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On voyait encore du temps de D. Cotron une statue d'argent, qui représentait saint Winoc en costume monastique; elle avait un pied de hauteur avec un piédestal aussi d'argent. Comme on y remarquait les armes et le chiffre d'Eustache Le Quieux, on en concluait que c'était sous son administration et par ses ordres que ce reliquaire du saint avait été si richement travaillé.

L'Abbé Le Quieux avait fait commencer en 1507, entre les grandes colonnes du transsept de son église, dans un espace de 35 pieds environ, vingt-trois stalles de chaque côté, dont sept à l'entrée du chœur. Ces stalles étaient en tout semblables à celles de SaintLucien de Beauvais. Trois huchiers ou menuisiers d'Amiens, Adam de Bellonce, Bernard Le Barbier et Alexandre Huet en furent les entrepreneurs, moyennant neuf cents livres. Ils devaient employer du chêne d'Islande et rendre leur menuiserie à PontRemy, d'où les religieux se chargeaient de la faire transporter à Saint-Riquier. Ils avaient quatre ans pour achever leur travail, mais l'Abbé n'en vit pas la fin; ilmourut quelques jours avant que ce travail fût terminé (1).

Ces grandes entreprises de construction, de réparation et de décoration occupèrent toute la vie d'Eustache Le Quieux comme nous le verrons plus loin, la mort vint le saisir encore plein de jours, avant qu'il eût réalisé tous ses projets : il périt, en quelque sorte sur le champ de bataille, de la manière la plus imprévue.

Nous ne serions pas fidèle narrateur, si nous passions sous silence son zèle pour les intérêts de son monastère. Ses droits lui furent aussi sacrés que ceux de son église : il suffit de jeter un coup-d'œil sur les annales de ce temps pour se faire une idée de son activité, de la fermeté de son administration temporelle. Nous allons attirer ici l'attention du lecteur sur quelques faits et premièrement sur le Cartulaire.

I. «< Eustache Le Quieux, dit la chronique, fit compulser tous les titres anciens, fit préparer un répertoire très étendu ou un cartulaire en parchemin contenant une notice assez développée de toutes les fermes du monastère. Ce cartulaire a été écrit par Jean de la Chapelle, maître ès-arts, notaire apostolique et curé d'Oneux. » Est-ce lui qui a rédigé aussi l'analyse du cartulaire? On serait porté à le croire par l'énoncé de la chronique; cependant la note suivante en attribue tout l'honneur et aussi toute la responsabilité à l'Abbé lui-même. « Eustache Le Quieux, quarante-sixième Abbé de cette église, fit en >> personne et aida à faire cet extrait du cartulaire et répertoire, translata (traduisit) et >> mit en ordre tout le contenu en ce présent livre, pour ôter la confusion et pour faci» lement trouver de quoi on avait indigence (2). >>

C'est le seul cartulaire qui reste de Saint-Riquier. Ce n'est même pas un cartulaire proprement dit, mais un répertoire et une analyse abrégée des titres. C'est lui que la chronique de D. Cotron et le rédacteur d'un autre répertoire des archives, écrit après 1780, suivent pas à pas en omettant cependant des faits importants. « Il en existait deux copies, dit D. Cotron, l'une en parchemin, l'autre en papier. » La première a disparu on

(2) D. Cotron. Anno 1507.

(3) D. Cotron. Anno 1490.- Cart. de St.-Riq, Fol. 79.

ne sait à quelle époque ni de quelle manière, peut-être dans l'incendie des archives du district d'Abbeville. L'autre doit se trouver aux archives municipales d'Abbeville avec des additions: ou si ce n'est pas l'exemplaire dont parle D. Cotron, on peut assurer que la copie est très ancienne. Les archives d'Amiens en possèdent une copie du dernier siècle, d'une belle écriture. Le cartulaire d'Eustache Le Quieux est très précieux pour cette histoire cependant il y a bien des fautes. Une chronique abrégée du monastère fut également rédigée par Jean de la Chapelle, sans doute sous l'inspiration de l'Abbé Le Quieux; elle porte, dans l'introduction, la date de 1492: nous nous sommes expliqué sur le mérite de cette élucubration informe ou plutôt de cet assemblage de matériaux ébauchés pour une chronique (1).

