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d'abord mille, qui aimèrent mieux vendre chèrement leur vie que de se rendre. Parmi eux on remarqua surtout l'amiral de France, le plus bel ornement de la chevalerie. Ne pouvant rallier les fuyards ni par ses menaces ni par ses cris, et se voyant seul avec dix de ses compagnons, il eut d'abord la pensée de suivre les autres. Mais revenant bientôt à lui-même, il ne voulut pas ternir l'éclat de sa réputation par une si honteuse lâcheté : « Mes braves compagnons, dit-il, ne par<tageons point l'infamie de cette noblesse dégénérée ; mais recom<< mandons-nous dévotement, et avec un coeur humilié et contrit, à « Dieu et à la glorieuse Vierge Marie sa mère, et tentons en leur << honneur les hasards de la fortune. » Au même instant il fondit courageusement sur les infidèles; mais il fut bientôt entouré et enveloppé par leurs nombreux escadrons. Alors, comme un lion furieux, il ré– pandit la mort autour de lui. Suivant le récit de ceux qui le voyaient de loin et regrettaient de ne pouvoir le seconder, six fois il releva vaillamment l'étendard de la Vierge Marie abattu par l'ennemi; mais il succomba enfin avec ses compagnons sous les coups des infidèles, et rendit son âme au Créateur.

Les Turcs, en poursuivant ainsi avec acharnement les chrétiens épars et dispersés, parvinrent jusqu'au comte de Nevers. Ils le trouvèrent entouré d'un petit nombre de gens d'armes, qui, prosternés et dans l'attitude de la soumission, supplièrent instamment qu'on épargnât sa vie. Les Turcs, dont la fureur commençait à se lasser, leur accordèrent cette grâce. A l'exemple du comte, les autres chrétiens se résignèrent, comme de vils esclaves, à une honteuse servitude; ils ne craignirent pas de s'exposer à un éternel déshonneur, pour sauver leur misérable vie, et se mirent à la discrétion des vainqueurs. O aveuglement et imprévoyance des faibles humains! ils ignoraient que le lendemain devait être leur dernier jour!

CAPITULUM XXVIII.

A Turcis christiani crudeliter puniuntur in presencia Basati.

Captis igitur christianis, et eorum spoliis Turci ad fastidium onusti, equos, mancipia, variam supellectilem, tentoria, omne genus prede et manubiarum omnimodam varietatem secum trahentes, cum summa leticia ad Basitam redierunt. Qui, presenti successu factus hylarior, inde gracias Deo dicitur reddidisse, erectis ad celum oculis. Facta autem in concione militum de captivis memoria, multis dicentibus eos debere in servitutem redigi aut ad redempcionem cogi, hoc penitus denegavit. « Non <«< equum est, inquit, fidelitatem servare legum violatoribus ac pactorum federum, ut isti sunt; nam obmittens transgressiones legis sue, neglectis convencionibus nostris factis post dedicio« nem municipii de Racho, eos sub tuto manentes nilque sibi <<< timentes crudeliter occiderunt. Justam ergo pro hiis sceleri<< bus rependens vicissitudinem, hos omnes censeo gladio puniendos. » A generali sentencia ob generis claritatem solum comitem excepit, cum tanta tamen ejus displicencia et ignominia fidei christiane, quod, luce sequenti, eo in eminenciori loco in abjectissimo statu collocato, et Basita partem tenente oppositam, voce preconia sub pena mortis precepit, ut omnes captivi, velut adjudicati morti, per viam intermediam adducerentur successive.

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Sic dati sunt incliti nostri gentibus in opprobrium, et hostium expositi ludibrio, et antiquam ducentes ex generosis proavis sanguinis dignitatem, o benigne Jhesu, peccatis nostris exigentibus, traditi sunt in commocionem capitis Sarracenis; unde lacrimas non possumus continere. Quis tam ferrei pec

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CHAPITRE XXVIII.

Cruautés exercées par les Turcs contre les chrétiens en présence de Bajazet.

Les Turcs, chargés des dépouilles de tous ces prisonniers et traînant à leur suite chevaux, esclaves, bagages, tentes, en un mot toute sorte de butin, retournèrent triomphants auprès de Bajazet, qui, les yeux levés au ciel, rendit grâce à Dieu d'un succès si éclatant. Un conseil militaire s'assembla pour délibérer sur le sort des prisonniers. Quelques uns proposèrent de les réduire en esclavage ou de leur faire payer une rançon. Mais Bajazet s'y refusa : « Il n'est pas juste, dit-il, de garder la foi du serment envers ces infracteurs des lois et des traités, « qui ont foulé aux pieds leur propre loi, et qui, au mépris des con<< ventions faites avec les nôtres après la prise de Rachova, ont égorgé « sans pitié des malheureux auxquels ils avaient promis la vie sauve. « Je pense que pour tirer une juste vengeance de tant de crimes, il faut passer tous nos prisonniers au fil de l'épée. » Il n'excepta de cet arrêt général que le comte de Nevers, en considération de sa haute naissance; mais ce fut pour mieux humilier le comte et pour insulter publiquement la foi chrétienne. Dès le lendemain, Bajazet le fit placer sur une éminence dans le plus piteux équipage, et se tenant en face de lui, il enjoignit sous peine de mort à tous les prisonniers, par la voix du héraut, de passer l'un après l'autre, comme des condamnés, dans l'espace qui se trouvait entre lui et le comte.

