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tagion de principes, d'exemples, d'actions et de paroles qui aient jamais infecté l'espèce humaine, sans que, depuis quatre années, les réformateurs du monde aient pu seulement ouvrir une école où l'enfance puisse apprendre à lire et à écrire, à honorer Dieu et ses parens.

Mais que me répondraient ces maîtres anciens, si tristement vengés et si affligés de l'être? Qu'il n'arrive que ce qui doit arriver, et que, quand une justice suprême, à la fois sévère et prévoyante, a permis que la horde révolutionnaire se déchaînât parmi nous, elle a voulu que l'orgueil devînt stupide en devenant féroce, et que ces mêmes hommes, éminemment armés de tous les moyens de détruire, fussent en même temps frappés de l'irrémédiable impuis sance de rien édifier.

Et moi, je dirai aux dignes représentans qui ne peuvent être confondus avec ces ennemis du genre humain, à ceux qui, de concert avec quelques écrivains honnêtes et courageux, luttent contre l'influence encore menaçante des derniers fauteurs de la barbarie : Si vous voulez ramener la lumière et les mœurs après les ténèbres et les crimes, rétablissez les anciennes écoles; rétablissez-les, avec les réformes très-faciles et très-légères que peut comporter la nature d'un gouvernement libre et légal. Il est aussi trop absurde que des universités ne puissent se concilier avec une république, et qu'une république puisse craindre des universités.

C'est cet intérêt si pressant et si prochain qui m'a entraîné un moment, non pas hors de mon sujet, mais un peu au-delà. Vous le pardonnerez sans doute en faveur de l'intention, quand bien même elle serait sans effet. Je reviens.

Charlemagne retarda peut-être les progrès de la langue française en faisant régner dans ses vastes états la langue des Romains, qui fut généralement en France celle des lois et des actes publics jusqu'à François I.er. Si nous jetons les yeux sur l'Espagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, nous les voyons, pendant près de six cents ans, foulées tour à tour sous le choc des Barbares qui s'en disputent la possession; et lorsque les nations, formées de ce mélange d'indigens asservis et de conquérans étrangers, ont pris quelque consistance, l'Europe entière, comme arrachée de ses fondemens par cet enthousiasme de croisades que la Providence ne paraît pas avouer, se renverse sur l'Asie-Mineure, sur la Palestine et l'Egypte; et ces longues et violentes secousses éloignent encore le moment où les peuples du Nord, qui des provinces romaines de l'Occident avaient fait tant de royaumes, pouvaient déposer par degrés la rouille de leur origine, et se dégager de cette grossièreté de mœurs et de langage, incompatible avec la culture des arts. Les croisades servirent à l'affranchissement des communes et au développement des idées de commerce; mais, en agitant les empires encore peu affermis, elles ôtaient aux gouvernemens, de

qui tout dépend toujours, le loisir et les moyens de s'occuper des lettres.

Dans cet engourdissement des esprits, à qui avons-nous l'obligation d'avoir conservé du moins une partie des matériaux dispersés, qui servirent dans la suite à reconstruire l'édifice des connaissances humaines? L'histoire, qu'on ne saurait démentir, répond pour nous que c'est encore aux gens d'église eux seuls avaient quelque teinture des lettres, et de là vient que le nom de clerc devint le synonyme d'homme lettré, et se donna même par extension à quiconque savait lire; ce qui, pendant long-temps, fut assez rare pour être un titre privilégié. Je ne dissimulerai point que cet avantage fut un de ceux dont abusa la corruption, qui se mêle à tout bien sans le détruire. On s'est quelquefois étonné que les peuples et les rois aient souffert patiemment les usurpations de la puissance sacerdotale : la raison s'étonne seulement qu'on ait été de nos jours assez injuste et assez inconséquent pour les attribuer à la religion qui les a toujours condamnés et à l'église qui les a toujours désavoués. La raison sait que le bien est dans la nature des choses, et le mal dans la nature de l'homme qui abuse des choses. Cette patience qu'on reproche aux peuples n'était pas seulement une conséquence mal entendue du respect, d'ailleurs légitime en luimême, que l'on rendait à un ministère sacré ; c'était aussi une suite naturelle du pouvoir des lumières sur l'ignorance. Pour remédier à cet abus des lumières, qui n'existait plus depuis qu'elles étaient répandues par le secours de l'imprimerie, on a imaginé de nos jours de faire régner l'ignorance sur les lumières; et nous n'avons pas besoin d'attendre ce que l'histoire dira de ce système nouveau, résumé complet et digne résultat de l'esprit révolutionnaire : l'expérience a été, ce me semble, assez forte pour être une leçon suffisante; ou si elle ne suffisait pas, il est douteux que la Providence elle-même, qui ne peut que le possible, pût donner une leçon plus efficace. Après ce que nous avons vu, et ce que nous voyons, il ne paraît pas qu'elle puisse faire davantage pour corriger une nation tombée en démence, à moins de l'anéantir.

