Imágenes de páginas
PDF
EPUB

promptement sa noblesse. La ville de Saint-Riquier fut un des principaux centres où se groupèrent ses bannerets et ses chevaliers. Les fieffés de la prévôté de Saint-Riquier y furent ajournés par lettres du 24 août 1337, pour le 11 septembre. On y vit paraître << Messire Hugues Quiéret, grand amiral de France et commandant la flotte française, à l'Ecluse; le comte d'Aumale, lui troisième, à bannières; Messire Pierre Bournel, chevalier, seigneur de Thiembrone, lui troisième; Messire Jean d'Auxi, Messire Jean de Mailly, à bannières, Messire Robert de Boubers, Messire Aléaume de Boufflers, et beaucoup d'autres seigneurs dont il serait trop long de citer les noms (1). »

Jean de Change, sénéchal de Ponthieu, son lieutenant, et Berthemieux de Brais, après la funeste bataille de l'Ecluse, firent des courses sur l'Amiénois, aux environs de SaintRiquier et de Doullens. Jean de Change entreprit même le siège de Drugy, mais une trêve entre les deux rois, sous la médiation du Pape, fit cesser les hostilités et lever le siège.

Notons ici un acte de rigueur des religieux envers certains habitants du Crotoy. Vexés par leur mauvais vouloir, les moines, selon la coutume du temps, firent enlever les portes des maisons à ceux qui n'avaient pas payé leur cens, mais sans avoir appelé les officiers de justice et les sergents. Le mayeur et les jurés de la ville réclamèrent contre l'illégalité et implorèrent le pardon des débiteurs. Beauduin se contenta d'une leçon si sévère et entra volontiers en composition (2).

Il nous reste à raconter les démêlés de l'Abbé avec la commune de Saint-Riquier. Après le concordat de 1312, les mêmes questions surgissent comme si la justice royale n'avait rien réglé. Dans une amiable transaction (1318) sur les ténements, la justice, les héritages des bourgeois jurés, le tonlieu, sur les gambages des brasseurs, etc. (3), entre autres points il est statué: 1° que les gens de condition roturière dépendants de l'Eglise ne jouiront plus du droit de bourgeoisie sans le consentement du couvent, lorsqu'ils possèdent des domiciles soumis au droit d'ostise ou hostisie (4) en dehors de la ville et de la banlieue; en outre que leurs fiefs appartiendront aux religieux et leur feront retour, le cas y échéant, d'après l'article, Si quis rusticus, de la charte de 1126. Ceux qui ont été indument agrégés perdront leurs privilèges.

2° Pour ceux qui ont dans la commune des maisons ou des ténements soumis au cens abbatial, la connaissance des délits appartiendra au mayeur et aux jurés, mais l'arrêt sera exécuté par les religieux : si le cens n'est point payé, les portes et les fenêtres des maisons, les manivelles et les cordes des puits seront emportées, d'après la coutume généralement suivie en ce temps. C'est un souvenir de l'interdiction des feux et des maisons usitée chez les Romains (5).

(1) Mémoires de la Société des Antiquaires, Tom. xx, page 268.

(2) D. Cotron. Anno. 1339.

(3) Cart. St-Riq. Fol. 40. — D. Cotron. Anno 1318.

(4) Le Droit d'ostise ou hostisie est indiqué plus loin, page 33.

(5).« Mais si le tenancier déclarait avoir payé et s'il en faisait serment, il y serait reçu trois fois en sa vie. Cart. St-Riq. »

3. Les procès ou plaintes qui concernent les fiefs situés dans la ville ou la banlieue et le champart seront jugés par l'Abbé.

4° L'Abbé se réserve également le droit d'avoir dans la ville deux sergents.

5° Il accorde au mayeur et aux échevins toute juridiction sur les propriétés qu'ils pourront acquérir dans la ville. Les maraudeurs, volant au moment des récoltes dans la banlieue, seront jugés par le mayeur et les échevins (1).

Cet accord fut ratifié par Charles le Bel en 1323, la première année de son règne. Cette même année le roi est obligé de nommer des arbitres pour terminer des différends soulevés au sujet des frocs de la ville. La permission du froquier fut reconnue nécessaire, après l'examen des chartes. Les arbitres étaient deux chanoines : Philippe de Meslie, chanoine de Chartres et Léon Mendacilain, chanoine de Langres.