II. Le serment de frère Louis de Wicques, maître de l'Hôtel-Dieu, fut prêté en 1490 devant tous les religieux avec une très grande solennité, en face le grand autel de l'é glise. On nous le représente la main sur la poitrine, jurant, sur sa parole de prêtre et de religieux, et après avoir touché les saints Evangiles, qu'il gardera fidèlement les droits et privilèges du monastère.

La chronique donne les noms des principaux dignitaires du monastère présents à cette cérémonie avec l'Abbé Eustache. Ce sont D. Jean Warin, prieur claustral et prieur de Bredenay, D. Thomas Postel, trésorier, D. Eustache Troynet, chantre, D. Simon de Péronne, prévôt, D. Michel de Vy, aumônier, D. Guy Lefevre, prévôt d'Equemauville. La chronique aime à rémémorer ces antiques usages. C'est le moyen d'empêcher la prescription et de conserver sous les yeux des droits qu'on ne consentirait point à aliéner (2).

III. Un autre fait nous rappelle un privilège du xır° siècle qui semblait perdu ou contre lequel on allait prescrire, si Eustache Le Quieux ne l'eût fait revivre. Nous avons dit

(1) Introduction, page xxxvu.

Jean de la Chapelle, maître ès-arts, notaire apostolique, n'est point étranger à l'histoire de Saint-Riquier dont il est originaire. Ses parents ont joui de quelque considération à cette époque on y voit plusieurs prêtres, un religieux, de nobles alliances, des investitures de fiefs, tous les caractères d'une famille appartenant à la noblesse du pays, fixée peut-être en ce lieu par le service militaire comme tant d'autres. Lui-même est appelé noble homme. Il était curé d'Oneux. Jean de la Chapelle mourut en 1503.

1429. Jean de la Chapelle, moine à Saint-Riquier, visite Jeanne d'Arc à la Ferté.

Henri Carpentin, écuyer, seigneur de Barlette, sénéchal de Domart, épouse en 1431 Jacqueline de la Chapelle à Saint-Riquier (Généalogie de Carpentin.)

Sire Pierre de le Capelle prêtre à Saint-Riquier

(1495). Sire Nicole de la Chapelle (1495). — Sire
Raoul de la Cappelle (1495). — N. de la Capelle,
curé de Mareuil, homme-lige de la Ferté (1507). –
Relief d'un fief à la Ferté au profit de Jeanne de la
Cappelle, mariée à N. de Quevauvillers en 1527, (Ar-
chives de St.-Riquier). — Ajontons ici le fait suivant.
M Jean de la Chapelle habitait le ténement du
Grand Voire, au coin de la rue du Mont-Pèlerin.
(2) D. Cotron. Anno 1490.- Ajoutons ici le fait sui-
vant : "

A la requeste de Pierre de Cezac, prieur de Saint-Pierre d'Abbeville, dit le P. Ignace (Histoire des mayeurs d'Abbeville, page 594), les reliques de saint Fabien, martyr, furent tirées de leur ancienne châsse et remises en une nouvelle, couverte de lames d'argent, par D. Eustache Le Quieux, Abbé de Saint-Riquier, et furent portées solennellement en procession.