On doit donc aux études des clercs d'avoir préparé le rétablissement des lettres par la conservation des manuscrits, trésors uniques avant l'imprimerie: on leur doit la perpétuité des langues grecque et latine, sans laquelle ces trésors devenaient inutiles. La plupart ont été déterrés en différens temps dans la poussière des bibliothèques monastiques; et c'est surtout depuis le douzième siècle jusqu'au quinzième que les copies des ouvrages de l'antiquité commencèrent à devenir moins rares, et firent d'abord renaître l'érudition, qui long-temps ne s'énonça guère qu'en latin, aucun peuple ne se fiant encore assez à sa propre langue pour la croire capable de faire vivre les productions de l'esprit. La poésie seule plus audacieuse, avait hasardé quelques essais informes, qui ressemblaient au bégaiement de l'enfance. Deux hommes pourtant,

avant que l'imprimerie fût connue, furent assez heureux pour produire dans leur idiome naturel des ouvrages qui contribuèrent à le fixer, et que leur mérite réel a même transmis jusqu'à nous. Ce fut l'Italie qui eut cette gloire; ce qui prouve que sa langue est celle des langues modernes qui a été perfectionnée la première, et que ce fut le pays de l'Europe où, dans les temps de barbarie, il se conservait encore le plus d'esprit et de goût pour les arts. Ces deux hommes furent le Dante et Pétrarque: l'un, dans un poëme d'ailleurs monstrueux et rempli d'extravagances que la manie paradoxale de notre siècle a pu seule justifier et préconiser, a répandu une foule de beautés de style et d'expressions, qui devaient être vivement senties par ses compatriotes, et même quelques morceaux assez généralement beaux pour être admirés par toutes les nations; l'autre, né peut-être avec moins de génie, mais avec plus de goût, a eu le défaut, il est vrai, de faire de l'amour un jeu d'esprit presque continuel : mais cet esprit a quelquefois saisi le ton et le langage du sentiment, surtout dans ses odes appelées Canzoni, et même a su, dans des sujets plus relevés, tirer de sa lyre · quelques sons assez nobles et assez fermes pour nous rappeler celle d'Horace. Son plus grand mérite est dans une élégance qui lui est particulière, et qui l'a mis au rang des classiques de son pays. Il fut le maître de Boccace, qui fit pour la prose italienne ce que Pétrarque avait fait pour les vers, dans ce même pays qui semblait destiné à faire tout renaître. Il se distingua, il est vrai, dans un genre moins relevé que celui de Pétrarque, mais heureusement susceptible, par sa variété, de tous les caractères d'élégance qui peuvent convenir à la prose. Le conteur Boccace joignit à la naïveté du récit une pureté de diction qui, plusieurs siècles après lui,. le rend encore, pour ainsi dire, le contemporain des auteurs les plus estimés en Italie; et c'est un avantage que n'ont point en France ni en Angleterre les écrivains qui ont montré du talent avant que leur langue fût fixée: la tournure de leur esprit a préservé leurs ouvrages de l'oubli, mais n'a pu empêcher leur langage de vieillir.

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Le milieu du quinzième siècle fut l'époque mémorable de l'invention de l'imprimerie, de cet art nouveau dont les effets ont été si étendus en bien et en mal, que les déclamateurs inconsidérés ou passionnés, dont tout l'esprit consiste à ne montrer qu'un côté des objets, ne pourront jamais épuiser ici ni l'éloge, ni la satire. Le bon sens, qui est l'opposé de la déclamation, commence par reconnaître que cette invention, comme toutes celles qui contribuent à étendre l'exercice des facultés de l'homme, est bonne en ellemême, et l'une des plus belles et des plus ingénieuses de l'esprit humain. Si, dans l'application des procédés de cet art, il a usé de sa liberté naturelle pour tirer également de l'imprimerie de bons et de mauvais effets, ce n'est pas l'art qu'il faut accuser, c'est l'homme. C'est à l'histoire à évaluer l'influence très-sensible sous

tous les rapports, qu'a dû exercer l'imprimerie depuis trois siècles. C'est à l'autorité légale et à la morale publique, partout où l'une et l'autre existent, à diriger l'usage et à réprimer l'abus, sans pourtant se flatter jamais que l'usage puisse subsister de manière à ce qu'il n'y ait pas lieu à l'abus; absurdité la plus grande possible, chimère de perfection, la plus folle et la plus pernicieuse de toutes les chimères, qui n'était jamais tombée dans la tête d'auçun peuple ni d'aucun gouvernement, et que la postérité marquera comme un des principes originels, un des caractères distinctifs de l'esprit révolutionnaire, qui est descendu si fort au-dessous de tout ce qui avait jusque-là déshonoré la nature humaine, précisément parce qu'il a commencé par vouloir s'élever au-dessus d'elle; qui n'est devenu assez atroce pour tout bouleverser que parce qu'il a été assez sottement orgueilleux pour prétendre tout corriger. On ne se doute pas communément de tout ce que renferme cette fé→ conde et terrible vérité : il n'était pas inutile d'en jeter ici le germe, qui sera développé ailleurs et en son temps.

