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C'est ce rapport enclitique que je cemprends par le terme une

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Tandis que dans la liaison connue il s'agit de l'union de la consonne finale avec la voyelle initiale, il s'agit ici de l'union entre la voyelle finale et la consonne initiale.

Tandis que la liaison connue est possible seulement entre les mots qui ont un rapport logique, cette liaison a très-souvent lieu entre les mots qui n'ont aucun rapport logique entre eux. Voilà le secret de la liaison française.

Puisque notre liaison a lieu avec les mots qui sont de l'usage le plus fréquent, avec le pronom pers. conjoint de la première personne au Nom. Dat. et Acc. (je, me,) avec l'adjectif démonstratif ce, avec l'article masculin au N. et à l'Acc. du singulier, avec le pronom personnel conjoint masculin de la troisième personne à Acc. (le), avec la particule négative ne, sa grande influence sur le caractère de la prononciation dans la conversation ne saurait être contestée.

De plus, puisque le rapport enclitique contient, non pas seulement une liaison, mais aussi une suppression de mots monosyllabiques qui arrêtent l'élocution, et qui mettent un obstacle à la vitesse de la parole; puisque parmi les mots proclitiques se trouve le mot qui s'emploie le plus souvent dans la langue française, la préposition de, qui sert à former LE GÉNITIF du sing. de l'art. masculin apostrophé et de l'art. féminin, des adjs. démonstratifs et possessifs, de la première et de la deuxième personne du pluriel du pron. personnel, du pronom interrog. qui, de l'adjectif masculin qui précède son substantif, et qui commence par une voyelle, de l'adj. fém. qui précède son substantif, et qui sert de préposition à des milliers de verbes, qui enfin s'emploie dans de nombreuses locutions adverbiales: ici encore l'influence importante sur la facilitation d'une prononciation rapide n'est pas à discuter. En France, où on ne parle pas seulement plus vite qu'ailleurs, mais beaucoup plus, il est de la dernière importance de faciliter la rapidité de l'élocution. Des mots trop longs, ou des monosyllabes qui se suivent, nuiraient à cette rapidité, si certain mode de prononciation ne venait pas faire disparaître cet obstacle. Or, le Français se débarrasse de la plupart de ces monosyllabes par la liaison.-Cette liaison devient pour lui une nécessité avec le grand nombre de monosyllabes qui s'accumulent devant le verbe. L'accent tonique reste sur celui-ci. Le Français se hâte de le prononcer, et y parvient en passant rapidement sur les monosyllabes. Cet effet s'obtient en ne prononçant qu'un e muet sur deux. Au lieu de dire : deu ceu queu jeu teu reudeumand', comme prononcent les étrangers, il dit : deuç queu j' teu r'demand'.

M. Diez, Grammaire des Langues Romanes, Tom. I., p. 391,

regarde le son effacé de l'e muet répété dans le corps des mots tels que remaniement, redevance, comme un exemple remarquable de la prépondérance de la syllabe tonique, qui pour les langues romanes est exclusivement propre au français.

Le rapport enclitique des mots se laisse expliquer par cette prépondérance de la syllabe tonique, puisqu'il est seulement possible avec la finale accentuée, comme le montrent des exemples tels que ceux-ci : suis-j', sont-ç' là? qu'est-ç' que cela? faites-moi l'plaisir (Legouvé), tout ç que tu veux.

Ce rapport est si fréquent parce que d'après Mme. Dupuis, xxxv.; Diez iii. ed., Tom. I., 508; Maigne, 133; Quicherat, p. 14; Littré Dict., accent; Larousse Dict.; Legouvé, Petit Traité, p. 11; Lesaint, XIV.; d'après Palsgrave, p. 404, l'accent tonique en français se trouve d'ordinaire sur la DERNIÈRE syllabe des mots.

Quant aux styles dans lesquels ces élisions s'emploient comp. le passage de Malvin-Cazal que nous avous cité, p. 33. M. Quicherat dit, p. 61: "Dans un genre de poésie où l'on veut reproduire le langage populaire, on retranche l'e muet non seulement devant une consonne, mais encore dans le corps des mots. On en trouvera de nombreaux exemples dans nos vaudevilles, en voici un de Béranger."

Je viens d'Montmartre avec ma bête,
Pour fêter ce maître malin

Et n'crains point qu'au milieu d'la fête,
Un bon mot m' renvoie au moulin.

On dit qu'avec plus d'un génie
Antoin' prend plaisir à cela.

(Antoine Arnault)

Nous, qui n'sommes pas d'l'académie,

Souhaitons lui d'ces p'tits plaisirs-là.

