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» qu'une ombre?.... Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser » tout entier, de peur que, croyant, avec les impies, que notre vie n'est » qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans mesure > au gré de ses aveugles désirs ».

Tout son discours est fondé sur cette distinction philosophique autant que chrétienne, et qu'ailleurs il développe ainsi :

« Il faut donc penser, Chrétiens, qu'outre le rapport que nous avons‚' » du côté du corps, avec la nature changeante et mortelle, nous avons, » d'un autre côté, un rapport intime avec Dieu, parce que Dieu même a >> mis quelque chose en nous qui peut confesser la vérité de son être, en » adorer la perfection, en admirer la plénitude; quelque chose qui peut » se soumettre à sa souveraine puissance, s'abandonner à sa haute et in>> compréhensible sagesse, se confier en sa bonté, craindre sa justice, es»pérer son éternité. De ce côté, Messieurs, si l'homme croit avoir en » lui de l'élévation, il ne se trompera pas; car, comme il est nécessaire » que chaque chose soit réunie à son principe, et que c'est pour cette rai» son, dit l'Ecclésiaste, que le corps retourne à la terre dont il a été tiré, » il faut, par la suite du même raisonnement, que ce qui porte en nous » la marque divine, ce qui est capable de s'unir à Dieu, y soit aussi rap» pelé. Or, ce qui doit retourner à Dieu, qui est la grandeur primitive et » essentielle, n'est-il pas grand et élevé? C'est pourquoi, quand je vous » ai dit que la grandeur et la gloire n'étaient parmi nous que des noms >> pompeux, vides de sens et de choses, je regardais le mauvais usage que » nous faisons de ces termes. Mais, pour dire la vérité dans toute son éten» due, ce n'est ni l'erreur ni la vanité qui ont inventé ces noms magnifi» ques; au contraire, nous ne les aurions jamais trouvés, si nous n'en >> avions porté le fonds en nous-mêmes. Car où prendre ces nobles idées » dans le néant? La faute que nous faisons n'est donc pas de nous être >> servi de ces noms; c'est de les avoir appliqués à des objets indignes ». Qu'on me permette encore ici une remarque, et toujours pour faire connaître de plus en plus le caractère du style de Bossuet. Avez-vous pris garde, Messieurs, à cette expression dont il se sert pour établir la seule élévation de l'homme dans son rapport intime avec Dieu ? Il y a, dit-il, quelque chose en nous qui peut se soumettre à sa souveraine puissance. Ne parait-il pas singulier d'énoncer comme un titre de grandeur une faculté de soumission? Non-seulement ce contraste d'idées et d'expressions est vraiment sublime, mais il y a ici un mérite propre à Bossuet, c'est de jeter rapidement des idées étendues sans s'arrêter à les développer. Il y a ici un grand fonds de vérités philosophiques, indiqué en peu de mots. En effet, quoiqu'il y ait infiniment moins de distance de la bête à l'homme que de l'homme à Dieu, cependant l'instinct de la bête ne va pas jusqu'à connaître la prodigieuse supériorité de la raison humaine; et la raison humaine, tout imparfaite qu'elle est, s'est élevée jusqu'à l'idée de l'intelligence divine, c'est à dire, jusqu'à l'idée de l'infini; et comme la conséquence nécessaire de cette idée est un sentiment de soumission, il est rigoureusement vrai que ce sentiment tient à ce qu'il y a de plus grand dans l'homme, à sa raison qui a conçu l'infini.

Rousseau a exprimé précisément la même idée que Bossuet, mais d'une manière toute différente: « Etre des êtres, le plus digne usage de ma rai» son, c'est de s'anéantir devant toi : c'est mon ravissement d'esprit, c'est » le charme de ma faiblesse, de me sentir accablé de ta grandeur ». L'un aperçoit une idée grande et vaste, l'indique et passe ; l'autre s'en saisit avec vivacité et en fait un sentiment.

On a souvent admiré dans Bossuet cette hauteur des pensées; mais ce que peut-être on n'a pas assez remarqué, c'est son expression, qui souvent

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dans les plus petites choses, anime et colorie tout. Veut-il parler de la discrétion de Madame Henriette : « Ni la surprise, ni l'intérêt, ni la vanité, >> ni l'appât d'une flatterie délicate ou d'une douce conversation, qui, sou» vent épanchant le cœur, en fait échapper le secret, n'était capable de lui » faire découvrir le sien ». A quoi tient le mérite de cette phrase? A cette image si naturelle et i juste qui semble placée là d'elle-mème, et qui re présente le cœur humain, qui s'ouvre quand on le séduit, sous la figure d'un vase qui se répand quand on l'a penché? Voilà des images douces : il est encore bien plus abondant en images fortes, et c'est une des propriétés de son style. « Charles-Gustave parut à la Pologne surprise et tra«hie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la met»tre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voyait >> fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'une aigle ? Où sont ces âmes guer»rières, ces marteaux d'armes tant vantés, et ces arcs qu'on ne vit jamais > tendus en vain? Ni les chevaux ne sont vites, ni les hommes ne sont >> adroits que pour fuir devant le vainqueur. ».