en 1194 que Robert de Boves avait exempté les religieux de Saint-Riquier de tout droit de travers sur ses terres. « En 1495, quatre siècles après, Charles d'Ailly, écuyer, vidame d'Amiens, seigneur et baron de Picquigny, Rayneval et Labroye, conseiller et chambellan du roi voulant, dit la chronique, témoigner sa tendre dévotion envers saint Riquier et sa grande affection pour son monastère et participer à tous les biens spirituels de la communauté, rédigea une charte dans laquelle il déchargea, sur le vu d'une lettre testimoniale, ledit monastère de tout droit de péage à Picquigny et laissa circuler librement les voitures chargées de denrées et provisions. C'est pourquoi quelques années après, en 1529, Antoine Le Sellier, bailli du vidame d'Amiens et de Picquigny fait restituer deux écus d'or que les officiers du vidame avaient exigé des serviteurs de l'abbaye pour droits de péage (1). »

IV. Sous Eustache Le Quieux l'abbaye de Notre-Dame de Livry-en-Laulnoy, de l'ordre de Prémontré, au doyenné de Chelles, diocèse de Paris, devient tributaire de notre monastère dans les conditions suivantes.

Un prêtre abbevillois, Martin Grevin, voulant s'éloigner de Paris pour renoncer au monde, entendit parler de la grande régularité des moines de Livry. Il se présenta donc à ce monastère et y fut admis à faire ses vœux. Martin Grevin possédait à Ivrench le fief Belleval qu'il avait hérité de Jean Grevin, marchand à Domart. Avant de faire profession solennelle de pauvreté, en 1501, il légua par testament à sa communauté un calice d'argent, des livres, les biens meubles et immeubles qu'il possédait à Abbeville et lieux circonvoisins, libéralités qui furent destinées à rebâtir l'église et les lieux réguliers. Le monastère de Livry était alors gouverné par Jean de Maubourne ou de Bruxelles, réformateur de plusieurs abbayes de son ordre en France et notamment de celle de Livry. Florent Le Picard lui avait succédé en 1503; c'est lui qui donna à l'Abbé de Saint-Riquier, comme homme vivant, Antoine Clarieux, bourgeois d'Abbeville. Le nom de Livry reparait encore ailleurs dans les annales de Saint-Riquier (2). V. Appelé par le bailli d'Amiens à produire la coutume de l'abbaye (3) pour en faire

(1) Ibid. Anno 1495.

(2) D. Cotron. Anno 1503.- Gall. Ch. Tome vii, pag. 837.

Jean de Bruxelles fut un très docte et très pieux Abbé. Il laissa plusieurs ouvrages, entre autres : Rosetum spiritualium Exercitiorum, Auctore Joanne Mauburno Bruxellensi. Duaci, 1620. cet Abbé fut l'ami de saint François de Paul et d'Erasme qui lui témoigna la plus vive affection, tout en reconnaissant qu'il était moins vertueux et moins porté à la perfection. Jean de Bruxelles mourut en 1502.

On vit longtemps la statue de Martin Grevin à Livry; il était représenté à genoux devant saint Martin, son patron, revêtu du surplis et de l'aumusse. On lisait sur cette statue.

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un titre légal après approbation royale, Eustache Le Quieux révisa avec ses feudataires et ses tenanciers les divers articles de cette coutume. Après avoir écouté les observations et produit les titres de l'abbaye, on prépara par des concessions mutuelles et équitables un véritable recueil de législation pour la seigneurie de Saint-Riquier. Ces coutumes sont signées par plusieurs des seigneurs feudataires de l'abbaye, comme les De Belloy, les De Bouberch, les Lebel, les Du Maisniel, les Lesage, les De Saint-Souplis, les De Gaissart, les Le Fevre.

