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LIV. XVIII. 565 d'un grand prix; mais ils avaient le mérite de la rareté et de la nouveauté. Le roi ayant demandé aux seigneurs qui se trouvaient là ce qu'ils en pensaient, ceux-ci répondirent en cherchant à donner un sens à chaque objet, que le Turc avait sans doute voulu par cet envoi réveiller l'ardeur guerrière du roi. Il y avait en effet une masse d'armes dont on se servait pour briser les casques, un cheval à qui on avait fendu les naseaux afiu qu'il pût fournir une plus longue course, un tambour, dix petites casaques en laine, et six arcs de Turquie dont les cordes étaient faites de boyaux humains. Or, comme les Turcs faisaient usage de ces choses dans leurs expéditions, sur les champs de bataille, ou lorsqu'ils poursuivaient leurs ennemis en déroute, messire de Vergy lui-même fut d'avis que ces présents avaient pour but de rappeler au roi la victoire remportée en Hongrie sur les chrétiens.

CHAPITRE X.

Entrevue du roi de Bohême et du roi de France dans la ville de Reims.

Vers la fin de cette année, monseigneur Wenceslas roi de Bohême et des Romains, qui avait résolu de visiter son bien aimé cousin le roi de France, et de passer quelques jours en sa compagnie, pour délibérer avec lui sur l'union de l'Église, que ce prince lui avait souvent recommandée de concert avec les rois d'Angleterre et de Hongrie, lui fit annoncer par une ambassade sa prochaine arrivée. Le roi Charles fut charmé de cette nouvelle. Voulant accueillir avec tous les honneurs dus à son rang un parent qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs années, il chargea monseigneur le duc d'Orléans son frère d'aller à sa rencontre avec une suite nombreuse de chevaliers et de barons jusqu'à l'entrée du royaume, et de le conduire aux frais du trésor royal dans la ville de Reims, qu'il avait choisie pour l'entrevue, et où il avait fait préparer d'immenses provisions.

Le roi se rendit en personne dans cette ville le 22 mars, et y fut reçu

sis marcii, cum ab archiepiscopo et canonicis ecclesie cathedralis processionaliter exceptus in archiepiscopali palacio pernoctasset, dieque sequenti in habitu simplici per duas leucas equitans obviasset cognato carissimo, mox ambo porrectis dextris, post depensum utriusque debite salutacionis affatum, mutuum pacis osculum cum amplexibus miscuerunt, et inde consequenti pompa urbem pecierunt. Scutiferorum fere innumerabilis copia, primum ordinem assequuta, turmas antecedebat militares, quas, mediante triumphorum preconum ingenti multitudine, lituis preliorum incentoribus, musicorum quoque genere instrumentorum vario ad ethera resonancium stipata, Johannes Niverniensis comes, filius ducis Burgundie, et Ludovicus frater regine Francie, nundum accincti baltheo militari, sequebantur. Hiis succedebant lento passu simul et equali fronte reges Francie, Boemie et Navarre, preeuntibus tribus scutiferis, corporis regii precipuis custodibus, qui enses regios cum clamidibus defferebant. Reges quoque a dextris et a sinistris dominus de Ruppe Guidonis et dominus Robertus de Boyssay, regii cambellani, cum aliis quatuor ejusdem officii, a pressura circum equitancium preservabant. Ultimum ordinem equestrem tenuerunt duces Biturie, Aurelianensis et Borbonii cum ceteris Alemanie et Boemie principibus, evocatorumque pontificum copia; et hii omnes lento passu usque ad abaciam sancti Remigii ipsum regem Boemie honorifice perduxerunt, ubi locari debebat in aulis, cameris et cunctis diversoriis hujus abbacie. Ut de tapetibus laneis per totum expensis taceam, ubique oloserica pallia auro texta, priscorum regum hystorias continencia, necnon et velaria materie preciose et operis non inferioris, ymo quibus illud Nasonis merito posset aptari Materiam superabat opus, dependebant.