Dans l'oraison funèbre du grand Condé, de quels traits il peint son activité, sa vigilance, sa célérité ! » A quelque heure et de quelque côté que vien» nent les ennemis, ils le trouvent toujours sur ses gardes, toujours prêt » à fondre sur eux et à prendre ses avantages. Comme une aigle qu'on » voit toujours, soit qu'elle vole au milieu des airs, soit qu'elle se pose » sur le haut de quelque rocher, porter de tous côtés des regards perçans, » et tomber si sûrement sur sa proie, qu'on ne peut éviter ses ongles non » plus que ses yeux aussi vifs étaient les regards, aussi vite et impé» tueuse était l'attaque, aussi fortes et inévitables étaient les mains du » prince de Condé ».

Aucun des genres du style oratoire ne lui était étranger, pas même ceux qui sont d'un ordre secondaire et communément au-dessous de la trempe de son génie. Dans celui que les rhéteurs appellent tempéré, qui consiste principalement dans les ornemens de la diction et dans les figures brilJantes de l'amplification, dans ce genre qui est celui de Fléchier, il ne lui est pas moins supérieur que dans tout le reste. Je n'en veux pour exemple que l'apostrophe à l'Ile de la Conférence, où s'était conclu le mariage de l'Infante Marie-Thérèse d'Autriche avec Louis XIV. L'oraison funèbre de cette reine et celle du chancelier Letellier ne sont pas en général de la même force que les quatre autres. Le sujet n'en était ni aussi riche ni aussi intéressant: il convenait de le relever autant qu'il était possible par les ornemens de l'art : c'est-là qu'ils étaient bien placés. L'Ile de la Conférence et l'époque du mariage de Louis XIV, l'entrevue de Mazarin et de Louis de Haro, étaient des accessoires importans pour l'orateur : ils donnent lieu à un morceau où les figures ont autant d'éclat qu'il soit possible. « Ile pacifique où se doivent terminer les différends de deux grands » empires à qui tu sers de limite; île éternellement mémorable par les » conférence de deux grands ministres, où l'on vit développer toutes » les adresses et tous les secrets d'une politique si différente; où l'un se » donnait du poids par sa lenteur, et l'autre prenait l'ascendant par sa » pénétration: auguste journée où deux fières nations long-temps enne> mies, et alors réconciliées par Marie-Thérèse, s'avancent sur leurs con> fins, leurs rois à leur tête, non plus pour se combattre, mais pour s'em» brasser; où ces deux rois avec leur cour, d'une grandeur, d'une poli»tesse et d'une magnificence, aussi bien que d'une conduite si différente, > furent l'un à l'autre et à tout l'univers un si grand spectacle; fêtes sa>> crées, mariage fortune, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mê»ler aujourd'hui vos cérémonies et vos pompes avec ces pompes funè» bres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines? »

