plus travaillé; mais son talent est plus élevé dans ses Odes, et plus varié dans ses Cantates.

La diction de ses Psaumes est en général élégante et pure, et souvent trèspoétique. Il s'y occupe d'autant plus du choix des mots, qu'il y a moins à faire pour celui des idées. Ses strophes, de quelque mesure qu'elles soient, sont toujours nombreuses, et il connaît parfaitement l'espèce de cadence qui leur convient. C'est peut-être, de tous nos poëtes, celui qui a le plus travaillé pour l'oreille, et c'est la preuve qu'il avait une aptitude naturelle pour le genre de poésie que l'oreille juge avec d'autant plus de sévérité, qu'elle en attend plus de plaisir, et que la diversité du metre fournit plus de ressources et plus d'effet. Quoique les pensées soient partout un mérite essentiel, elles le sont dans une ode moins que partout ailleurs, parce que l'harmonie peut plus aisément en tenir lieu. Des penseurs trop sévères, et entre autres Montesquieu, ont cru que c'était une raison de mépriser la poésie lyrique. Mais il ne faut mépriser rien de ce qui fait plaisir en allant à son but, et le poëte lyrique qui chante n'est pas obligé de penser autant que le philosophe qui raisonne. Rousseau possède au plus haut degré cet heureux don de l'harmonie, l'un de ceux qui caractérisent particulièrement le poëte. On en peut juger par les rhythmes différens qu'il a employés dans ses Psaumes, et toujours avec le même bonheur.

Seigneur, dans ta gloire adorable,
Quel mortel est digne d'entrer?
Qui pourra, grand Dieu, penétrer
Ce sanctuaire impénétrable,

Où tes saints inclinés, d'un œil respectueux,

Contemplent de ton front l'éclat majestueux?

Ces deux alexandrins, où l'oreille se repose après quatre petits vers, ont une sorte de dignité conforme au sujet.

La strophe de dix vers à trois pieds et demi, l'une des plus heureuses mesures qui soient du domaine de l'øde, a deux repos où elle s'arrête successivement, et peut, dans son circuit, embrasser toutes sortes de tableaux, comme elle peut s'allier à tous les tons.

Dans une éclatante voûte
Il a placé de ses mains
Ce soleil qui dans sa route
Eclaire tous les humains.
Environné de lumière,
Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux,
Qui, dès l'aube matinale,
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux.

A cette comparaison le Psalmiste en ajoute une autre qui n'est pas moins bien rendue par le poëte français, et n'offre pas une peinture moins complète :

L'univers, à sa présence,
Semble sortir du néant.
Il prend sa course, il s'avance
Comme un superbe géant.
Bientôt sa marche féconde
Embrasse le tour du monde
Dans le cercle qu'il décrit ;
Et par sa chaleur puissante,
La nature languissante
Se ranime et se nourrit.

La strophe de cinq vers, composée de quatre alexandrins à rimes croisées, tombant doucement sur un petit vers de huit syllabes, convient davantage aux sentimens réfléchis. C'est celle que Rousseau a choisie dans l'ode qui commence par ces vers:

Que la simplicité d'une vertu paisible

Est sûre d'être heureuse en suivant le Seigneur, etc.

Ode dont le sujet rappelle un morceau fameux de Claudien sur la Propidence.

Pardonne, Dieu puissant, pardonne à ma faiblesse.

A l'aspect des méchans, confus, épouvanté,
Le trouble m'a saisi, mes pas ont hésité.
Mon zèle m'a trahi, Seigneur, je le confesse,
En voyant leur prospérité.

Cette mer d'abondance où leur âme se noie,
Ne craint ni les écueils ni les vents rigoureux.
Ils ne partagent point nos fléaux douloureux;
Ils marchent sur les fleurs, ils nagent dans la joie ;
Le sort n'ose changer pour eux.

Et un peu après :

J'ai vu que leurs honneurs, leur gloire, leur richesse,
Ne sont que des filets tendus à leur orgueil,
Que le port n'est pour eux qu'un véritable écueil,
Et que ces lits pompeux où s'endort leur mollesse
Ne couvrent qu'un affreux cercueil.

Comment tant de grandeur s'est-elle évanouie ?
Qu'est devenu l'éclat de ce vaste appareil ?
Quoi! leur clarté s'éteint aux clartés du soleil ?
Dans un sommeil profond ils ont passé leur vie,
Et la mort a fait leur réveil.

Cette autre espèce de strophe, formée de quatre hexamètres suivis de deux petits vers de trois pieds, est très-favorable aux peintures fortes, rapides, effrayantes, à tous les effets qui deviennent plus sensibles quand le rhythme, prolongé dans les grands vers, doit se briser avec éclat sur deux vers d'une mesure courte et vive. Tel est celui de l'ode sur la vengeance divine, applicable à la défaite des Turcs.

Du haut de la montagne où sa grandeur réside,

Il a brisé la lance et l'épée homicide

Sur qui l'impiété fondait son ferme appui.
Le sang des étrangers a fait fumer la terre,
Et le feu de la guerre

S'est éteint devant lui.

Une affreuse clarté dans les airs répandue A jeté la frayeur dans leur troupe éperdue. Par l'effroi de la mort ils se sont dissipés, Tome II.

24

Et l'éclat foudroyant des lumières célestes
A dispersé leurs restes
Aux glaives échappés.

L'ambition guidait vos, escadrons rapides;
Vous dévoriez déjà, dans vos courses avides,
Toutes les régions qu'éclaire le soleil.

