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de la guerre ne permettant pas d'appliquer le remède efficace de la réforme, tout disparaît dans cette tourmente : les ordres religieux, comme les autres institutions, sont frappés au cœur : c'est à tort qu'on leur reprocherait de ne point surnager au milieu du cataclysme universel des siècles suivants.

En acceptant la constitution du Pape Benoît XII, l'Abbé Beauduin ne pouvait que se confirmer dans son généreux dessein de défendre les libertés de son monastère. Les faits suivants que nous allons citer ou grouper, selon l'affinité des biens et des institutions plutôt que d'après l'ordre des temps, prouveront au lecteur que l'Abbé de Saint-Riquier était vraiment rempli de l'esprit que le Souverain-Pontife cherchait à ressusciter. Avant de les signaler, nous noterons que l'Evangéliaire de saint Angilbert fut recouvert sous Beauduin de plaques d'argent dans lesquelles on enchâssa des reliques (1328). Plus tard ces plaques, bénites par l'attouchement du livre divin, furent elles-mêmes traitées avec le même respect que les reliques.

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I. VALLOIRES. Une possession calme et tranquille du domaine des Roches faisait presque oublier aux Cisterciens de Valloires une suzeraineté facile à porter. Cependant les titres subsistaient toujours et l'Abbé de Saint-Riquier n'aurait point souffert qu'on eût prescrit contre lui. Il revendiqua ses droits par toutes les voies de justice, mais sans succès, et on le força à employer des moyens extrêmes. Ainsi, en 1328, frère Enguerrand, Abbé de Valloires, voulant extraire des pierres sur sa propriété des Roches, fut obligé de reconnaître que c'était avec la permission des moines de Saint-Riquier qu'il faisait << une tonnelle à prendre des pierres, par grâce spéciale, sans préjudice pour le temps présent et à venir, sans qu'il pût acquérir droit de propriété et saisine contre les moines de Saint-Riquier qui avaient terrage et seigneurie (1).

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Que s'est-il passé après cet acte si clair? On ne le dit pas, mais en 1330 « le jeudi » après les Brandons, frère Bertremieu d'Argonnes, religieux et procureur de Valloires >> reconnaît ès-plaids du prévost de Saint-Riquier, lui suffisamment fondé, que les >> moines de Saint-Riquier ont toute justice en l'hôtel des Roches. >>

En 1331, «< grand procès pour bêtes prinses aux Roches. Ceux de Saint-Riquier s'é>> toient dolus et complains en cas de nouvelleté des religieux de Valloires, parce qu'ils » avoient prins bêtes à laisse sur leur juridiction des Roches. Pour ce, amende est infli» gée à ceux de Valloires et les bêtes sont rendues aux sergents de Saint-Riquier, pour » qu'ils jugent et amendent le délit. » C'est aux Assises d'Amiens que ce débat fut terminé (2).

En 1337, autre amende contre les moines de Valloires pour usurpation de souveraineté par exercice de la justice. A la suite de ce dernier procès on rédigea de nouvelles lettres pour établir les droits de chaque partie (3).

(1) Cart. St.-Riq., Fol. 161.

(2) Au douzième siècle ces questions eussent été jugées en Cour ecclésiastique par un Chapitre d'É

vêques et d'Abbés, mais il n'est plus question d'im-
munité ecclésiastique depuis Philippe-le-Bel.
(3) Il est reconnu: « 1° Que les moines de Saint-

On voit par le contenu de ces lettres que les Cisterciens ont là une belle grange ou un hôtel avec manoir parfaitement enclos. A quelque distance, l'église de Notre-Dame de Troussencourt réveille dans l'esprit des religieux comme dans toute la contrée, le doux souvenir de la Vierge Marie, Mère de Dieu et Consolatrice des pécheurs et des malades. La grange a disparu depuis longtemps, mais la rustique chapelle protège toujours les fertiles campagnes.

II. CHEVALIERS DE SAINT-JEAN DE JÉRUSALEM. - Plusieurs procès étaient pendants. Les griefs étaient nombreux à Bellinval, à Yvrench, à Brailly, à Forêt-l'Abbaye, à La Motte-Buleux. Les serviteurs des deux ordres se querellaient et s'attribuaient des droits de souveraineté. Sur tous ces désaccords, il intervient (juin 1340) une pacification entre l'Abbé de Saint-Riquier et frère Guillaume de Mailly, grand prieur de France. Celui-ci en donne acte à Corbeil, sous le scel du prieuré, nommé le Scel à l'Esgle et en plein chapitre (1).