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Quant à ce pathétique noble qui vient de l'âme, et qu'il faut distinguer de ce pathétique doux qui vient du cœur, vous en avez vu des traits dans presque tout ce que j'ai cité : il est essentiel à l'oraison funèbre, et Bossuet en est rempli. Mais c'est surtout dans celle du grand Condé, et dans la péroraison qui la termine, qu'il s'est surpassé en cette partie. C'était aussi celle où triomphait Cicéron; mais il n'a aucune péroraison supérieure à celle-ci, qui réunit, ce me semble, toutes les sortes de beautés. « Venez, » peuples, venez maintenant; mais venez plutôt, princes et seigneurs, et » vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel; et vous, plus que tous les autres, princes et princesses, nobles re❤ »jetons de tant de rois, lumières de la France, mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de votre douleur comme d'un nuage; venez voir le » peu qui nous reste d'une si auguste naissance, de tant de grandeur, de » tant de gloire. Jetez les yeux de toutes parts: voilà tout ce qu'a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros des titres, des ins»criptions, vaines marques de ce qui n'est plus ; des figures qui semblent >> pleurer autour d'un tombeau, et de fragiles images d'une douleur que » le temps emporte avec tout le reste; des colonnes qui semblent vouloir » porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant; et rien » enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend. Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine, pleurez sur cette » triste immortalité que nous donnons aux héros. Mais approchez en par>> ticulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloi» re, âmes guerrières et intrépides! quel autre fut plus digne de vous >> commander? Mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement >> plus honnête? Pleurez donc ce grand capitaine, et dites tous en gémis» sant: Voilà celui qui nous menait dans les hasards; sous lui se sont >> formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux » premiers honneurs de la guerre; son ombre eût pu encore gagner des » batailles, et voilà que dans son silence son nom même nous anime ; et >> ensemble il nous avertit que, pour trouver à la mort quelque reste de >> nos travaux, et n'arriver pas sans ressources à notre éternelle demeure » avec les rois de la terre, il faut encore servir le Roi du ciel. Servez donc ce Roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un sou» pir et un verre d'eau donné en son nom, plus que tous les autres ne » feront jamais pour tout votre sang répandu, et commencez à compter » le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un » maître si bienfaisant. Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monu»ment, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? Tous » ensemble, à quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, envi»ronnez ce tombeau, versez des larmes avec des prières; et, admirant » dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, » conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage. » Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien ! ainsi puissiez-vous » profiter de ses vertus! et que sa mort que vous déplorez, vous serve à » la fois de consolation et d'exemple. Pour moi, s'il m'est permis, après » tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô » prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez » éternellement dans ma mémoire ; votre image y sera tracée, non point » avec cette audace qui promettait la victoire; non, je ne veux rien voir >> en vous de ce que la mort y efface: vous aurez dans cette image des > traits immortels: je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour, » sous la main de Dieu, lorsque sa gloire commença à vous apparaître. » C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroy: » et, ravi d'un si beau triomphe, je dirai en actions de grâces ces belles

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>> paroles du bien aimé disciple: Et hæc est victoria quæ vincit mundum, » fides nostra: La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde » entier, c'est notre foi. Jouissez, prince, de cette gloire ; jouissez-en éter>> nellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers > efforts d'une voix qui vous fut connue, vous mettrez fin à tous ces dis» cours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, doréna»vant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon ad>> ministration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de » vie les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint »!

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Quel mélange de douceur et d'onction, de noblesse et de simplicité ! Avouons que l'éloquénce ne peut pas aller plus loin; avouons que la renommée, qui a consacré depuis un siècle le nom de Bossuet, n'a pas été une infidèle dispensatrice de la gloire. Figurons-nous ce grand homme, aussi vénérable par son âge et sa belle figure que par ses talens et ses dignités, prononçant ces dernières paroles devant une cour accoutumée à recueillir avec respect toutes celles qui sortaient de sa bouche, et mêlant l'idée de sa mort prochaine à celle du héros qu'il venait de célébrer : combien ce retour sur lui-même dut paraître touchant! Sans m'arrêter à toutes les beautés de cette sublime péroraison, je ne puis m'empêcher du moins d'en observer une, qui, peut-être, n'est pas très-frappante par ellemême, mais qui pourtant me paraît digne de remarque par la placc où elle est : c'est, je l'avouerai, ce verre d'eau donné au pauvre, mis en opposition avec toute la gloire du grand Condé. Jamais, ce me semble, un homme ordinaire n'eût osé risquer, même en chaire, ce contraste hasardeux ; mais Bossuet a senti que cette citation, toute vulgaire qu'elle pouvait être, était non seulement autorisée par l'Evangile, mais encore ennoblie par l'humanité, à qui l'on ne pouvait rendre un plus bel hommage que de la mettre au-dessus de toute la grandeur de Condé ; et j'avoue que je ne saurais me défendre d'en savoir gré à l'auteur.

On a beaucoup parlé de ses prétendues inégalités; et surtout ceux qui ont affecté de poser en principe que le génie était essentiellement inégal, parce qu'au fond ils auraient bien voulu que leurs fautes de toute espèce fussent regardées comme des inégalités de génie, ont été jusqu'à rapprocher sous ce point de vue Corneille et Bossuet, qui ont entre eux d'autres rapports que j'ai indiqués, mais qui n'ont pas celui-là; il s'en faut de tout que Bossuet tombe jamais aussi bas que Corneille, et même il tombe très-rarement. On ne peut pas donner le nom de chutes à quelques morceaux moins élevés que les autres, mais dont la simplicité n'a rien de répréhensible. En général son éloquence est aussi saine qu'elle est forte; et que peut-on y reprendre? qu'un petit nombre d'expressions un peu familières, ou qui même ne le sont devenues qu'avec le temps. Par exemple, vous trouverez chez lui que la France commençait à donner le branle aux affaires de l'Europe. Ce mot, qui est bas aujourd'hui, ne l'était nullement alors. Il était employé en prose et en vers par les écrivains les plus élégans. Boileau disait, en parlant de la fortune :

On me verra dormir au branle de sa roue.

