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ge du latin et du celte, et qui, vers le onzième siècle, s'appela langue française: c'est le temps où elle parait avoir eu des articles. Elle adopta la rime, et quoique cette invention soit beaucoup moins favorable à la poésie que le vers métrique des Grecs et des Latins, elle paraît absolument essentielle à la versification de nos langues modernes, si éloignée de la prosodie presque musicale des anciens. La rime est voisine de la monotonie, mais elle est agréable en elle-même, comme toute espèce de retour symétrique; car la symétrie plaît naturellement aux hommes, et entre plus ou moins dans les procédés de tous les arts d'agrément. Voltaire a eu raison de dire:

La rime est nécessaire à nos jargons nouveaux
Enfans demi-polis des Normands et des Goths.

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Les novateurs bizarres, tels que Lamotte, qui ont voulu ôter la rime à nos vers, s'y connaissaient un peu moins que l'auteur de la Henriade. Des fabliaux et des chansons, voilà nos premiers essais poétiques. On sait que les fabliaux sont des contes rimés, souvent fort gais et plaisamment imaginés. Ce qui le prouve, c'est que La Fontaine en a tiré plusieurs de ses plus jolis Contes, Pétrarque, un assez grand nombre de ses Nouvelles, et Molière même quelques scènes. Un recueil où les nationaux et les étrangers ont également puisé ne peut pas être sans mérite. A' l'égard du langage, il est aujourd'hui difficile à entendre ; mais en l'étudiant, on y trouve une manière de raconter qui n'est pas sans agrément. Les sujets roulent la plupart sur l'amour, et ont quelquefois de l'intérêt. Nos chansonniers modernes en ont fait usage, et de là vient que les chansons qui expriment les malheurs et les plaintes de l'amour s'appellent encore des romances, du nom que l'on donnait anciennement à la langue française.

Nous avons des chansons provençales de Guillaume, comte de Poitou, troubadour qui vivait au onzième siècle. Les chansons françaises de Thibault, comte de Champagne, sont du treizième. Il était contemporain de saint Louis, et a beaucoup célébré la reine Blanche. On voit par les noms des poëtes français inscrits dans les recueils bibliographiques, qu'il y en eut un nombre prodigieux sous le règne de saint Louis, thousiasme des croisades échauffa leur verve; mais la langue était encore et que l'entrès informe. On croit que Thibault est le premier qui ait employé les vers à rimes féminines; mais ce ne fut que bien long-temps après que Malherbe nous apprit à les entremêler régulièrement avec les vers masculins. Quand on lit les chansons de Thibault, qu'à peine pouvons-nous entendre, on no conçoit pas que, dans l'Anthologie française, on ait imaginé de lui attribuer cette chanson, qu'on a depuis imprimée partout sous son nom :

Las! si j'avais pouvoir d'oublier

Sa beauté, son bien dire

Et son tant doux, tant doux regarder,

Finirait mon martyre.

Mais, las! mon cœur je n'en puis ôter,
Et grand affolage

M'est d'espérer.
Mais tel servage
Donne courage
A tout endurer.

Et puis comment, comment oublier

Sa beauté, son bien dire

Et son tant doux, tant doux regarder!

Mieux aime mon martyre.

Que l'on fasse attention qu'il n'y a dans cette chanson naïve et tendre

que le mot d'affolage qui ait vieilli, quoique nous ayons conservé affoler et raffoler (car pour le mot servage, on l'emploie encore très-bien dans le style familier); que, d'ailleurs, toutes les constructions sont exactes, à l'inversion près qui a régné jusqu'au temps de Louis XIV; qu'il n'y a pas un seul de ces hiatus qu'on retrouve encore jusque dans Voiture; que l'on compare encore ce style au jargon rude et grossier que l'on parlait au treizième siècle, et l'on verra qu'il est impossible que cette chanson date du règne de saint Louis, et qu'elle ne peut pas être plus ancienne que les poésies de Marot, dont les madrigaux, qu'il appelle épigrammes, ne sont pas tous si gracieusement tournés. Il s'en fallait bien que la langue eût fait tant de progrès il y a cinq cents ans. C'est alors que parut le Roman de la Rose, commencé par Lorris et achevé par Jean de Meun. C'est, parmi les vieux monumens de notre poésie dans son enfance, celui qui eut le plus de réputation: il n'y a rien qui approche de cette chanson attribuée au comte de Champagne. Tout l'esprit de l'auteur, morale, galanterie, satire, tout est en allégorie, genre de fiction le plus froid de tous.