Des arrêts de 1324 et 1325 nous apprennent qu'on cherche toujours à secouer le joug de l'abbaye. C'est une chicane de mauvais aloi, après tant de sentences, et on ne saurait trop admirer la patience des Parlements consentant à discuter « sur des vieils édifices » à raparelier, sur des huvelas ou appentis à élever sur froc si haut que nul à pied » ou à cheval ne se puisse bléchier, sur des estrainures à puch sur froc, sur des >> huisures ou fenêtres entre deux portes. » Le roi ne dédaigne pas de ratifier, de confirmer toutes ces querelles de petite voirie avec la même solennité que les chartes publiques, qui décident de la fortune des plus puissantes familles. Nos autem permissa omnia et singula in prædictis litteris contenta, rata habentes et grata volumus et laudamus (2).

Toutefois une disposition assez curieuse à noter pour le temps regarde la justice de la léproserie du Val (1323).

» Les mayeur et échevins aront le gouvernement, les corrections, les pugnitions et >> institutions, destitutions, la connoissance de tout comme en leur ville et banlieue, » des malades, frères et sœurs dudit lieu, les porront corrigier, pugnir à leur discré» tion.

> Iceux mayeurs et échevins aront pareillement la connoissance, la commission, la » correction des maismes demourant en ladite maison à terme et à loyer, au pain et >> au pot de l'ostel, des malfaits qui seroient l'un à l'autre dedans l'enclos des murs » dudit Val, sans main garnie, sans sang courant et plaie.

>> Sy aront-ils pareillement de toutes les personnes touchant leurs loyers, et nous >> arons la justice de tous autres cens et se ne porront ensaisiner l'un contre l'autre, >> nonobstant que cet article derogue à ce qu'ils n'ont point de justice hors leur ban>> lieue. Si demoure la composition en sa vertu et pareillement fera cheste (3).»

(1) Voir M. Prarond (Histoire de St-Riq., pag. 54), qui appelle ces droits seigneuriaux droits prétendus par le couvent sur la ville. Ce sont bien des droits primordiaux et séculaires.

(2) Cart. St-Riq. Fol. 41. Autre lettre confirmative d'un second décret. Fol. 43. (3) Ibid. Fol. 42.

Il est permis de se demander s'il restait en ce temps des lépreux au Val, après ce qu'on lit sous la date de 1321 dans Pierre Le Prestre et bien d'autres historiens plus modernes : «< Au temps de Philippe le Long, Mil III XXI, en France et ailleurs a une >> meisme heure du jour furent tous les lépreux prins et ars, et dist l'histoire qu'ils >> avoient emprins de empoisonner et envenimer toutes les eaux de xtienté pour faire » morir le pœuple, affin qu'ils fussent seigneurs de tout le monde et desjà despartoient >> les ungs aux autres les seigneuries (1).

L'édit que nous venons d'analyser semble s'adresser à une maison parfaitement organisée, trois ans après cette implacable exécution de la vindicte publique. Les maîtres, frères et sœurs sont à leur poste, tous justiciables de la commune. Ne faudrait-il pas conclure à une exagération de la rumeur populaire, dont Pierre Le Prestre fut un écho trop consciencieux ? Des auteurs plus réservés, tout en admettant le complot et la sévérité de la répression, rapportent que les lépreux non condamnés au feu furent renfermés dans les hôpitaux et que l'on proscrivit hors du royaume les Juifs leurs complices (2).

Quoi qu'il en soit de ce fait étrange, nous avons la preuve de la juridiction de la commune sur la léproserie; le monastère cède dans cet acte une partie de ses droits. Nous pensons du reste que la ville en avait de plus anciens et qu'on peut reconnaître aux mayeur et échevins de Saint-Riquier autant d'autorité qu'à ceux d'Abbeville. Or ceux-ci traitèrent en 1267 avec l'abbaye de Saint-Riquier pour le Val des lépreux d'Abbeville.

Le cartulaire de Saint-Riquier fait la remarque suivante au sujet d'une entreprise des chevaliers de Saint-Lazare au siècle suivant: « Ceux de Saint-Riquier pour le Val se >> pourroient aidier d'icelle lettre en montrant que les mayeur et échevins sont supé>> rieurs et gouverneulx des maladreries chacun en sa ville per argumentum à si» mili (3). »

Une dernière remarque sur la charte de 1325, c'est que le château et la terre de Drugy sont encore une fois déclarés exempts de la juridiction des mayeurs et jurés de Saint-Riquier.

