Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Et je crois des destins apaiser le courroux'.
Si du ciel quelque jour ma prière exaucée
Console ma jeunesse errante et délaissée,
Je veux dans votre sein habiter désormais.
Recevez Herminie, et rendez-moi la paix,
Cette paix que l'amour dès long-temps m'a ravie;
Laissez-moi reposer ma languissante vie,

Et retrouver encor auprès de mon vainqueur
Une pitié si douce et si chère à mon cœur.
Je ne demande pas ma première couronne;
Herminie aux Latins sans regret l'abandonne :
Heureuse, en me cachant sous vos fameux drapeaux,
De voir le calme enfin succéder à mes maux.

Les beautés de cet épisode, dont la suite est si

1

L'Italien dit avec un charme particulier :

L'innamorata donna iva col cielo

Le sue fiamme sfogando ad una ad una :

E secretarj del suo amore antico

Fra i muti campi, e quel silenzio amico.
Poi rimirando il campo, ella dicea:
O belle agli occhi miei tende latine,
Aura spira da voi che mi ricrea

E mi conforta, pur che m'avvicine.

Voici la traduction littérale des trois derniers vers : « O tentes des Latins, si belles à mes yeux, il vient de vous jusqu'à moi un souffle qui récrée mes sens et me fortifie, toutes les fois que je m'approche de vous. » Voilà ce qu'il faut rendre sans altération pour faire sentir toute la grace de la pensée ; ensuite il reste à imiter la mélodie du Tasse; et c'est là une grande difficulté, même pour un poëte habile.

› J'emprunte ces vers à la belle traduction de M. BaourLormian.

touchante, ne peuvent échapper à personne. Je me contenterai de remarquer qu'on y respire un parfum de pudeur et d'innocence qui suffirait seul pour donner à l'imitation, sur l'original, tout l'avantage qu'un amour vertueux a sur une passion qui commence sous de sinistres auspices, et dont les plus douces pensées, les plus agréables inspirations, sont obscurcies par des images odieuses.

Nous avons laissé Didon occupée tout entière de son amour, et ne pouvant trouver le repos qu'elle implore. Aussi passionnée, mais moins malheureuse que Phèdre, parcequ'elle peut parler sans avouer un crime odieux au ciel et à la terre, Didon est dans cet état où le secret long-temps renfermé demande à s'échapper dans le sein de l'amitié. Éperdue, hors d'elle-même, elle va trouver sa sœur, fidèle confidente de toutes ses pensées, et lui parle ainsi :

[ocr errors]

Élise, ma sœur, quelles sont donc les images qui troublent mon sommeil et jettent dans mon » âme incertaine une terreur inconnue? Quel est >> cet étranger nouvellement admis dans mon em» pire? quel air majestueux! quel courage du » cœur ! quelle intrépidité au milieu des combats '.

Le courage et la gloire dans un homme touchent le cœur de toutes les femmes. L'altière Viriate dit aussi, comme la reine de

Ah! je le crois, et mon cœur me l'assure, il »est du sang des dieux; toujours quelque crainte » décèle une âme dégénérée. Comme les destins » ont pris plaisir à tourmenter ce héros! combien › de fois n'a-t-il pas épuisé toutes les fureurs de la

Carthage, mais d'une autre manière : Quam fortis pectore et armis!

J'aime en Sertorius ce grand art de la guerre
Qui soutient un banni contre toute la terre;
J'aime en lui ces cheveux tout couverts de lauriers,
Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,
Ce bras qui semble avoir la victoire en partage.

Sertorius, acte 11, scène 1oo.

L'Hermione de Racine est pleine du même enthousiasme que Didon et Médée, lorsqu'elle dit à sa confidente:

Sais-tu quel est Pyrrhus? t'es-tu fait raconter

Le nombre des exploits... Mais qui peut les compter?
Intrépide, partout suivi de la victoire,

Charmant, fidèle enfin ; rien ne manque à sa gloire.