La ballade, le rondeau, le triolet, toutes les sortes de poésies à refrain, sont celles qui furent en vogue jusqu'au seizième siècle. Il faut savoir gré aux auteurs de ce temps d'avoir senti que ces refrains avaient une grâce particulière, conforme au caractère de douceur et de naïveté. le seul que notre poésie ait eu jusqu'à Marot. qui le premier y joignit un tour fin et délicat. Dès le quinzième siècle, Villon, et auparavant Charles d'Orléans, père de Louis XII, tournaient la ballade et le rondeau avec assez de facilité. Voici des'vers de ce dernier sur le retour du printemps: il faut se souvenir, en les jugeant, de quelle date ils sont.

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie
De soleil luisant, clair et beau.
Il n'y a bête ni oiseau

Qu'en son jargon ne chante ou crie
Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie.

On peut remarquer que toutes les mesures de vers étaient dès lors en usage, excepté l'hexamètre ou l'alexandrin, ainsi nommé, à ce qu'on croit, d'un poëme intitulé Alexandre, qui est du douzième siècle, et où ce vers est employé pour la premiere fois. Il fut depuis très-rare de s'en servir jusqu'à Dubellay et Ronsard. La noblesse, qui est le caractère de ce vers, n'était pas encore celui de notre langue. Les vers de Marot sont presque tous de cinq pieds. Leur tournure agréable et piquante s'accordait trèsbien avec celle de son esprit. On trouve dans Crétin et dans Martial de Paris des idylles en vers de quatre et cinq syllabes. Le dernier, qui vivait du temps de Charles VII, fit une espèce d'élégie sur la mort de ce prince. En voici quelques vers, dont la marche est aisée et coulante :

Mieux vaut la liesse,
L'amour et simplesse
De bergers pasteurs,
Qu'avoir à largesse
Or, argent, richesse,
Ni la gentillesse
De ces grands seigneurs.
Car pour nos labeurs

Nous avons sans cesse
Les beaux prés et fleurs,
Fruitages, odeurs,

Et joie à nos cœurs,

Sans mal qui nous blesse.

En voici de Crétin, qui ont une syllabe de moins, et qui ont aussi bien moins de douceur,

Pasteurs loyaux,

En ces jours beaux,
Je vous convie

A jeux nouveaux.

Bergères franches,

Cueillez des branches

De lauriers verts, etc.

Je ne les cite que comme des exemples fort anciens d'une espèce de mètre qui peut quelquefois être employé avec succès, pourvu que ce soit avec sobriété; car l'oreille serait bientôt fatiguée du retour trop fréquent des mêmes sons. Madame Deshoulière et Bernard se sont servis heureusement de ces petits vers dans des sujets gracieux. Rousseau, dans sa belle cantate de Circé, a su les rendre propres aux images fortes. Tout le monde sait par cœur ces vers:

Sa voix redoutable

Trouble les enfers, etc.

Mais il les a placés très-judicieusement dans une espèce de poëme musical où ils occupent peu de place, et où, parmi des vers de différente mesure, ils forment une variété de plus. Il y aurait de l'inconvénient à les prolonger : ils ne sont faits que pour des pièces de peu d'étendue. Comme la difficulté de se resserrer dans un rythme très-étroit est un de leurs mérites, cette difficulté trop long-temps vaincue ne paraîtrait qu'un jeu d'esprit, un effort artificiel, et c'est ce qu'il faut éviter en tout genre.