L'imprimerie, en multipliant avec tant de facilité les images de la pensée, a établi d'un bout du monde à l'autre la correspondance continuelle et rapide de la raison et du génie. En parlant aux yeux bien plus vite que la plume, elle a gagné, au profit de l'instruction, tout le temps que faisaient perdre les difficultés réunies de l'écriture et de la lecture, et il a été permis à l'homme qui pense de communiquer, dans le même moment, avec tous ceux qui lisent. En rendant les livres aussi communs et aussi populaires que les manuscrits étaient rares et peu accessibles, elle à tiré la science et la vérité de la retraite des lettrés, et les a répandues dans l'univers. Elle a donc certainement hâté la renaissance et le nouveau progrès des arts, et il lui a été donné de pouvoir dire à la barbarie, même après la révolution française : Tu ne règneras pas; à la puissance injuste, qui auparavant n'etait guère dénoncée qu'aux temps à venir: Tu entendras dès ce moment ta sentence prononcée partout; à l'homme capable de dire la vérité: Parle, et le monde entier entendra ta voix.

Ce sont-là de grands bienfaits sans doute; le mal n'est pas moin dre, et je serais dispensé des preuves, quand même ce serait ici le lieu d'en parler: elles sont depuis long-temps dans notre expérience, et tout à l'heure dans notre histoire. Ce qu'il peut y avoir de consolant, c'est qu'en cela, comme en tout le reste, le mal ayant même passé le terme imaginable, nous sommes, par une marche irrésistible, ramenés pas à pas vers le bien; et c'est ce qui explique parfaitement l'opposition furieuse des auteurs et des fauteurs du mal à cette liberté de penser et d'écrire, dont le nom seul de l'imprimerie a dû vous rappeler le souvenir. J'applaudis volontiers aux écrivains honnêtes et courageux qui en défendent les droits, et je m'honore d'avoir été un des premiers à paraître dans

B.

la lice, quand j'ai cru pouvoir appuyer la raison sur la volonté générale. Mais j'avoue que les efforts de nos adversaires ne m'ont jamais causé ni étonnement, ni scandale. Ce n'est pas moi qui leur reprocherai d'être en contradiction avec eux-mêmes, et de vouloir aujourd'hui subordonner à l'action de leur police cette même liberté de la presse qu'ils ont tant de fois déclarée supérieure à toute espèce d'autorité. Comme leurs actions m'ont de tout temps appris à connaître leur langage, je sais trop bien qu'il n'a jamais été le nôtre, et que les mêmes mots n'ont pas pour eux et pour nous le même sens. C'est, en effet, la licence qu'ils avaient consacrée pour renverser ou flétrir tout ce que les hommes connaissent de sacré; et ils étaient si loin de la liberté, que, pendant des années, on n'a pu écrire autrement que dans leur sens, si ce n'est au péril ou aux dépens de sa vie. Cette liberté a donc été alors muette, et enchaînée, et enchaînée par eux seuls. Depuis qu'une constitution, dont ils se croient obligés de respecter au moins le nom, ne permet plus d'abattre cette liberté avec le glaive, ontils cessé un moment de l'attaquer par tous les moyens du pouvoir ou de la corruption? N'ont-ils pas été sans cesse occupés à l'anéantir, s'il était possible, par des actes arbitraires qu'ils osent appeler des lois? Je me garderai donc bien de leur dire qu'ils sont inconséquens; mais je leur dirai: Vous êtes bien malheureusement conséquens dans un bien malheureux système. Vous voulez à tout prix vous rendre les maîtres de l'opinion, parce que l'opinion est aussi une puissance, et la seule que vous n'ayez pas. Oui, c'en est une sans doute; et il faut bien qu'elle soit réelle, puisque, seule et dénuée de toute autre force, elle épouvante encore ceux qui ont toutes les forces dans leurs mains. Eh bien! il faut la conquérir; mais sachez qu'on n'en vient pas à bout avec des canons et des baïonnettes, ni avec des décrets, pas plus qu'avec la plume de vos mercenaires. Il n'y a qu'une seule et unique voie pour y parvenir : c'est de mettre d'accord la conduite des gouvernans avec la conscience des gouvernés. S'il vous en coûte trop de faire cette alliance avec l'opinion, vous réduirez-vous à lui imposer encore silence par la terreur? Je suppose encore possible ce qui, tout au plus, ne l'a été qu'une fois : Vous n'aurez encore rien gagné. Sachez que la vérité n'en est pas moins une puissance, même quand elle se tait; car elle reste dans les cœurs jusqu'au moment où elle en sort tout armée : et ce moment toujours inévitable, ne se fait pas même attendre long-temps. Enfin, tuerezvous tous ceux qui sont capables de la dire? Et qui a tué plus de monde que Robespierre? Il n'a pas tué la vérité. Elle est éternelle comme son auteur, sans quoi il y a long-temps que le crime serait seul maître de la terre.

Les premiers ouvrages que l'impression fit éclore, furent dictés par les Muses latines, qui revenaient avec plaisir, sous le beau

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