1° On plaidoit devant le prévost de Saint-Riquier sur une pièce de terre nommée le Courtil de Saint-Riquier qui devoit terrage et vilenie: la maison de Bellinval est déchargée de cette servitude pour quinze boisseaux de bled, « à 3 sols près du meilleur, à la mesure de Saint-Riquier et onze boisseaux d'avoine bonne, secque, loielle à brasser et à semer. »

2o On met fin à des débats, qui avaient obligé à faire exploiter par œuvre de justice 144 journaux de terre « pour lesquels ceux de Jérusalem ne payaient pas le terrage. » 3o D'autres terres étaient également exploitées par ordre de justice au Camp de Pierre, entre la Motte-Buleux et le moulin de Forêt-l'Abbaye, mais on s'en rapporta à la décision du roi qui déclara « la terre rentable, vilaine et sujette à terrage envers SaintRiquier. »

4° Les chevaliers de Saint-Jean s'étaient plaints d'une usurpation des moines de SaintRiquier sur leur juridiction. Un nommé Rogier Lenglet avait quitté leur maison de Beauvoir pour venir mourir dans un lieu soumis à la suzeraineté des moines et ceux-ci avaient pris certains legaulx, biens meubles, et autres biens. « Or, il est reconnu dans leurs constitutions que leurs sujets ou servants qui n'ont point d'enfants ne peuvent quitter leur hôtel ni aller mourir ailleurs sans un congé, pour lequel ils paient quatre deniers perisis, qu'ils ne peuvent léguer leurs biens meubles sans le même congé et le legs auto

» Riquier porront prendre près de l'église de » Trouchencourt du savelon tant qu'ils vauront pour » leur hôtel de Noyères et pareillement prendre la » pierre au marquais Dalbin et si on le peut facile»ment on porra faire une tonnelle pour le saquier » hors dudit lieu et marquais, pour l'usage de » l'hôtel de Noyères.

« 2° Et ceux de Saint-Riquier et ceux de Valoires » pour leurs usages pourront prendre argile et » terre pour torquier ès fiefs et arrière-fiefs te

» nus d'eux et sans contredit.

« 3° Par exprès lesdits de Valloires ne pourront » vendre, donner ne aliéner à autres lesdits ma»teros, pierre, savon, argile, si ce n'est par ac» cord avec le suzerain.

«< 4° Pour tout différend ou contestation faudra >> retourner du tout à cette lettro, à ses sequelles » et dépendances. » Cart. de St.-Riq. Fol. 161, 162. (1) Cart. St.- Riq. Fol. 143.

risé ne doit pas excéder 5 sols, et c'est encore une faveur accordée aux maisons des anciens templiers. >> Rogier Lenglet avait donc outrepassé ses droits et toutes ses dispositions étaient nulles. La question fut jugée par Maître Mahieu Gaude et Firmin d'Oisemont: les parties restèrent dans leur indépendance première.

5° Les moines de Saint-Riquier avaient entrepris sur les droits des chevaliers, en enterrant sans leur licence Maître Jean de Brailly dans le cimetière de Brailly et en emportant le drap, la cire, les oblations. « Ordre fut que rétablissement se feroit par signe de tout en la dite église et partant fut accordé. » Ce qui semble signifier que la cérémonie serait recommencée par le curé de Brailly, prêtre chevalier de leur ordre et qu'il recevrait toute la dépouille avec les oblations.

