Imágenes de páginas
PDF
EPUB

» la dignité d'Abbé. Ce Pierre assit sur de solides fondements la pierre de son église ; » lui prodigua les plus riches décorations; répara les vieux murs de l'abbaye; fit fruc»tifier avec loyauté le talent du Seigneur : il est mort en 1480. »

Sous ce marbre terrestre
Pose Pierre Le Prestre
Abbé de Saint-Riquier.
Jésus le veuille mettre
En son glorieux estre
Et bien le colloquer (1).

Pierre Le Prêtre avait fondé son obit au monastère de Saint-Bertin. On le faisait encore en 1588 et 1589 (2).

Nous ignorons si les moines de Saint-Riquier furent aussi fidèles à honorer la mémoire de leur généreux Abbé. Son tombeau si artistement préparé fut démoli par son successeur ; il n'en reste plus trace. Tous ses travaux furent également anéantis par la destruction de 1487. Son souvenir n'est plus attaché qu'aux grands murs de clôture destinés à braver les incendies, les injures du temps et les secrètes attaques des maraudeurs. Ils se dressent toujours menaçants, toujours indestructibles, faciles à préserver par quelques réparations de peu d'importance. Sur leurs assises de grand appareil rampent de beaux ceps de vigne qui s'épanouissent majestueusement au soleil du Midi. A l'extrémité se dresse l'éventail d'un poirier, sinon contemporain de Pierre Le Prêtre, au moins plusieurs fois séculaire. Puissent les touristes se rappeler quelquefois le souvenir du bon Abbé et lui adresser du fond du cœur l'expression de leur reconnaissance pour ce monument du xv° siècle.

L'auteur d'une de ces dramatiques épopées qu'on nomme Mystères, Simon Greban, mérite une notice spéciale dans cette histoire, bien que nos chroniques n'aient mentionné nulle part son nom. Il fut cependant, d'après l'affirmation commune de ses historiens, moine de Saint-Riquier; mais ceux-ci ne nous expliquent pas à quel titre il devint, comme ils le déclarent ensuite, secrétaire de Charles d'Anjou, comte du Maine, sous Charles VIII et familier de la maison de ce prince. On peut difficilement allier des titres si divers. Faut-il supposer que Simon Greban a quitté le monde pour vivre dans la retraite et s'y sanctifier dans la pratique des vertus monastiques? Cette hypothèse n'a rien de probable, parce qu'on montrait son tombeau dans la cathédrale du Mans. Il est plus vraisemblable que, fatigué des cruelles épreuves auxquelles était soumis son monastère, il aura fui ce séjour presque inhospitalier pour lui, afin de suivre les rêveries d'une imagination surexcitée par la passion de composer des vers.

(1) D. Cotron. Anno 1480.

(2) De la Plane. (Histoire de Saint-Bertin). Tome 11, page 39.

Les villes de Compiègne et du Mans se disputent la gloire d'avoir donné le jour à ce dramaturge fameux en son temps, ainsi qu'à son frère et collaborateur, Arnoul Greban.

Les deux Greban ont Le Mans honoré (1)....
Cesse Le Mans, cesse de prendre gloire
Des deux Greban, ces deux divins esprits (2).

« Tenons pour certain, dit à son tour M. Sorel, qui a fait une étude sur les frères Greban (3), qu'ils sont nés à Compiègne et non dans les environs de cette ville comme le dit l'auteur de l'Histoire du duché de Valois. » Ceux qui fixent la naissance de Simon Greban en l'année 1450 ont oublié que déjà son frère Arnoul publiait vers cette époque son grand Mystère de la Passion auquel on croit qu'il a collaboré.

Simon, dit M. Sorel, alla étudier à l'Université de Paris et y reçut le grade de bachelier en théologie, puis se voua à la vie cléricale. » Mais, comme les autres historiens qui s'accordent à affirmer que « Maistre Simon de Compiègne fut moine de SaintRichier, en Ponthieu,» il se tait sur cette particularité de sa vie.

Simon était, dit-on, d'une noble famille. C'est ce qui explique peut-être son séjour à la cour des princes. Toutefois les érudits, en cherchant à embellir sa vie, auraient de la peine à concilier tout ce qu'ils rapportent avec la chronologie de l'époque. Son monument dans la cathédrale du Mans, devant l'autel de saint Michel, atteste qu'il mourut dans cette ville et même, dit-on, dans un âge assez avancé. Ce monument fut détruit par les Calvinistes en 1562. Arnoul Greban était chanoine de cette cathédrale. Son frère Simon aura terminé sa carrière auprès de lui.

La plupart des drames composés par Simon Greban nous sont inconnus (4). Sa réputation est surtout fondée sur le TRIOMPHANT MYSTÈRE DES ACTES DES APÔTRES (5), « le poëme le plus beau de ce genre, dit M. Sorel, le mieux versifié après celui de la Passion. L'ouvrage, du reste, serait commun entre les frères, et le commencement, dit Pasquier, appartiendrait plus spécialement à Arnoul. >>

(1) Pasquier. Recherches... page 613.

