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Dans l'enquête sur les coutumes (1567), on le voit figurer comme seigneur des terres et châtellenies de Lully ou Louilly, Morcourt, Motte, Digny, Contay, Biencourt, Villerssous-Corbie, Saint-Sauflieu, Acheux et Léalvillers (1).

VACANCE DE 1572 à 1577.

Il faut croire que les troubles et les confusions de ces mauvais jours empêchèrent de s'occuper des abbayes vacantes, dont les revenus, grâce au droit de régale, revenaient au trésor royal. Qui aurait songé à se plaindre de ce désordre? Les revenus de l'abbaye étant placés sous le sequestre, les commissaires préposés à la garde des possessions firent les actes conservatoires. Ainsi des baux à échéance fixe ont été renouvelés et passés sous leur nom et revêtus de leur scel.

Le 21 mars 1577, le siège abbatial était encore inoccupé, d'après les actes publics (2). Il est constaté que le prieur D. Asselin n'a plus que huit moines sous sa juridiction. Ainsi c'est un progrès dans la décadence, sous l'action corrosive des guerres et de la commende. La postérité jugera plus sainement que les contemporains les auteurs et les complices de ces dilapidations.

En cette même année 1577, on lit dans les cartulaires de l'Hôtel-Dieu que le monastère suscita un procès aux religieuses de l'Hôtel-Dieu, pour revendiquer des droits de juridiction ecclésiastique sur leur communauté. Les moines prétendaient, disent le maître et les religieuses, les assujettir à leurs processions, les obliger à offrir le pain bénit, à assister à la cérémonie du bois bénit, à payer la dime de leurs poules, oisons, et autres menues dîmes sur leur maison d'habitation et leurs enclos. Condamnés en première instance par l'official d'Amiens, les moines en appelèrent à l'archevêque de Reims, mais la sentence fut confirmée.

(1) Jacques d'Humières, frère de l'évèque de Bayeux, marquis d'Encre, seigneur de Bray et de beaucoup d'autres lieux, chevalier des ordres du roi, gouverneur des trois villes de Péronne, Montdidier et Roye, lieutenant-général en Picardie pour Sa Majesté, fut l'un des plus célèbres, des plus chevaleresques seigneurs de son temps et le plus accrédité du pays. C'est lui qui a conçu l'idée de la Ligue ou du moins qui en fut le plus ardent promoteur en Picardie. On appelle ainsi l'association ou la sainte union des catholiques pour défendre la foi de leurs pères jusqu'à la mort et ne jamais souffrir qu'un prince hérétique possédât le royaume très chrétien de France. Quoiqu'on ait dit ou écrit

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CHAPITRE V.

CHARLES DE LA CHATRE, TROISIÈME ABBÉ COMMENDATAIRE

SOUS LE NOM DE BENOIT RYMBAUT, SON FIDUCIAIRE.

(1577 à 1588.)

213

Charles ou plutôt Claude de la Châtre et son fiduciaire Benoît Rymbaut. Aliénations nouvelles de biens ecclésiastiques. Remontrances inutiles du clergé. Claude de la Châtre cède sa commende à Henri

de la Châtre.

A deux évêques vont succéder deux chevaliers célébres par leurs services envers l'Etat (1), Charles et Henri de la Châtre, comtes de Nançay, près Bourges. « Charles de la Châtre, dit la chronique, grand chancelier de France, obtint cette abbaye du roi en reconnaissance de ses mémorables services; il se distingua sous quatre rois de France par les exploits les plus éclatants, mais surtout par une ambassade dont il fit seul tous les frais (2). >>

Nous avons inscrit ici le nom de Charles de la Châtre par respect pour les traditions reçues. Mais nous ferons remarquer que ce nom ne se lit pas dans les généalogies connues de la famille. Le titre de chancelier qu'on lui attribue est aussi fautif. Charles de la Châtre ne figure nulle part parmi les chanceliers de la France. Nous croyons à une erreur de nom. Nous supposons que la chronique voulait désigner Claude de la Châtre, gouverneur du Berry et d'Orléans, serviteur zélé et actif des rois de France dans les guerres de religion. Son titre de maréchal de France le rend digne de tous les éloges dont le comble la chronique pour ses fonctions civiles et militaires.