Ce mot est fréquent dans Massillon même, qui écrivit long-temps après cette époque, et dans les vingt premières années de notre siècle. Ce n'est que de nos jours que, dans le style noble, ce terme a été remplacé par celui du mouvement, qui en lui-même ne vaut pas mieux pour la prose, et beaucoup moins pour la poésie : c'est un caprice de l'usage. Le juste >> ne peut pas même obtenir que le monde le laisse en repos dans ce sen» tier solitaire et rude, où il grimpe plutôt qu'il ne marche ». Le mot

: «

propre était gracit, qui est même plus expressif, puisque gravir c'est grimper avec effort. Au sujet des troubles d'Angleterre, il s'exprime ainsi avec son énergie ordinaire : Ces disputes n'étaient encore que de fai»bles commencemens, par où des esprits turbulens faisaient comme un » essai de leur liberté. Mais quelque chose de plus violent se remuait au >> fond des cœurs : c'était un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, » et une démangeaison d'innover sans fin ». Démangeaison est du style familier on pouvait mettre et un besoin d'innover.

Il y a une autre sorte d'expressions familières qui choqueraient dans un écrivain médiocre. parce qu'elles tiendraient de la faiblesse, et qui plaisent chez lui, d'abord parce qu'elles ne peuvent paraitre une impuissance de dire mieux dans un homme dont l'élocution est ordinairement si élevée, ensuite parce qu'elles sont de nature à faire sentir que leur extrême simplicité est ce qu'il y a de mieux pour la force du sens et le dessein de l'auteur. Un exemple me fera comprendre: La voilà telle que la mort nous l'a faite. Cette phrase en elle même est du style familier: placez-la dans un discours faiblement écrit, elle fera rire. Dans Bossuet, elle est frappante de vérité et d'énergie. Pourquoi? c'est qu'après avoir dit sur le même sujet ce qu'il y a de plus relevé, il finit par ne trouver rien de plus expressif que cette locution vulgaire, il est vrai, mais qui rend si bien en un seul mot tout ce que la mort a fait de Madame, que les termes les plus choisis n'en diraient pas autant. C'est ainsi que la valeur des termes dépend souvent de celle de l'auteur qui les emploie; et l'on pourrait dire, comme un proverbe de goût, taut vaut l'homme, tant vaut la parole.

L'on a vu combien les taches sont légères et faciles à effacer : elles sont, je le répète, très-clair-semées, même dans les deux oraisons funèbres qui, par la nature du sujet, devaient être inférieures aux autres, celles de Marie-Thérèse et de Letellier. Quant à la première, Louis XIV, au moment où elle mourut, en avait fait en une seule phrase le plus grand éloge possible: Voilà, dit-il, le premier chagrin qu'elle m'ait donné. Le discours de Bossuet ne pouvait être que le développement de ce beau mot qui renferme le panégyrique le plus complet qu'un époux, et surtout un époux roi, puisse jamais faire de sa femme. Mais on sait que les vertus domestiques et modestes ne sont pas celles qui prêtent le plus à la grande éloquence, à celle qui s'adresse aux hommes rassemblés. Dans tout ce qui prétend aux grands effets, il faut quelque chose qui se rapproche du dramatique, des désastres, des révolutions, des scènes, des contrastes : voilà ce qui sert le mieux le poëte, l'orateur, l'historien; il semble que l'homme aime mieux être ému que d'être instruit : l'éloge de la simple vertu ressemble à un beau portrait : quelque parfaite qu'en soit l'exécution, il frappera beaucoup moins qu'une physionomie passionnée dans un tableau d'histoire; et c'est encore là un de ces principes généraux par lesquels tous les arts se rapprochent les uns des autres.

A l'égard du chancelier Letellier, l'ouvrage de Bossuet offre ici un de ces exemples de l'exagération du panégyrique, contredite par la sévérité de l'histoire. Ce magistrat eut certainement des qualités estimables, et rendit des services au gouvernement dans le temps de la Fronde; mais il ne sera jamais regardé comme un modèle de justice et de vertu. La part qu'il eut à la révocation de l'édit de Nantes pouvait, je l'avoue, n'être chez lui qu'une erreur, puisque ce fut celle de presque toute la France, et même de Bossuet, qui n'y voyait que le triomphe de la religion dominante. La postérité a pensé autrement, et l'on convient aujourd'hui que cette grande faute contre la politique en était une aussi contre le véritable esprit du christianisme, qui n'en reste pas moins ce qu'il est, même quand des Chrétiens s'y trompent.

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