(2) Joachim Dubellay.

(3) M. Sorel, juge au Tribunal de Compiègne. Notice sur les frères Greban.

Le domaine de Saint-Riquier à Chevincourt et lieux circonvoisins, aux environs de Compiègne, expliquerait la profession religieuse de Simon Greban à Saint-Riquier. Ce serait un imitateur de Hugues de Chevincourt, de Giles de Machemont et sans doute d'autres moines plus obscurs.

(4) On lui attribue, outre les drames, des élégies, des complaintes, des déplorations ou des épitaphes sur la mort de Charles VII, en forme d'églogue et de

pastorale. On cite deux poêmes sous son nom. La Création du monde et la Sphère du monde. On le dit aussi réviseur, sinon auteur d'un ouvrage intitulé le Cuer de Philosophie, publié en 1504.

(5) Le Triomphant Mystère eut plusieurs éditions. La plus complète (petit in-folio) contient 778 pages. Sortie des presses des frères Angeliers, elle est divisée en neuf livres et renferme une troisième partie par Louis Choquet, « dans laquelle se dévoilent les mystères de l'Apocalypse saint Jehan l'Evangéliste, oùs ont comprinses les visions et révélations que icelui saint Jehan cut à l'isle de Pathmos. >>

Ce triomphant mystère est écrit en vers et divisé par livres. Il ne compte pas moins de 60,000 vers. Il eut un succès prodigieux: car il fut, dit Paulin Paris, l'expression de la scène chrétienne au temps de son grand éclat (1). La représentation demandait plusieurs jours. On aura quelque idée de cette immense composition, quand on saura que ce drame introduit sur la scène 494 personnages, parmi lesquels on voit figurer NotreSeigneur Jésus-Christ, la sainte Vierge et Dieu lui-même. Les principaux événements de la vie des Apôtres en forment le cadre: mais une foule d'incidents s'y rattachent et font paraître sur le théâtre, entre autres personnages étrangers à l'Histoire-Sainte, des rois, des empereurs, des courtisans, des bouffons, etc. Le drame qui commence après l'Ascension se termine à la mort de Néron.

Dans ce triomphant Mystère, l'auteur donne cours à toutes les inventions d'une imagination exubérante. Les prodiges se succèdent continuellement, mêlés à des mariages, à des guérisons de possédés, que les esprits malins abandonnent en rugissant. Des martyrs y sont lapidés et mis en croix: la terre tremble, la foudre gronde. Ces grandes commotions de la nature sont l'accessoire inévitable des événements les plus tragiques.

Le ton du drame est solennel, mystique. Le récit est riche en souvenirs bibliques. Mais le langage parfois manque de réserve. Nos pères ne s'offensaient pas d'expressions que notre exquise urbanité ne pourrait supporter.

Le théâtre du Moyen-Age ne connaissait guère que les mystères. Les principaux magistrats de la commune et les seigneurs s'y complaisaient tellement qu'ils se faisaient apporter à manger sur leurs hourds, comme les Romains sur les gradins du cirque; ils scellaient dans leurs huches les copies des mystères qu'ils avaient achetées à grand prix.

Le triomphant Mystère fut représenté à Paris et à Bourges en 1537, à Tours en 1541, etc., etc.

Guillaume de Bonneuil, bourgeois d'Abbeville, se rendit à Paris, dit M. Sorel, pour obtenir d'Arnoul Greban une copie du Mystère de la Passion, revue et corrigée par ce poète; il la paya 10 écus (2).

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

LIVRE XI.

LES ABBÉS DU SEIZIÈME SIÈCLE.

CHAPITRE PREMIER.

EUSTACHE II, LE QUIEUX, QUARANTE-HUITIÈME ABBÉ.

Sa première éducation et ses études.

[ocr errors]

(1480 à 1511.)

[ocr errors]

Sa lutte contre Jacques de Haudrechies et ses partisans. Intervention du comte d'Esquerdes. Triomphe d'Eustache. Incendie de 1487. -Grands travaux de réparations et de construction à l'église et au monastère. - Le cartulaire et Jean de La Chapelle. Les terres de Livry. Les coutumes de 1507. — Mort accidentelle d'Eustache Le Quieux.

Eustache Le Quieux était issu d'une noble famille (1) et parent de Pierre Le Prêtre. La généalogie de cette famille est citée partout et plusieurs de ses rejetons ont laissé un souvenir dans l'histoire du pays. David Le Quieux, frère d'Eustache et bailli de l'abbaye de Saint-Riquier, pendant l'administration d'Eustache, laissa des descendants qui ont brillé dans la magistrature.

