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L'abbé de Daugeau:-" Notre e muet contribue beaucoup à cette infinie variété de sons et de terminaisons qui fait une des plus grande beauté de notre langue."

Larousse (Dictionaire): "L'e muet n'est autre chose que la suite de l'air sonore modifié par les organes de la parole pour faire entendre les consonnes (mais très-souvent c'est pourtant une voyelle bien accentuée). L'e muet est une des principales causes de la douceur de notre langue et une de ses plus délicieuses harmonies. Elle modifie toujours avec bonheur la voyelle qu'elle accompagne; elle adoucit la prononciation de certaines consonnes, et donne parfois d'agréables désinences à des sons qui sans elle seraient secs et durs. Elle forme presque à elle seule tout le rhythme et la cadence de notre versification. L'e muet est dans notre langue ce qui est en hébreu le point voyelle qu'on appelle scheva. C'est l'e très-obscur que dans toutes les langues on est obligé de sous-entendre quand on veut prononcer deux consonnes de suite dans la même syllabe, surtout si ces deux consonnes sont un peu fortes à articuler. La seule différence entre les autres nations et nous, c'est que nons écrivons cet e que les autres indiquent bien plus rarement; mais la prononciation est à peu près la même." Il y a pourtant des différences bien accentuées.

Littré, dans son Dictionnaire sous la lettre e. "L'e muet à la fin des mots laisse tomber la voix d'une manière très-douce, et que Voltaire a heureusement caractérisée: Vous nous reprochez nos e muets comme un son triste et sourd qui expire dans notre bouche, mais c'est précisément dans ces e muets que consiste la grande harmonie de notre prose et de nos vers; empire, couronne, diadème, flamme, tendresse, victoire, toutes ces désinences heureuses laissent dans l'oreille un son qui subsiste encore après le mot commencé, comme un clavecin qui résonne quand les doigts ne frappent plus les touches. Voltaire, Lettre à Tovazzi, 24 juin 1761."

Malvin-Cazal, Traité de Pronon. p. 19. "Les différents sons accidentels de l'e muet présentent le plus de difficulté dans la lecture; aussi nous occupera-t-elle plus à elle seule que toutes les autres. Il s'agit de savoir quand il représente son son propre, plus ou moins sensible, ou celui de é fermè, ou de e moyen, plus ou moins ouvert, ou celui de ê très-ouvert, ou celui de a moyen, on enfin celui où le son qu'elle peint s'éclipse entièrement de la prononciation. Dans aucune langue, ni vivante ni morte, il n'est possible de proférer une articulation initiale, finale, ou dans le corps des mots sans le secours du son d'une voyelle, et à defaut d'autre son c'est celui de l'e muet qui nous sert à la faire entendre. Une consonne à la fin d'un mot doit ou y être muette, ou y être suivie d'une voyelle prononcée, écrite ou non. Le Français seul l'écrit. Les autres langues la prononcent mais ne l'écrivent pas." Mais il

faut ajouter, quand les Français font entendre cet e,ils y appuient beaucoup plus fort que ne le font les autres nations dans la prononciation de groupes de consonnes semblables dans leurs langues.

M. Malvin-Cazal ne connaît pas la distinction moderne entre les syllabes fermées et les syllabes ouvertes et pour cette raison il donne sur la prononciation de l'e muet des régles extrêmement compliquées. Il dit, par ex. "L'e inaccentué précédé d'une ou plusieurs consonnes (re excepté), et suivi d'une consonne redoubleé, autre que r, ou de deux consonnes différentes, et que la sy ilable suivante ne contient pas d'e muet, a le son de é fermé: belfroi, bellâtre, pellée, bellissime, bellot, deffubler messéance, dresser, guetter, inpetto, vexé, Mexician etc." Pour lui les termes e non accentué et e muet sont synonymes

L. Dochez dans son Dictionnaire sous e dit: "L'e muet qui se retrouve dans toutes nos phrases et que les autres nations ne connaissent pas (et les Anglais ?) n'est qu'une demi-voyelle ; ou plutôt c'est la vibration d'une consonne qui finit et se prolonge."

M. Legouvé L'Art de la Lecture, p. 175 pose comme principe de lecture qu'il faut prononcer les e muets.-Donnée dans cette généralité, personne n'obserye cette règle, et je ne doute pas que M. L. lui-même ne la suive. P. 176: il ajoute: "quant aux e muets la règle de dérogations permises dépend du genre de la lecture. Il faut distinguer entre la lecture de la prose et la lecture de la poésie; dans la prose même, il faut distinguer entre les genres: la comédie, par exemple, permet et parfois exige une sorte de négligence qui tient à l'âge ou au caractère des personnages."