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Ainsi, nos illustres chevaliers furent donnés en spectacle aux nations et exposés aux insultes de leurs ennemis. Malgré l'éclat de leur nais

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toris, tam mentis adamantine, cujus interiora non liquefierent, si vidissent insignes christicolas more pecudum trahi ad victimam et ultimum vale sese dicere in Christo. Doloris anxietatem augmentabat perstrepencium lictorum numerositas, quibus membra cum cervicibus offerebant libere trucidenda. Nec vox alia in ore singulorum resonabat, nisi miserere mei, Christe, dum spiritum ultimum exalarent. Sic devote occumbere mere gracie Dei ascribimus, qui permittit filios flagellari, quos recipiendos dignos duxit. Unde sperandum nobis est, quod quicquid, humana fragilitate aut propria iniquitate sugerentibus, in ipsum commiserant, sanguine proprio expiarunt, sic in confessione fidei obeuntes.

Sic suppliciis variis tribus milibus maceratis, horror denique fuit cesorum intueri multitudinem, et humanorum artuum passim fragmenta conspicere, effusique cruoris aspergine terre sic superficiem irrigari, ut sanguine occisorum locus pollueretur universus. Tortores, a planta pedis usque ad verticem cruore ipso madentes, horrorem Basite crudelissimo tyranno et sibi assessoribus inferebant, quorum monitis acquiescens : « Sat,

inquit, vindicatum est in parte; cessent gladii percussorum, <<< et humanitatis officium nostris ab istis christianis supersti<«< ciosis interfectis impendamus. » Turcorum siquidem triginta milia occisa huc illucque recollecta in fossis profundissimis ibi preparatis sepeliri mandavit, precipiens ut terra superponeretur, et, ad ignominiam christianorum, ut cadavera eorum feris et avibus exponerentur inhumata.

Unum tamen ad propositum reticendum non credimus, quod mirabile vocantes quidam miraculum reputarent, et ad exaltacionem confessionis vere fidei Deum christicolarum martirium

sance, ils furent, ô doux Jésus, livrés aux outrages des Sarrasins, en punition de nos péchés. Comment retenir nos larmes en présence d'un pareil malheur? Quel coeur serait assez dur, quelle âme assez cruelle, pour ne point s'attendrir en voyant ces nobles et vaillants hommes, qu'on traînait au supplice comme des victimes, s'adresser un dernier adieu en Jésus-Christ? Ce qui contribua encore à augmenter la douleur, ce fut la constance avec laquelle ils présentèrent leurs têtes aux glaives des bourreaux qui les environnaient. En rendant le dernier soupir, ils ne faisaient entendre que ces mots: Seigneur, ayez pitié de moi. Cette sainte mort fut sans doute un effet de la grâce de Dieu, qui laisse souvent châtier ses enfants afin de les admettre ensuite dans son sein. Aussi espérons-nous qu'en mourant ainsi dans la confession de leur foi, ils ont expié par leur sang tous les péchés que la fragilité humaine ou que leurs mauvaises passions leur avaient fait commettre envers Dieu.

Trois mille périrent ainsi par divers supplices'. C'était un hideux spectacle de voir ces monceaux de cadavres, ces membres épars, et tous ces flots de sang qui inondaient la terre. Les bourreaux, souillés de sang depuis les pieds jusqu'à la tête, faisaient horreur à Bajazet lui-même, ce cruel tyran, et aux gens de sa suite, dont les remontrances mirent fin au massacre. «Nous nous sommes assez vengés, dit «< Bajazet ; que les bourreaux cessent de frapper, et rendons les der<< niers devoirs à ceux de nos soldats qui ont péri sous les coups de ces «< fanatiques chrétiens. » Plus de trente mille Turcs furent trouvés sur le champ de bataille. Bajazet fit creuser des fosses profondes pour y déposer leurs corps, et ordonna qu'on les couvrît de terre. Quant aux chrétiens, il voulut, par un sentiment de mépris, que leurs cadavres restassent exposés sans sépulture aux bêtes féroces et aux oiseaux de proie.

Je ne crois pas devoir passer sous silence un fait assez étonnant, qui fut regardé comme un miracle par quelques personnes, et qui leur

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