On ne cite guère qu'en ridicule les vers de Scarron à Sarrazin, d'une mesure encore plus gênante, puisqu'ils ne sont que de trois syllabes: Sarrazin Mon voisin, etc.

Cette fantaisie convenait à un poëte burlesque. On a été plus loin de nos jours, on a mis la Passion en vers d'une seule syllabe. Voici un échantil Íon de cette pièce bizarre, qui, je crois, n'a jamais été imprimée, et qui n'est connue que de quelques curieux.

De

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Ces prétendus tours de force ne prouvent que la manie puérile de s'occuper laborieusement de petites choses; et l'on en peut dire autant des acrostiches et de toutes les belles inventions de ce genre, imaginées apparemment par ceux qui avaient du temps à perdre.

Le nom de Marot est la première époque vraiment remarquable dans l'histoire de notre poésie, bien plus par le talent qui brille dans ses ouvrages, et qui lui est particulier, que par les progrès qu'il fit faire à notre

versification, qui furent très-lents et très-peu sensibles depuis lui jusqu'à Malherbe. On retrouve dans ses écrits les deux vices de versification qui dominèrent avant et après lui, les hiatus ou concours de voyelles, et l'inobservation de cette alternative nécessaire entre les rimes masculines et féminines. Mais on ne lui a pas rendu justice quand on lui a reproché d'avoir laissé subsister l'e muet au premier hémistiche, défaut capital qui anéantit la césure et le nombre, en faisant disparaître le repos où l'oreille doit s'arrêter. Cette faute, très-commune avant lui, est infiniment rare dans ses vers, et ne reparaît presque plus dans les poëtes de quelque nom qui l'ont suivi. Il faut donc le louer d'avoir contribué beaucoup à corriger ce défaut, destructeur de toute harmonie. Mais ce n'est là qu'un de ses moindres mérites : il eut un talent infiniment supérieur à tout ce qui l'a précédé, et même à tout ce qui l'a suivi jusqu'à Malherbe. On remarque chez lui un tour d'esprit qui lui est propre. La nature lui avait donné ce qu'on n'acquiert point: elle l'avait doué de grâce. Son style a vraiment du charme, et ce charme tient à une naïveté de tournure et d'expression qui se joint à la délicatesse des idées et des sentimens. Personne n'a mieux connu que lui, même de nos jours, le ton qui convient à l'épigramme, soit celle que nous appelons ainsi proprement, soit celle qui a pris depuis le nom de madrigal, en s'appliquant à l'amour et à la galanterie. Personne n'a mieux connu le rhythme du vers à cinq pieds et le vrai ton du genre épistolaire, à qui cette espèce de vers sied si bien. C'est dans les beaux jours du siècle de Louis XIV que Boileau a dit :

Imitez de Marot l'élégant badinage.

Il fut sans doute beaucoup plus élégant que tous ses contemporains; mais comme le choix des termes n'est pas ce qui domine le plus dans son talent, et que son langage était encore peu épuré, on aimerait mieux dire, ce me semble:

Imitez de Marot le charmant badinage.

Pour peu qu'on soit fait à un certain nombre de mots et de constructions qui ont vieilli depuis, on lit encore aujourd'hui, avec un très-grand plaisir, une partie de ses ouvrages; car il y a un choix à faire, et il n'a pas réussi dans tout. Ses Psaumes, par exemple, ne sont bons qu'à être chantés dans les églises protestantes. Mais quoi de plus galant, et même de plus tendre, que cette chanson?

Puisque de vous je n'ai autre visage,

Je m'en vais rendre ermite en un désert,
Pour prier Dieu, si un autre vous sert,
Qu'ainsi que moi, en votre honneur soit sage.
Adieu amour, adieu gentil corsage;
Adieu ce teint, adíeu ces friands yeux.
Je n'ai pas eu de vous grand avantage;
Un moins aimant aura peut-être mieux.