Le père de notre Abbé possédait la seigneurie de Fortel près Vacquerie-le-Bouc, à peu de distance de l'Authie, dans un enclave qu'on appelle le Wallon. C'est là que naquit Eustache et qu'il passa ses premières années; mais à l'âge de cinq ans, suivant une antique et louable coutume approuvée par l'Eglise, il fut, sans doute par les conseils de Pierre Le Prêtre, offert à Dieu sur l'autel de Saint-Riquier. Son jeune cœur s'ouvrit facilement aux inspirations de la piété: il grandit dans la pratique des vertus monastiques à l'âge où l'Eglise lui permettait de disposer librement de lui-même, il fit sa profession et s'engagea irrévocablement au service de Dieu.

Comme on reconnaissait dans Eustache Le Quieux les plus heureuses dispositions, on l'envoya à Paris où il fit avec beaucoup de distinction ses études de grammaire, de phi

(1) Quelques auteurs écrivent Lequieu ou Lequieux. Nous suivrons l'orthographe des écrits du monastère.

Armoiries: d'azur au chevron et à trois gerbes d'or, deux en chef et une en pointe.

Cette famille fut anoblie en 1389.

Guerard Le Quieux, écuyer, eut trois enfants,

David, Eustache (l'Abbé) et Marie, épouse de Bernard de Buigny.

David, écuyer, bailli du temporel de l'abbaye, seigneur de Villers-l'Hôpital en partie, l'un des cent gentilshommes de Louis XI, en 1476, fut mayeur de Saint-Riquier, confrère de Saint-Nicolas. Il habitait l'hôtel de Hangard et Fransu. Il eut trois en

losophie, de théologie et de droit canon (1). De retour au monastère, il fut élevé au sacerdoce et pourvu bientôt après de la charge d'aumônier. Dans cet office il se montra un digne enfant de saint Riquier (2): car, à l'exemple de son glorieux père, il subvenait aux besoins de tous les pauvres avec la plus grande libéralité (3).

Sa fidélité dans les petites choses lui mérita bientôt d'être élevé aux plus hautes fonctions de la maison de Dieu. Nous avons déjà vu dans quelles circonstances Pierre Le Prêtre lui avait résigné son abbaye de Saint-Riquier. Dès ce moment commença une lutte formidable entre l'ambition et l'esprit de dévouement aux intérêts du monastère. C'est ainsi que nous croyons devoir qualifier les sentiments si opposés des deux compétiteurs. Nous n'avons plus tous les documents propres à éclairer les diverses phases de ce grand drame. Toutefois nos recherches et nos observations sur les événements nous ont conduit à cette conclusion, à savoir que Pierre Le Prêtre, dans les douloureuses années de son gouvernement, n'avait pu ni suffisamment étudier ni connaître Jacques de Haudrechies et que son élection avait été une faute; que cette élection était due à la pression d'une autorité despotique, à une crainte révérentielle plutôt qu'aux inspirations de la conscience et au désir de procurer le bien spirituel de la communauté; qu'Eustache Le Quieux a préservé son monastère de grands malheurs, en se dévouant pour ses frères et en prenant sur lui d'éclairer la conscience d'un Abbé droit, mais trop confiant. Un tragique dénouement a justifié toutes les démarches de l'antagoniste de Jacques de Haudrechies.

On ignore ce que fut l'administration du cardinal de Vienne et à quel moment il cessa de jouir des revenus. Mais quand Eustache Le Quieux recevait la provision canonique du pape Sixte IV, Jacques de Haudrechies avait toute autorité sur le monastère, qu'il gouvernait depuis vingt-trois ans avec le titre de prieur et de prévôt. Avant qu'il fût question d'Eustache, il avait été élevé à la dignité abbatiale par ses frères : car il avait de chauds partisans dans le monastère, et même la majeure partie de la communauté pour plusieurs raisons se groupa autour de lui. Dans la pensée des moines qui tenaient pour l'élection du prieur, la résignation de Pierre en faveur d'Eustache Le Quieux, jeune religieux sans expérience, à peine libéré de ses études théologiques,

fants: Antoine, Mathieu, religieux à Saint-Riquier. Marie qui épousa Nicolas Le Fuzelier, procureur du roi en la sénéchaussée d'Abbeville.

Antoine épousa Marie Louvel de Glisy, et acheta la terre de Moyenneville qu'il transmit à ses des cendants.

On cite encore Antoine Le Quieux, chanoine d'Amiens et Abbé de Clairfay, un autre Antoine né à Paris en 1610. Ce dernier entra dans l'ordre de saint Dominique et institua la réforme appelée Congrégation de Saint-Sauveur. Il mourut en odeur de sainteté. (Voir le Nobiliaire de Ponthieu de

M. de Belleval).

(1) D'après d'anciens statuts, les religieux bénédictins qui étudiaient à Paris, étaient confiés à un prieur spécialement désigné qui veillait sur eux comme leur supérieur, les avertissait de leurs fautes et leur en donnait l'absolution. (Histoire de St.-Germain-des-Prés, page 181.)

(2) Dans son emploi d'aumônier, observe Jean de la Chapelle, on aurait dit un autre saint Riquier, car il remplissait toutes les œuvres de miséricorde. (Chron. Abbrev. Cap. XXIII.)

(3) D. Cotron. Anno 1480.

« AnteriorContinuar »