Comme il était marié, Charles ou plutôt Claude de la Châtre eut besoin d'un prêtenom ou d'un fiduciaire. Il choisit un ecclésiastique, nommé Louis Rymbaut et c'est sous ce nom qu'il demanda ses bulles.

Tels étaient les abus et la perversité de ce temps! Jamais, en effet, à aucune autre époque la simonie ne fut plus audacieuse ni les lois de l'Eglise violées avec plus d'impunité. Claude de la Châtre pouvait s'autoriser d'illustres exemples. François de Bourbon,

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prince de Conty, frère du cardinal de ce nom, possédait l'abbaye de Saint-Germain-desPrés sous le nom de Jean Percheron et de Louis Buisson. On verra plus tard Henri IV donner des abbayes à ses maîtresses, à ses bâtards et même à des calvinistes. Gardonsnous de trop remuer ces douloureux souvenirs.

Benoît Rymbaut, dont nous ne connaissons que le nom, établit en 1582 Thibaut Asselin, prieur claustral, son vicaire au spirituel et au temporel. Cette date mérite une observation. Le prieur claustral avait été continué dans son office, qu'il avait reçu de Charles d'Humières. Il est donc à croire que cet acte d'autorité est appelé par un contrat public qui réclame la présence d'un Abbé et d'un prieur. Jusque-là, sans doute, on administrait le temporel et on laissait les moines se gouverner comme ils l'entendaient. Dans cette période, les commissaires du clergé continuaient de vendre des biens pour soutenir la guerre contre les calvinistes. Domaines, cens, champart, tout fut jeté dans le gouffre, sans pouvoir le combler. On estime à plus de 5,000 livres pour le monastère le chiffre total de ces ventes ou inféodations.

Les religieux, le prieur et le couvent s'opposèrent de toutes leurs forces à ces aliénations. D. Martin et D. Simon le Bel, sous-prieur, furent chargés de présenter les réclamations des religieux, mais les commissaires du clergé n'y firent point attention et les ventes continuèrent avec d'autant plus de facilité que le pape Sixte V lui-même, le 30 février 1586, permit d'aliéner encore pour les subventions la valeur d'un million d'écus, à savoir 500,000 écus, à la réception de la bulle, et 500,000 plus tard, si la guerre continuait. Les évêques eux-mêmes faisaient des remontrances, mais la nécessité extrême et la loi du salut de l'Etat leur étaient opposées, et tout le clergé, courbant la tête sous ce joug, dut se réduire à vivre de privations, en attendant la fin des guerres civiles. Voilà le bilan des guerres de religion pour l'Eglise catholique, et c'est elle qu'on veut rendre responsable de ces calamités !

Charles de la Châtre disparut en 1588 et laissa, dit la chronique, la commende de Saint-Riquier à son fils Henri, avec les autres héritages (1). Henri de la Châtre n'eut qu'à continuer à Benoît Rymbaut sa protection et le prier de bien gérer ses intérêts (2).

(1) D. Cotron. Anno 1588.-Cette phrase demande un correctif. Henri de la Châtre était le neveu ou plutôt le fils de Claude. Celui-ci lui résigna l'abbaye de Saint-Riquier, car il ne meurt qu'en 1614.

(2) On conserve au musée de Cluny à Paris les volets d'un rétable d'autel en bois provenant, dit le catalogue du musée (1852, no 228), de l'abbaye de Saint-Riquier et portant la date de 1587. Le rétable se compose de quatre panneaux dont chacun contient trois bas-reliefs. L'ensemble forme douze sujets qui sont le Credo en action ou la traduction des douze articles du symbole de foi catholique. Nous avons essayé de lire la pensée de l'auteur et

nous allons la reproduire ici sous toute réserve, laissant à de plus savants archéologues l'avantage de donner une meilleure interprétation.

PREMIER VOLET.