III. ARLEUX (1330 à 1336). Les droits de justice du monastère à Arleux et à Bray étaient foulés aux pieds par les officiers de messire Jean de Châlons, seigneur de Nesle et de Bray. Ceux-ci ne voulaient pas reconnaître aux moines la prérogative seigneuriale de tenir des plaids en leur maison d'Arleux, d'y exercer leur juridiction, toutes les fois qu'il était nécessaire, sur les dépendances de la seigneurie d'Arleux et sur les lieux privilégiés de la ville de Bray. Ils allèrent jusqu'à mettre la main sur les officiers de justice de l'Abbé Beauduin ; ils les retinrent même en prison sous prétexte qu'ils usurpaient sur leur autorité et que la commune de Bray seule avait des titres fondés à exercer la justice sur cette circonscription territoriale: ils se montrèrent prêts pourtant à prouver leurs affirmations par lettres authentiques, mais en proposant à l'abbaye de reconnaître que l'exercice de sa juridiction était une concession bénévole des seigneurs de Bray et que c'était sous leur bon plaisir que les moines donnaient saisine et dessaisine et qu'ils prononçaient sentence en leurs plaids (1).

La question contentieuse fut mise aux mains du roi et déférée aux assises du Vermandois. Pendant l'enquête et les procédures écrites, le domaine de Bray passa entre les mains d'Engerger d'Amboise. Ce nouveau seigneur accepta l'héritage du procès avec sa terre et nomma un procureur pour poursuivre sa cause. On plaida aux assises; après quoi il intervint une sentence dans laquelle il fut dit que les religieux avaient mieux prouvé leur saisine que le sieur de Bray et qu'il leur appartenait de tenir leurs plaids non-seulement à Arleux, mais aussi dans la maison du curé et dans les hôtelleries de Bray. Cette sentence d'assises fut rendue le 17 septembre par Robert de Charny, bailli du Vermandois, en présence de XI hommes-liges de la contrée et de XXI personnes.

La veille (16 septembre), une autre sentence d'assises, avait jugé avec le concours de XI hommes-liges et de XXXI personnes un différend, qui avait également rapport à la suzeraineté des Abbés de Saint-Riquier. Deux malfaiteurs, pris dans le moulin d'Arleux par les sergents du seigneur de Nesle et emmenés dans ses prisons, avaient été justiciés au préjudice de la seigneurie abbatiale, qu'on troublait dans sa légitime et

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immémoriale possession. On cassa cette sentence et on rétablit le couvent de Saint-Riquier dans toute sa saisine (1). Des lettres de Philippe de Valois confirmèrent ce jugement d'assisses et arrêtèrent du moins pour un temps des envahissements que la puissance séculière multipliait sur tous les points. On verra encore ailleurs combien l'Abbé Beauduin eut d'entreprises de ce genre à réprimer. L'histoire du temps nous montre cette tendance générale qui, révélée en 1330, dans une célèbre conférence entre Pierre de Cugnières et les principaux Évêques de France, ne fut pas comprimée, malgré les promesses de la cour. Cette plaie continua à ronger la juridiction temporelle de l'Église et finit par la tuer complètement.

L'autorité royale travaillait de son côté à diminuer l'exercice de la haute justice dans tous les bailliages immédiatement soumis à la couronne. Ainsi, en 1334, Jean de Domart, sergent royal à la prévôté de Saint-Riquier « notifie par copie que Galerand de Vaux, >> bailli d'Amiens, fait faire défense aux religieux, de par le roi, d'user de haute jus>> tice ni eux ni leur bailli, ni leurs hommes, d'appeller par tierchances et quinzaines, » malfaiteurs, qu'ils ne les meissent point en défaut, qu'ils ne leur donnissent point >> absolution en leur église ni en leur château de Drugy, maintenant en tout la haute >> justice au commandement des sieurs des finances. » Toutefois cette défense ne regardait pas les villes de Feuquières, Huppy et Aumâtre en Vimeu, qui dépendaient du comté de Ponthieu. Valeran de Vaux écrit donc à Jean de Domart pour qu'il dise aux religieux «< qu'ils doivent en jouir et possesser en icelles villes et leurs dépendances (2). L'Abbé de Saint-Riquier répondit à Jean de Domart « qu'il se garderait bien de mesprendre. » C'était une protestation contre une usurpation; ainsi le comprenait Beauduin et il voulut défendre ses droits par la raison et la conscience; pour toute réponse, le sergent royal l'ajourna par devant le bailli, comme il appert par sa relation. Il dut nécessairement succomber.

IV. NOUVEAUX ACQUÊTS. L'Abbé Beaudoin eut, comme ses prédécesseurs, à payer une forte contribution pour nouveaux acquêts: non-seulement on exigeait la somme, mais on la faisait payer en parisis plutôt qu'en tournois, ce qui élevait l'impôt d'un quart. Des plaintes furent adressées au roi qui voulut bien les écouter et faire réparer l'injustice.