M. Morin,Traité de Prononciation, p. 14 dit sur l'articulation de l'e muet: "L'e muet exige que la bouche soit plus ouverte qu'elle ne doit être pour l'articulation de l'e fermé, il a le son de eu, dans je, jeune, quand il n'est pas nul." C'est juste seulement pour l'e muet des monosyllabes.

Diez, Grammaire des Langues Romanes I vol. p. 391: “L'e muet ne se présente qu'à la médiale et à la finale, jamais à l'initiale. Il est à peine sensible; en poésie, où il compte pour une syllabe, il s'entend quelque peu d'avantage, mais ce n'est ni un e ni une autre voyelle, de sorte que, par exemple, pour demander on pourrait tout aussi bien écrire d'mander." "Le son faible qui se fait à peine" sentir entre le d et le m," dit Dumarsais, renvoyant à cet exemple est précisément l'e muet." C'est une définition des plus superficilles.

A la fin des mots il sert à faire ressortir la voyelle précédente ou à déterminer la prononciation de la consonne.rose, fidèle fable." Dans les monosyllabes comme je me, ne, se, le, de, te, que, il a un son un peu plus distinct, presque celui de eu bref."

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On ne le trouve pas devant une voyelle; on écrit boire et non beoir, (cependant on écrit asseoir); il ne se trouve pas non

plus devant une consonne multiple, excepté dans les mots cresson, besson, dessous, dessus,; de même dans la syllabe de flexion ent, dans laquelle n's'assourdit aussi (ce que déjà Palsgrave remarque), en conséquence aiment se prononce: aim'.-Il peut se trouver plus d'une fois dans un mot par ex: reniement, redevance.-Ce son effacé, exemple remarquable de la syllable tonique, est, parmi les langues romanes, exclusivement propre au français. On trouve quelque chose de semblable en anglais à la finale des mots comme à la médiale, mais l'assourdissement de l'e qui, dans Chaucer est encore souvent prononcé, paraît avoir été hâté par l'influence française, Mätzner, Gram. ang. I. 9. Dans les dialectes de la Haute Jtalie l'e médial s'assourdit souvent, et alors d'ordinaire ne s'écrit pas."

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M. Ellis, dans son livre, On Early English Pronunciation I. vol. p. 324 dit: "When singing the French not merely pronounce these e's (les e muets), but dwell upon them and give them long and accented notes in the music. This recognition is absolutely necessary to the measure of the verse, which, depending solely upon the number of syllables in a line, and having no relation to the position of accent, is entirely broken up and destroyed when these syllables are omitted. And yet, when they declaim, the French omit these final e's without mercy, producing to English ears, a hideous, rough, shapeless unmusical result which nothing but a consciousness of the existence of the omitted syllables can mass into rhythm." Ensuite M. E. cite l'exemple de déclamation que M. Feline donne à la fin de ses Exercises de Lecture Phonétique, Paris 1845, avec la prononciation figurée que celui-ci revendique pour ce passage et avec les remarques suivantes dont il le fait précéder. C'est un fragment du Paysan du Danube par la Fontaine. Il dit: "Cet exemple nous montre que, même dans la déclamation, il est des e muets qui ne se prononcent pas, quoique leur présence soit nécessaire à la mesure syllabique des vers. suppression a lieu, soit parce que les deux consonnes séparées par l'e muet s'unissent facilement en raison de leur douceur, soit parce que le sens est interromqu." Il veut qu'on prononce comme eu les e suivants en italiques de ce poème : quelque jour, ne transporte chez vous, par un juste retour, les armes dont, vengeance sévère, à votre tour, peuples divers, maîtres de l'univers, innocente vie, propres aux arts, en votre place, grâces à vos exemples, jusques à nos chères compagnes. Sur la prononciation de ces mêmes e comp.* Comme exemple de la prononciation populaire de l'e muet, M. Ellis cite la première stance de la poésie "Paillasse" par Béranger: J'suis né Paillase, et mon papa,

Pour m'lancer sur la place,

D'un coup d'pied queuqu'part m'attrapa,

Cette

*

Et m'dit: Saute, Paillasse!
T'as l'jarret dispos,

Quoiqu' t'ai' I'ventre gros,
Et la fac' rubiconde.
N'saut' point-z à demi,
Paillass', mon ami :

Saute pour tout le monde !

Puis il ajoute: "The French e final which has now disappeared was pronounced in general conversation as late as the 16th century, as we know both from Palsgrave and from Meigret, and hence must have been so pronounced in Chaucer's time, and must have formed part of the rhythm of the French verses with which he is well acquainted."—A la p. 329, il dit: "In common French speech the e final has died out as entirely as it has in English speech." Nons allons voir qu'il n'en est pas ainsi.