Jor ARTICLE. CREDO IN DEUM. Dieu, la création, la séparation des ténèbres et de la lumière, le soleil, la lune, les animaux, le paradis terrestre, l'arbre de la science du bien et du mal, Adam endormi, Ève qui se présente devant Dieu.

II. ARTICLE. ET IN JESUM CHRISTUM. Notre-Seigneur J.-C. dans un vaste nimbe ou la Transfiguration, qui nous rappelle ces paroles: Hic est filius meus...

Moyse et Elie auprès du Sauveur: trois apôtres au second plan: un qui lit, un second qui est couché et le troisième en prières.

III. ARTICLE. ET INCARNATUS EST.... L'Annonciation, l'archange Gabriel et la sainte Vierge : la Nativité, l'enfant Jésus, Marie, Joseph avec un long baton; les bergers, le bœuf et l'âne.

SECOND VOLET.

IV ARTICLE. CRUCIFIXUS,.. Une descente de croix avec les divers personnages qu'on représente ordinairement autour du Sauveur.

Ve ARTICLE. RESURREXIT... Le Christ ressuscité : plus bas, les gardes endormis, puis le Christ encore, tenant sa croix d'une main et de l'autre la main d'un apôtre qu'il conduit vers un enfant. Autour d'eux plusieurs personnes en prières.

VI ARTICLE. ASCENDIT IN COELOS... L'Ascension. Au ciel la Sainte Trinité représentée par deux personnages et la colombe. Au-dessous des Anges: plus bas les apôtres et la sainte Vierge.

TROISIÈME VOlet.

VIIS ARTICLE. ITERUM VENTURUS EST... Le jugement dernier. Jésus-Christ, juge des vivants et des morts. Les élus montent au ciel, les réprouvés sont entraînés dans les enfers.

VIII ARTICLE. CREDO IN SPIRITUM SANCTUM... Après l'acte de foi en la divinité du Père et du Fils, le chrétien fait profession de croire au Saint-Esprit. La Pentecôte, Marie au milieu du tableau avec Marie-Madeleine. Les apôtres, dans diverses attitudes, attendent en prières la descente du SaintEsprit.

IX ARTICLE. CREDO SANCTAM ECCLESIAM... L'Eglise représentée par divers personnages symboliques. D'abord la ville de Jérusalem, puis un homme qui lève le couvercle d'un coffre pour figurer peut-être

le martyre de saint Etienne, ou la mort d'Ananie: un homme renversé, saint Paul? Une femme avec son enfant dans une hotte; divers personnages tenant des bourses à la main, un autre portant des pains sur la tête. N'est-ce pas ici l'image des biens vendus et de la charité des premiers chrétiens?

QUATRIÈME VOLET.

X ARTICLE. REMISSIONEM PECCATORUM... Le Baptême et la Pénitence. Le baptème des mères et des enfants, des voyageurs, d'un soldat qu'on reconnaît à son bouclier; un personnage qui étend la main sur d'autres fidèles.

XIe ARTICLE. CARNIS RESURRECTIONEM... La vision d'Ezechiel ou bien un ange qui tient les mains élevées; de tous côtés des squelettes sortent de leur tombeau.

XII ARTICLE. VITAM ÆTERNAM... La céleste Jérusalem; des anges, des apôtres, le bon Pasteur au milieu de ses brebis qui cheminent vers le ciel. On sait que les fidèles sont souvent représentés dans les catacombes et les monuments de l'Fglise primitive sous la figure d'agneaux et de brebis.

Tout ce travail est plein de foi et de poésie biblique. Il nous a semblé cependant que dans l'exécution on reconnaît plutot la main d'un huchier de cette époque que le ciseau d'un artiste. Quoiqu'il en soit, ces volets occupent une place d'honneur dans le musée de Cluny.

Au numéro 609 du catalogue du même musée, on se trouve encore en face d'une autre œuvre d'art du monastère de Saint-Riquier: une porte sculptée à jour (style du xvi° siècle) nous offre dans un beau travail de menuiserie les quatre Evangélistes représentés aux quatre coins de la porte, mais d'une taille inégale, selon la hauteur des compartiments.

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