Au commencement d'avril 1511, Eustache Le Quieux poussant activement les travaux de son église était assis auprès des échafaudages dressés contre les murailles. Un ouvrier ayant envie, comme il le disait, de faire peur au Père Abbé, eut la mauvaise idée de jeter une pierre qui alla tomber non, ainsi qu'il le pensait, aux pieds d'Eustache Le Quieux, mais sur sa tête. Comme il n'y eut qu'une petite contusion au crâne, on pensa d'abord que ce n'était qu'une légère blessure; mais le cerveau avait été endommagé et la mort s'ensuivit peu de temps après. « C'est du moins la tradition du pays, » dit D. Cotron. Un tableau, placé à la colonne près de laquelle l'accident arriva, en >> fait foi jusqu'à ce jour. »

Eustache Le Quieux fut enterré au milieu de la nef. Son tombeau s'élevait à quatre pieds environ au-dessus du sol : il était orné de statues et de bas-reliefs. l'Abbé y était représenté en effigie. Ce monument lui fut élevé par Thibaut de Bayencourt, son successeur, qui avait même préparé son tombeau auprès de celui d'Eustache; mais, hélas! ses espérances ne se réalisèrent pas, comme on le verra en son lieu.

Dans l'incendie de l'église, en 4554, la voûte de la nef s'effondra et brisa le monument de l'Abbé Eustache. De l'épitaphe même il ne restait plus que ces mots au temps de D. Cotron.

Ci-gist le corps de religieuse et vénérable
Personne.... qui de ceste église

Fut grand réparateur (1).

Aujourd'hui, Etiam periere ruinæ.

(1) D. Cotron. Anno 1511.

171

CHAPITRE II.

THIBAULT DE BAYENCOURT, QUARANTE-NEUVIÈME & DERNIER ABBÉ RÉGULIER.

Compromis avant son élection.

l'église de Saint-Riquier. Marché de Saint-Riquier. de Thomas d'Argies. Valois et la Trésorerie.

(1511 à 1536.)

Ses bulles de provision.

Sépulture du seigneur de la Gruthuse dans Travaux de l'Abbé Thibaut à l'église et au monastère. Incendie de 1518. Grand relâchement sous cet Abbé: excès - D. Philippe de

· Nombreux rachats de fiefs.

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Thibaut de Bayencourt résigne son abbaye à Claude Dodieu.

Au moment où Eustache Le Quieux touchait à sa dernière heure, le seigneur de la Gruthuse, gouverneur de Picardie, qui affectionnait beaucoup le monastère de SaintRiquier, - et il le prouva en y choisissant sa sépulture, - adressa une lettre aux religieux pour les engager à élire promptement un Abbé de grande famille et originaire de la France; il leur faisait entendre que c'était la seule chance d'éviter un Abbé commendataire, c'est que le chancre rongeur de la commende jetait alors ses racines sur tout le corps monastique et le menaçait d'une entière absorption.

C'est pourquoi, immédiatement après la mort de l'Abbé, on se réunit en chapitre. Avant de procéder à l'élection, tous les membres présents prirent d'un commun accord l'engagement suivant : « Celui qui sera élu Abbé devra s'obliger par serment à faire trois parts des produits des revenus de l'abbaye: la première pour les réparations et les charges du monastère: la seconde pour l'entretien et le vestiaire des moines: la troisième pour la mense abbatiale (1). »

Nous avons ici un blâme pour le passé, l'expression des craintes pour l'avenir. L'omnipotence et le faste de certains Abbés non-seulement anéantissait la puissance des couvents, mais retranchait même à la communauté régulière le nécessaire ou l'entretien décent. On voulait se prémunir contre de semblables abus: puis on sentait qu'il faudrait tôt ou tard courber la tête sous le joug que la commende imposait. On cherchait ainsi à lui opposer de sages règlements, des principes d'administration autorisée par de louables coutumes.

Après ce compromis, on écrivit les votes. Le choix tomba sur Thibaut de Bayencourt, religieux qui jouissait d'une grande considération et par l'éclat de sa naissance et pour ses qualités personnelles. Il serait sans contredit l'un des plus illustres Abbés de SaintRiquier, s'il n'eût paru mettre les choses temporelles au-dessus des spirituelles, et si les éminents services d'une longue administration n'eussent été obscurcis ou plutôt ternis par une fin honteuse.

La famille de Bayencourt tirait son origine du village de ce nom, aux environs de (1) D. Cotron. Anno 1511.

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