Mais le Seigneur se lève, il parle, et sa menace
Convertit votre audace

En un morne sommeil.

L'expression de ces derniers vers est sublime. Six hexamètres partagés en deux tercets, où deux rimes féminines sont suivies d'une masculine, ont une sorte de gravité uniforme, analogue aux idées morales: aussi ce rhythme forme plutôt des stances qu'une ode véritable. Racan s'en est servi dans une de ses meilleures pièces, celle sur la Retraite, et Rousseau dans la paraphrase d'un psaume sur l'aveuglement des hommes da siècle, qui vivent comme s'ils oubliaient qu'il faut mourir.

L'homme en sa propre force a mis sa confiance.
Ivre de ses grandeurs et de son opulence;
L'éclat de sa fortune enfle sa vanité.

Mais, ô moment terrible, ô jour épouvantable,
Où la mort saisira ce fortuné coupable

Tout chargé des liens de son iniquité!

Que deviendront alors, répondez, grands du monde,
Que deviendront ces biens où votre amour se fonde,
Et dont vous étalez l'orgueilleuse moisson?
Sujets, amis, parens, tout deviendra stérile,
Et, dans ce jour fatal, l'homme, à l'homme inutile,
Ne patra point à Dieu le prix de sa rançon.

Ces idées, il est vrai, ont été souvent répétées dans toutes les langues; mais elles sont relevées ici par l'expression. C'est un art nécessaire que n'a pas toujours Rousseau, qui sait mieux colorier de grands tableaux qu'il ne sait embellir la pensée. Il serait trop long de parcourir toutes les diverses espèces de rhythme lyrique qu'il a formées du mélange des rimes et de celui des vers de différente mesure. Toutes n'ont pas un dessin également marqué; mais toutes sont susceptibles de beautés particulières. Une des plus harmonieuses, et qu'il a le plus fréquemment employée, c'est la strophe de dix vers de huit syllabes. Si la mesure du vers ne peut avoir la pompe et la majesté de l'alexandrin, la strophe entière y supplée par une marche nombreuse et périodique, qui suspend deux fois la phrase avant de la terminer, et par le rapprochement des rimes dont le son frappe plus souvent l'oreille : ces avantages la rendent propre aux grands effets de la poésie. Je n'en prendrai pour exemple en ce moment que le psaume composé dans ce rhythme, qui est aussi celui de l'Ode à la Fortune. Quelques strophes nous offriront tour à tour des peintures fortes ou riantes, des mouvemens pleins de vivacité ou de douceur.

Mais, quoi les périls qui m'obsèdent

Ne sont point encore passés !

De nouveaux ennemis succedent

A mes ennemis terrassés !

Grand Dieu! c'est toi que je réclame.

Lève ton bras, lance ta flamme,

Abaisse la hauteur des cieux (1),
Et viens sur la voùte enflammée,
D'une main de foudre armée,
Frapper ces monts audacieux.

Ces hommes qui n'ont point encore
Eprouvé la main du Seigneur,
Se flattent que Dieu les ignore,
Et s'enivre de leur bonheur.
Leur postérité florissante,
Ainsi qu'une tige naissante,
Croit et s'élève sous leurs yeux,
Leurs filles couronnent leurs têtes.
De tout ce qu'en nos jours de fêtes
Nous portons de plus précieux..

De leurs grains les granges sont pleines.
Leurs celliers regorgent de fruits.
Leurs troupeaux, tout chargés de laines,
Sont incessamment, reproduits.
Pour eux la fertile rosée,
Tombant sur la terre embrasée,
Rafraîchit son sein altéré ;

Et pour eux le flambeau du monde
Nourrit d'une chaleur féconde
Le germe en ses flancs resserré.
Le calme règne dans leurs villes;
Nul bruit n'interrompt leur sommeil.
On ne voit point leurs toits fragiles
Ouverts aux rayons du soleil.
C'est ainsi qu'ils passent leur âge.
Heureux, disent-ils, le rivage
Où l'on jouit d'un tel bonheur !
Qu'ils restent dans leur rêverie:
Heureuse la seule patrie

Où l'on adore le Seigneur !

La richesse des rimes, essentielle à tous les vers lyriques, l'est surtout à ceux où, comme ici, le voisinage des rimes en fait ressortir l'intentiont et la beauté. L'oreille est flattée de ce retour exact des mêmes sons qui retombent si juste et si près l'un de l'autre, et ce plaisir tient en partie à je ne sais quel sentiment d'une difficulté heureusement vaincue, qui sera toujours pour les connaisseurs un des charmes de la poésie, quand il ne sera pas seul; et, de plus chaque strophe formant un petit cadre séparé, ne laisse apercevoir que l'agrément de la rime et en dérobe la monotonie. C'est un des grands avantages que le vers de l'ode a sur l'hexamètre; mais aussi l'ode ne peut traiter que des sujets d'une étendue très-bornée. Nous ne pourrions pas supporter un long poëme coupé continuellement par strophes ces interruptions régulières nous fatigueraient au point de de

(1) Abaisse la hauteur des cieux est d'une beauté frappante. Voltaire l'a transporté dans sa Henriade:

Viens, des cieux enflammés abaisse la hauteur.

Mais enflammés n'ajoute rien à l'idée, et le petit vers de Rousseau est d'un plus grand effet que l'hexamètre de Voltaire, parce qu'il n'y a rien d'inutile, et qu'il a eu soin de commencer le vers par le mot essentiel, abaisse.

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