processionnellement par l'archevêque et les chanoines de la cathédrale. Il passa la nuit dans le palais archiepiscopal. Le lendemain, il alla à cheval et simplement vêtu au-devant de son bien aimé cousin jusqu'à deux lieues de Reims. Les deux rois se tendirent la main; après avoir échangé les salutations et les compliments d'usage, et s'être donné le baiser de paix, ils se dirigèrent vers la ville, et y entrèrent en grande pompe. En tête du cortège étaient les chevaliers, précédés d'une troupe considérable d'écuyers. Ils étaient escortés d'un grand nombre de hérauts d'armes, et marchaient au son des trompettes de guerre et d'une musique bruyante composée de toutes sortes d'instruments. Venaient ensuite Jean comte de Nevers, fils du duc de Bourgogne, et Louis, frère de la reine de France, qui n'avaient pas encore été armés chevaliers. Derrière eux s'avançaient les rois de France, de Bohême et de Navarre, marchant à pas lents, ensemble et de front, et precédés de trois écuyers, qui étaient chargés de veiller à la garde de leurs personnes et qui portaient les manteaux et les épées de leurs maîtres. Messire de la Roche-Guyon et messire Robert de Boissay, chambellans du roi et quatre autres officiers du même rang se tenaient à droite et à gauche des rois, pour écarter la foule des cavaliers. Les ducs de Berri, d'Orléans et de Bourbon fermaient le cortége avec les autres seigneurs d'Allemagne et de Bohême et les prélats qui avaient été mandés à cette fête. Le roi de Bohême fut ainsi conduit solennellement et à pas lents jusqu'à l'abbaye de Saint-Remi, dont les salles, les chambres et tous les appartements devaient servir de logement au roi. On avait tendu partout des tapis de laine; mais on remarquait surtout des tentures de soie brodées d'or, représentant des traits de l'histoire des anciens rois, et de riches étoffes habilement travaillées, auxquelles on pouvait justement appliquer ce mot d'Ovide: La maind'œuvre était au-dessus de la matière.

Que omnia, cum quadam aviditate videndi transiens non sinerent ejus aspectum saciari, et magnificenciam cognati sui regis Francie, cum hoc sibi peregrinum videretur, multipliciter commendaret, mox affuit dominus Robertus prefatus, qui consequenter ad dicta : « Et hec omnia, inquit, prin«< ceps excellentissime, rex vobis dat, rogans ut munusculum recipientes gratanter, die crastina, si placet, secum pran<< deatis. >>

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Cognato regraciando annuit quod poscebat. Sed cum ea die, interim dum dominice Annunciacionis celebrarentur missarum solemnia, incliti duces Biturie et Borbonii propter hoc ipsum adiissent, ut adduceretur decencius, rubore perfusi et cum displicencia magna redierunt, regi Francie refferentes quod tunc non poterat quod promiserat complere. Verum utique referebant; sed excusacio vicio non carebat. Nam omnibus notum erat quod rudissimus existens, et incomptus moribus, curialitates regias penitus negligebat, guleque et vino deditus, commessaciones cotidianas reiterans, nunc ventre pleno se jam sopori dederat ; et sic in convivio regio, amore sui sumptuosissime preparato, non potuit interesse. Quamvis inde dampnum multum aulici, me audiente, assererent ex absencia ipsius consequtum, rex tamen, de hoc non curans, adventum ejus usque ad diem alterum expectavit, venientemque cognatum excepit amicabiliter, sibique et suis commilitonibus in ipso prandio quadraginta fercula fecit dapsiliter ministrari.

Tunc in disco principali, triplici ornato solio, Navarre, Francie et Boemie reges consederunt, ceterique sessionis ordinem tenuerunt secundum auctoritatem singulorum, quibus eciam servierunt aule regie officiarii principales; et breviloquio utens, nil ibi defuit quod deceret regiam majestatem. Convivio

Le roi de Bohême regardait en passant toutes ces merveilles avec la plus vive curiosité. Il ne pouvait se lasser de les admirer, et se répandait en éloges sur la magnificence extraordinaire de son cousin le roi de France. Alors messire Robert de Boissay, s'avançant vers lui conformément à l'ordre qu'il en avait reçu : « Très excellent prince, lui << dit-il, le roi vous donne toutes ces choses; il vous prie de daigner « accepter ce léger présent, et de venir dîner demain avec lui. »>

Le roi de Bohême remercia son cousin et accepta son invitation. Le lendemain, pendant qu'on célébrait la messe du dimanche de l'Annonciation, les illustres ducs de Berri et de Bourbon allèrent par déférence chercher le roi de Bohême; mais ils revinrent bientôt confus et mécontents annoncer au roi que Wenceslas ne pouvait se rendre à son invitation. Le motif qui l'en empêchait était peu honorable. Cependant les ducs disaient la vérité. Ce prince, de moeurs grossières et déréglées, ne se piquait guère de cette courtoisie qui convient aux rois, et pour satisfaire sa gloutonnerie et son ivrognerie, il se plongeait journellement dans d'ignobles orgies. Ce jour-là il s'était endormi après s'être gorgé de mets comme à son ordinaire, et il ne put par conséquent assister au repas somptueux que le roi avait fait préparer en son honneur. J'ai entendu dire aux gens de la cour que son absence avait causé beaucoup de frais inutiles. Le roi cependant n'en montra nul souci; il attendit sa visite pour le lendemain, l'accueillit très affectueusement et lui fit servir à lui et à sa suite un dîner splendide composé de quarante plats.

Les rois de Navarre, de France et de Bohême s'assirent à la table d'honneur, autour de laquelle on avait dressé trois trônes. Les autres convives prirent place, chacun selon son rang. Ils furent servis par les principaux seigneurs de la cour. En un mot, ce banquet fut digne de la majesté royale. Il y avait une grande quantité de vaisselle d'or. Après le dîner, lesdits rois entrèrent dans une chambre, où ils trouvè

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