Quand M. Quicherat parle du langage populaire, il y comprend un langage vicieux. Et pourtant, dans la chanson de Béranger qu'il cite, et qui au temps de Béranger, il y a trente ou quarante ans, imitait le langage populaire, lequel supprimait beaucoup d'e qui dans le langage de la bonne société étaient alors encore sensibles, et où se trouvent quatre cas dans lesquels la prép. de est proclitiques, deux où ne et un où me sont enclitiques, il n'y a pas un cas de suppression de l'e, que nous n'ayous observé souvent, même dans la tragédie. La citation de M. Quicherat prouverait donc seulement que aujourd'hui beaucoup d'e muets, qui se prononçaient dans le bon langage il y a quarante ans, ne se prononcent plus aujourd'hui. Voyez la prononciation de la terminaison verbaleent, Larouse, Dict., Art. e.

D'autre part, il est vrai que aujourd'hui encore dans le langage des gens ordinaires, on rencontre à côté de beaucoup de

liaisons fausses (les cuirs), de fautes de grammaire, de prononciations vicieuses, aussi beaucoup de liaisons de ces monosyllabes qui ne se rencontrent jamais dans le bon langage. Je cite à l'appui quelques passage du Parrain" par M. Ch. Letellier : J'indique par des italiques les suppressions interdites de l'e muet qu'on y trouve. Dans l'original ces e sont élidés.

Ma tant'me dit, en parsonne

Que j'avais pas assez d' quoi
Pour mettre un' femm' cheux moi.-
Je m'étais fait friser la tête
Par le frater qui coiff' si bien,
J'avais mis mes grands habits d'fête,
Sans mentir y ne me manquait rien.
D'son côté ma commère
N'était pas la moins fière:
Alle avait mis des gants,
Un bouquet, des rubans,
Un bonnet plein de dentelle,
Un' rob' de soi' nouvelle;
Enfin j'étions tous deux
Des objets marveilleux.

Alors j'sommes partis'... La marraine me crochait, la sage-femme suivait et pis après y avait la femme à Mulot', la commère Marie, les deux filles aux Toussaint, et pis le p'tit Précheux qu'a l'esprit tout de travers et les jambes idem...En arrivant sous l'porche les cloches ont sonné...le gros François a tiré de coups d'fusil; et pis tous les gamins qu' avaient suivi ont crié: La marraine, des bonbons!!! J'avais fait les choses dans l'grand... j'leux y ai jeté en l'air une livre de dragées, avec des liards et des p'tites fèves blanches que j'avais mis dedans pour faire plus d'étente...ça a fait un effet !...Ah! y s' bousculaient tous pour en n'avoir.....après ça, je sommes entrés...le curé est venu, il a fait s'n affaire et pis, en r'sortant, j'ai rejeté encore un coffin de bonbon, de sorte que tout l'monde, qu' était content d'moi, s'est mis à crier; Vive le parrain! Vive la marraine !...

A m' droit' j' mis la marraine,
A m' gauche la p'tit Bastienne.
C'était L'doux qui sarvait
Tout ç'que l'on apportait;
Mais c'qui n'est pas croyable,
C'est c' qu'a paru sus table
J'avons, depuis midi,

Mangé jusqu'à minuit!

Voilà, à côté d'autres fautes nombreuses, onze fautes dans la suppression de l'e de nos monosyllabes.

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Les journaux parisiens, lorsqu'ils citent des phrases tirées de la conversation des gens de la basse classe,"des habitants des faubourgs,' comme le fait, p. ex., quelquefois le Figaro dans les "Nouvelles à la main," et qu'ils veulent mettre en relief leur prononciation, font disparaître les e, comme M. Quicherat dans l'exemple que je viens de citer. Il est évident qu'ils font cela pour se moquer de cette prononciation. Or, il peut arriver qu'ils citent des élisions impossibles dans le bon langage, mais très-souvent ils se moquent d'une prononciation qu'ils emploient eux-mêmes sans s'en douter. D'ailleurs, je sais très-bien qu'il y a à Paris toute une littérature de journaux pour rire, illustrés pour la plupart, et de produits de chansonniers comiques qui se servent d'une orthographe à eux, pour figurer la prononciation de leurs héros. Mais je n'ai pas besoin de dire que cette prononciation n'a rien à faire avec celle dont nous parlons. Il s'agit ici seulement et uniquement de constater les lois qui président à la prononciation et à la suppression de l'e muet dans le langage de la bonne société.