Pour l'historie de la prononciation de l'e muet, je cite les passages suivants.

Diez, Gram. d. 1. romanes, I vol. p. 392. "Il est difficile de préciser l'époque à laquelle l'assourdissement des voyelles latines qui sont devenues des e muets a commencé. Cependant l'orthographe incertaine encore des voyelles finales dans les mots des serments fradre, fradra, Karle, Karlo, n'indique-t-elle pas déjà une prononciation obscure? On peut supposer que l'assourdissement proprement dit n'eût lieu que plus tard. Le document de Londres appelle encore l'e muet un e demi plein. Même les grammairiens du XVIme siècle ne connaissent point encore l'assourdissement parfait. Palsgrave, par ex., dit. (Je donnerai par curiosité de langage le passage in extenso p. 19). E femineum propter imbecillam et vix sonoram vocem appellant, dit Bèze, p. 13.; e femineo non adeo vehemens aut plenus est sonus, sed suboscurus Pillot, p. 30. Le souvenir de la sonorité primitive de l'e muet nous est encore conservé par sa valeur métrique. Les anciens connaissaient encore un e muet qui n'avait point cette valeur et qui était destiné à indiquer l'étymologie ou la prononciation. Ils écrivaient aneme, ordene, angele, virgene en trois syllabes, mais ils les prononçaient ainsi que les prononcent les vers, comme si ces mots n'avaient que deux syllabes anme, ou comme à présent (âme), ordne (la syllabe den comme dans denier), ang'le (la syllabe gel comme dans geler), aussi angre, c'est-à-dire anjre, virjne. Ils écrivaient même hauene, jeuene, overe, auerai, liverez (tous disyllabes), deveriens (trisyll.), afin que l'on reconnût l'u consonne et que l'on prononcât havne, jovne, ovre, avrai, livrez, devriens et non pas haune

etc. auquel cas l'e aurait été superflu. Comp. Passion du Christ str. 99 (Altrom. Ged.)."

M. Littré ne paraît pas être du même avis sur les derniers mots. Dans son Historie de la langue fr. 1 vol., pp. 197 et 168, il . dit: "Les oreilles des trouvères étaient parfaitement exercées. La prononciation qui prévalait, en poésie du moins, ne contractait rien plaie se prononçait plai-ye, voie se pr. vo-ye, il aimaient se pr: aimo-ye;l'e fém. des adj. en i, en é, en u se faisait toujours entendre; l's qui suivait un e muet n'en permettait jamais l'élison. Le fait est qu'on donnait aux mots toute leur amplitude, plus encore que ne fait la prononciation poétique de notre temps, qui cependant conserve beaucoup de traces de cet usages et qui tranche par là avec la prononciation courante. Y avait-il à l'époque des trouvères, une aussi grande différence entre les deux prononciations? Ce qui me porterait à croire que non, c'est la sûreté avec laquelle ils construisent leurs vers.' Vol. II. p. 3: "La finale ée comptait pour deux syllabes: Les denrées à qui voulait."

Dans la préface de sa Traduction de l'Enfer de Dante, il cite d'autres exemples à l'appui de cette opinion. Il dit: "L'e muet valait comme syllabe à l'intérieur du vers oi-e, ané-e. La terminaison ient était de deux syllabes:

Quel que dient li tuen et li Dieu traïtor.

La finale aie devant une consonne ou une h aspirée était toujours de deux syllabes; elle doit être prononcée è-ye, effrayée (è-fréye), plaie plai-ye, vraie vrai-ye. Il en est de même de la finale oie qui se prononçait en deux syllabes devant une consonne ou une h aspirée o-ye, joie jo-ye, voie vo-ye, j'amoie (amoy-e), j'ameroie (oy-e), aussi a la troisième personne lisoient (li-zo-ye)."

Dans la préface le son Dictionnaire il dit, iii. Prononciation: "Nous n'avons rien sur la prononciation du français pendant le moyen âge, dans le Xme siècle et dans les siècles suivants." D'après Génin, Traité des Variations du Langage français, il soutient qu'en gros la prounciation nous a été transmise traditionnellement, et que les sons fondamentaux du français ancien existent dans le français moderne.-" On peut en citer un trait caractérisque, à savoir l'e muet. Il est certain qu'il existait dès les temps les plus anciens de la langue; car la poésie d'alors, comme la poésie d'aujourd'hui, le comptant devant une consonne, l'élidait devant une voyelle."

M. Quicherat, Traité de Versification, p. 63. "Tandis que l'e muet à l'intérieur des mots après une voyelle ne compte plus dans la mesure, il comptait dans le principe." P. 427: “Dans l'origine de notre langue les mots tirés du latin attestent mieux encore

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