Le même sentiment éclate dans le discours où Phèdre, entraînée par une passion fatale, s'emporte jusqu'à vanter la pudeur et la beauté d'Hippolyte devant lui-même :

Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,

Tel qu'on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.

On peut encore rappeler ici le portrait de Thésée par Ariane, dans Thomas Corneille, et surtout ces beaux vers de Bérénice : De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur? Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur? Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée, Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée, Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,

D

» guerre! Si je n'avais pas formé le dessein irrévoca» ble de ne jamais renouer une autre chaîne, de» puis le jour fatal où la mort a déçu mon premier

[ocr errors]

» amour et mes espérances de bonheur; si le lit de l'hymen et ses flambeaux ne m'étaient devenus » odieux, peut-être voici la seule erreur où j'au>> rais pu tomber. Oui, ma sœur, je l'avouerai, de» puis le cruel trépas du malheureux Sichée, de» puis le moment qui vit rejaillir sur nos dieux » pénates son sang versé par un frère impie, ce

Qui tous de mon amant empruntaient leur éclat.

Ce port majestueux, cette douce présence.

Acte I, scène v.

On peut citer aussi les expressions suivantes, où respire l'enthousiasme de Zaïre pour Orosmane :

Mets-toi devant les yeux sa grace, ses exploits;

Songe à ce bras puissant, vainqueur de tant de rois,

A cet aimable front que la gloire environne.

Au quatrième acte, Zaïre dit encore:

Acte I, scène iv.

Généreux, bienfaisant, juste, plein de vertus,
S'il était né chrétien, que serait-il de plus ?

On trouve dans Shakespeare une admirable et naïve peinture des impressions profondes que fait sur un jeune cœur le héros qui raconte ses malheurs et ses exploits. Le duc de Venise demande à Othello s'il a, par des moyens iniques et violents, soumis et empoisonné les affections de Desdemona. Le Maure, après avoir prié le duc de l'entendre elle-même, ajoute :

"

Son père m'aimait; il m'invitait souvent, toujours il me ques

Troyen seul a ému mes sens, et entraîné vers lui » ma volonté chancelante. Je reconnais les traces

9

D

» du feu dont j'ai brûlé; mais que la terre ouvre >ses abîmes sous mes pas, que le puissant maître › des dieux me précipite, avec sa foudre, dans le sé» jour des ombres, des pâles ombres de l'Érèbe et » de la nuit profonde, avant, ô pudeur, que je > viole tes lois et mes serments. Le premier qui m'unit à son cœur a emporté mes amours; qu'il » les garde avec lui et les conserve dans le tom

D

tionnait sur l'histoire de ma vie, sur les batailles, les siéges où je m'étais trouvé, les hasards que j'avais courus... Pendant mes récits, Desdémona, sérieuse et attentive, se penchait pour m'écouter; et si elle était distraite par quelques soins domestiques, elle rentrait aussitôt, et, d'une oreille avide, dévorant mes discours, elle tâchait d'en reprendre le fil. Je profitai de cette remarque; je saisis un moment favorable, et je trouvai le moyen de disposer son cœur à me faire une prière : c'était de lui raconter tout mon pèlerinage dans l'univers. J'y consentis, et souvent je surpris des larmes dans ses yeux quand je rappelais quelque aventure malheureuse de ma jeunesse. Desdémona, profondément émue, s'écria que mon sort était digne de pitié, digne de la plus grande pitié. Elle souhaitait de ne l'avoir pas entendu;... et cependant elle souhaitait que le ciel l'eût fait naitre homme et mise à ma place. Elle me remercia, et me dit, « si j'avais un ami qui l'aimât, de lui apprendre seulement à raconter mon histoire, et qu'il saurait comment la rendre sensible. » A cette ouverture de son cœur, je parlai : elle m'aima pour les dangers que j'avais courus, je l'aimai pour la pitié qu'elle donnait à mes malheurs; voilà ma seule magie.

« AnteriorContinuar »