« Mandement royal sous le scel de la Baillie d'Amiens. Nous nous plaindîmes au roi » de ce que nous avions été condamnés par la cour envers lui et en parlement, et en » vertu d'icelle condamnation ledit receveur s'efforçoit nous faire payer forte monnoye » et nous n'avons été condamnés que pour monnoye tonnus (tournois); pourquoi le roi « et la cour ont déclaré que on nous laissast en paix, en payant cette monnoie courante >> et se il avoit rechut forte monnoye, il nous le rendit et restitue incontinent à l'équi» pollent le par dessus. >>

(1) Cart. St.-Riq. Ibid. 117, 118.

(2) Ibid. Fol. 147.

En 1332, Bertremieu du Dracq « receveur de la baillie d'Amiens » fut chargé de relever les acquisitions par les gens d'Eglise et gens non nobles depuis 40 ans : selon les statuts du royaume, tout ce qui leur était advenu de fiefs ou arrière-fiefs par dons ou autrement, les eussent-ils mis hors leurs mains, était soumis au rôle des écritures et à la contribution imposée par le roi, mais les receveurs avaient la faculté de composer et d'appointer avec les détenteurs de nouveaux acquêts; c'est ce que firent les moines de Saint-Riquier pour diverses acquisitions de fiefs ou manoirs, et les finances de ces parties s'élevèrent à 640 1. 17 s. On en reçut quittance. »

<< Item à ycelle quittance y a confixée une Evangelisation, approbation donnée d'Oli» vier de Laye, chevalier, bailly d'Amiens en l'an 1344, la Vigile de Toussaints, Bertre>> mieu de Dracq, jadis receveur de la baillie d'Amiens, à présent trésorier des guerres » du roi. » (1).

V. CROTOY. Le domaine de Mayoc et Crotoy attira la sollicitude de Beauduin pendant toute la durée de son administration. Ville mi-partie anglaise, par suite de la domination des rois de la Grande-Bretagne en Ponthieu, et mi-partie monastique, à cause des droits imprescriptibles du monastère, il était bien difficile qu'elle ne suscitât de temps en temps quelques embarras, et que des défiances réciproques ne tinssent constamment les esprits en éveil.

On remarque du reste que, dans cette période, l'administration anglaise ne fut pas trop tracassière. La lutte avec les rois de France n'avait pas encore aigri les esprits.

Cet ancien port des comtes du Ponthieu était devenu un port anglais, comme on le voit par les faits suivants. Ainsi, en 1326, Isabelle de France, fille de Philippe-le-Bel et femme d'Edouard II, roi d'Angleterre, s'embarquait au Crotoy avec quelques nobles du Ponthieu pour l'expédition ou plutôt la conjuration qui devait coûter la vie à son mari et donner la couronne à son fils, Edouard III, l'implacable vainqueur de Philippe VI à Crécy. En 1338, le roi anglais destinait les impôts exigés sur le vin et une maltôte, que la guerre rendait nécessaire, à réparer les fortifications du hâvre et port du Crotoy, et mettait 1,500 hommes de garnison en cette place. L'année suivante, 2,000 hommes débarquaient au Crotoy pour renforcer les garnisons du Ponthieu.

Cependant le Crotoy fut tranquille jusqu'en 1345 (2). Nous entrons alors dans une douloureuse période de la guerre de Cent Ans. On connaît les origines de cette longue guerre. Edouard III ne pardonnait pas à Philippe de Valois d'avoir exigé son hommage; il l'accusait même de lui avoir ravi sa couronne de France qu'il réclamait du chef de sa mère, faisant semblant d'oublier que la loi salique avait toujours exclu les femmes du trône de France. Se croyant assez puissant pour se mesurer avec son rival, il prit même le titre de roi de France. Philippe VI ne voulut pas se laisser surprendre ; il rassembla

(1) Cart. St.-Riq., Fol. 187, 188.

(2) En 1340, 1344, 1350, etc., Edouard permet aux marchands du royaume de Castille de négocier

dans la ville du Crotoy, aussi bien que dans celles

de Honfleur et d'Abbeville.

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