Que de sentiment dans ce dernier vers! On a depuis employé souvent la même pensée; mais jamais elle n'a été mieux exprimée.

On a tant de fois cité la petite pièce intitulée le Oui et le Nenni, qu'on me reprocherait avec raison de l'omettre ici.

Un doux nenni avec un doux sourire

Est tant honnête ! Il vous le faut apprendre,
Quant est d'oui, si veniez à le dire,
D'avoir trop dit je voudrais vous reprendre.
Non que je sois ennuyé d'entreprendre
D'avoir le fruit dont le désir me point;
Mais je voudrais qu'en me le laissant prendre,
Vous me disiez; Non, vous ne l'aurez point.

Nos agréables rimeurs, qui se sont plaints si souvent au public de trouver des maîtresses trop faciles, n'ont fait que commenter et paraphraser ces vers de Marot, et ne les ont sûrement pas égalés. On a de même imité et retourné de cent manières l'idée ingénieuse de ce madrigal, qui n'est pas moins joli que le précédent :

Amour trouva celle qui m'est amère,

(Et j'y étais j'en sais bien mieux le conte.)
Bonjour, dit-il, bonjour, Vénus ma mère ;
Puis tout à coup il voit qu'il se mécompte,
Dont la couleur au visage lui monte,
D'avoir failli, honteux, Dieu sait combien!
Non, non, Amour, lui dis-je, n'ayez honte,
Plus clairvoyans que vous s'y trompent bien.

En voici un autre ou il y a moins d'esprit, mais beaucoup de sensibilité, et l'un vaut bien l'autre :

Un jour la dame en qui si fort je pense
Me dit un mot de moi tant estimé,
Que je ne peux en faire récompense,
Fors de l'avoir en mon cœur imprimé ;
Me dit avec un ris accoutumé:

<«<Je crois qu'il faut qu'à t'aimer je parvienne ».
Je lui réponds: « N'ai garde qu'il m'advienne
« Un si grand bien, et si j'ose affirmer
«Que je devrais craindre que cela ne vienne,*
<< Car j'aime trop quand on me veut aimer »>.

Voltaire citait souvent épigramme suivante, qui est d'un genre tout différent : c'est ce que Despréaux appelait le Badinage de Marot.

Monsieur l'abbé et monsieur son valet

Sont faits égaux tous deux comme de cire.
L'un est grand fou, l'autre est petit follet.
L'un veut railler, l'autre gaudir et rire.
L'un boit du bon, l'autre ne boit du pire.
Mais un débat le soir entre eux s'émeut;
Car maitre abbé toute la nuit ne veut

Etre sans vin, que sans secours ne meure,
Et son valet jamais dormir ne peut,

Tandis qu'au pot une goutte en demeure.

On connaît la fin tragique, de Samblançay, sur-intendant des finances sous François Ier, et condamné à mort quoique innocent. Il fut mené au supplice par le lieutenant-criminel Maillard, dont la réputation était aussi mauvaise que celle de Samblançay était respectée. Nous avons sur ce sujet une épigramme de Marot, dans le goût de celle des anciens, l'on traitait quelquefois des sujets nobles; ce qui n'est point contraire au caractère de l'épigramme, qui peut prendre tous les tons, et qui peut finir aussi bien par une belle pensée que par un bon mot. Martial, Rousseau, Sannazar et beaucoup d'autres l'ont prouvé. Celle de Marot est d'autant plus remarquable, que c'est la seule où il ait soutenu le ton noble qui n'est pas le sien.

Lorsque Maillard, juge d'enfer, menait

A Montfaucon Samblançay l'âme rendre,
A votre avis, lequel des deux tenait

Meilleur maintien ? Pour vous le faire entendre:
Maillard semblait homme que mort va prendre,

Et Samblançay fut si ferme vieillard,

Que l'on cuidait pour vrai qu'il menât pendre
A Montfaucon le lieutenant Maillard.

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