Pour donner une idée de la fréquence de nos liaisons, même dans le style soutenu, je dirai que le 29 juin 1879, au service du soir de M. Loyson, pendant la lecture de la liturgie et de quelques passages de la sainte Ecriture, et le sermon, j'en ai recueilli deux cent sept exemples. Je le répète : les gens qui n'étudient pas la prononciation de ces mots, ont généralement l'habitude d'appeler des négligences de prononciation ce que j'appelle des liaisons. Mais, au lieu de reprocher à un des plus grands orateurs de la chaire qu'il fait plus de deux cents fautes de prononciation pendant cinq quarts d'heure, je pense qu'il serait plus juste de se demander s'il ne s'agit pas ici de règles de prononciation. Du reste, j'ajoute, quand M. Loyson parle avec calme, et se sert de phrases brèves, quand il s'agit pour lui d'expliquer un dogme, un passage d'Ecriture, qu'il prononce presque tous les e de ces monosyllabes. Mais, dèsqu'il fait l'application de ce dogme ou de ce passage d'Ecriture, quand il fait de la polémique, quand il s'agit d'attaques dirigées contre les abus, qui existent dans les églises catholique ou protestante, ou contre la présomption d'une science superficielle; ou de l'autre côté, quand il décrit les bénédictions du christianisme bien entendu et interprêté, il se sert alors de périodes très-longues et se livre à son brillant talent d'orateur: il fait les liaisons ou les élisions dont je m'occupe ici, a moins qu'il ne veuille faire ressortir mieux une phrase.

Maintenant, dans la conversation des gens instruits, ces liaisons se font avec une régularité vraiment frappante. Mais, les gens âgés, ou ceux qui parlent lentement, et on ne rencontre

D

pas beaucoup de ces derniers en France, en font naturellement beauconp plus que les autres. Au Théâtre Français, j'ai observé, dans la comédie, que toutes les dames lient, et un peu plus que ne le fait, par exemple, M. Got.-Quand, dans le langage familier, on veut mettre en relief une phrase ou un mot, ou qu'on répète une phrase, dont il s'agit de graver tous les mots dans la mémoire de la personne à qui l'on s'adresse, tous les e de nos monosyllabes se prononcent comme eŭ (ou comme œ en allemand). On dit alors : jeu n'leu f'rai pas, entendez-vous ? jeu neu leu feurai pas.

Comme une différence importante entre la prononciation dans la conversation et de celle dans le style soutenu, on cite le traitement de l'e muet en général. Cependant, cette assertion n'est juste que pour la prononciation des vers dans la tragédie.

En chaire et dans la lecture de la liturgie ou de l'Ecriture, faite par M. Loyson, ou par les pasteurs protestants que j'ai entendus, nos monosyllabes se prononcent à peu prés comme dans la conversation. De l'autre côté, dans le style soutenu, on fait sentir un peu plus les e finals que dans la conversation, mais généralement seulement ceux qui y sont sensibles. Voyez ce chapitre.

Quand aux habitants de la province, surtout les Gascons, ils font généralement ces liaisons, mais les e, qui se prononcent, sont prononcés par eux comme des e fermés. Mme. Depuis dit à la p. 103: "Un Gascon prononce: je n'veux pas vous le dire =jé né veux pas vous lé dire."-Un Gascon prononcerait plutôt jé n'veux pas vous l'dire.

Je traiterai chacun des monosyllabes séparément, d'abord les enclitiques, puis les proclitiques, et je citerai les exemples dans cet ordre des exemples tirès de la tragédie, de la comédie, du discours académique, de l'élocution de la chaire, du langage familier.

J'ai donné tant d'exemples, parce que je pense que ce petit ouvrage pourra servir de moyen d'exercer la prononciation de ces mots, et, que après la lecture attentive de ces exemples, on sera à même de prononcer ces mots comme l'exige le bon langage.

Quand je dit qu'un e muet est nul, je veux dire qu'il n'y faut aucunement appuyer, qui il disparaît entièrement de la prononciation. Dans les exemples je n'écris pas l'e nul des monosyllabes, mais j'en indique l'élision par une apostrophe. J'écris l'e demimuet ou l'e sourd, qui se prononce eu, et je la marque par un e. Je n'indique pas la liaison, parce qu'on sait que, dans les mots enclitiques, la liaison se fait avec la voyelle finale et la consonne du monosyllabe, et, dans les proclitiques, entre les consonnes des monosyllabes et la consonne initiale.

Je n'ai pas besoin de dire que l'e de de, le (l'article). me, ne, se, te, disparaît, non pas seulement de la prononciation, mais aussi de l'écriture, quand il se trouve devant une voyelle ou une h

consonne.

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