Cette tenacité à supplanter les moines dans leurs droits de seigneurie sur la ville, jointe à certaines idées d'indépendance, dont Pierre de Cugnières se fait l'interprète dans une assemblée mémorable du clergé et de la noblesse, nous expliquera jusqu'à un certain point l'attaque tumultueuse du monastère que nous allons raconter. Beauduin de Gaissart, allié à la noble famille de Brailly, aussi feudataire du monas

(1) Chronique de Pierre le Pretre. Fol. 4.

(2) Histoire de l'Eglise gallicane (1320). Formentin nous apprend que 7 Juifs furent convaincus de ce crime à Abbeville et condamnés au

feu il ajoute qu'on fit enfermer tous les ladres

:

dans les maladreries, d'où il leur fut défendu de sortir sous peine d'être brûlés (Histoire manuscrite de Ponthieu).

(3) Cart. de St-Riq. Fol. 94.

tère, avait un neveu qu'on nommait Thomas de Brailly et que la causticité populaire se plaisait à désigner sous le surnom de Thomas le Moiniot. Jeune, étourdi, trop favorisé peut-être par son oncle, il se faisait un mauvais renom dans la ville. Un nouveau trait de joyeuseté souleva tout le peuple contre lui. S'associant une vingtaine de bas officiers de l'abbaye, comme portiers, fourniers, messagers, chambellans, « il fit avec eux, dit une chronique, folie de carivari dans la ville, portant faux visage outre le gré du Maire. » On peut supposer aussi que cette mascarade n'était point complètement inoffensive et qu'elle pouvait insulter certains personnages en les jouant ou en les tournant en ridicule. Ce qui nous fait supposer une comédie de ce genre, c'est l'explosion d'indignation, c'est le tumulte causé par toute la ville. En effet on tomba sur le moiniot de Brailly, on le maltraita, on le frappa gravement. Le neveu de l'Abbé, surpris par cette violente attaque, courut au monastère pour s'y réfugier, comptant bien sur l'immunité de l'asile; mais la colère ne raisonne plus et ne réfléchit plus sur les conséquences d'un grand sacrilège. Les pierres pleuvent donc sur lui de tous côtés: «< il fut, dit la chronique, grièvement battu et navré. » Ce n'est point sans peine et sans danger que les domestiques de l'abbaye fermèrent la grande porte au milieu de ce tumulte et de cette nuée de projectiles meurtriers. On dit même qu'un religieux et plusieurs personnes du monastère furent aussi «< battus et navrés. »

Cependant les mayeur et échevins, au lieu de calmer l'émotion et d'arrêter les plus ardents, se mirent à la tête du mouvement, en criant en leur patois : « As cloque, as cloque », et à l'instant la cloche du Beffroi sonna le tocsin. Les bourgeois se soulevèrent aussitot et accoururent avec l'arme que le hasard mettait sous la main, « qui avec des dolores, qui avec des cognées, qui avec des arbalétes, des arcs et toute espèce d'instruments propres à ébranler et à renverser. » Les uns lancent des pierres dans l'intérieur avec leurs arbalètes; les autres frappent les portes à coup de hache; d'autres plus furieux, de crier: « Détruisons ce monastère, tuons ces ribaux de moesnes : brûlons leurs privilèges. » Et ayant fait apporter force « paille et grande quantité d'estrains »>, ils y firent mettre le feu. Pendant tous ces préparatifs, quelques bourgeois se faufilèrent par l'église Saint-Nicolas et y trouvèrent une porte de communication avec le monastère. Ainsi maîtres de la place ils firent à la muraille un « petruis » ou brêche assez large pour donner passage à cinq personnes de front. Malgré la défense des officiers du roi, commis pour rétablir l'ordre, ils se répandirent en armes dans le monastère et se saisirent de Thomas de Brailly qu'ils conduisirent dans leur prison (1).

L'Abbé revenait alors de Drugy avec son chambellan et une voiture chargée d'objets précieux, renfermés dans des caisses et des sacs. On signale entre autres choses de riches harnais montés en argent. La foule renversa tout à terre et brisa ces objets précieux, conduisit le chambellan au mayeur « et de sa querette on fit rompre une autre « porte pour lui (l'Abbé) entrer au monastère, par forche d'y hurter. »

[blocks in formation]

Ceci se passait en 1330. Des plaintes furent portées au roi par la commune et par l'Abbé. Les torts furent amendés et punis des deux côtés, mais la part de la commune fut bien plus lourde, comme on peut le conjecturer par la nature des délits. Tous ceux qui avaient participé à la mascarade furent emprisonnés au Beffroi de la ville et élargis aussitôt. Les uns furent condamnés à 60 livres d'amende, les autres à 10 livres, mais le Parlement condamna la commune à 1,000 livres d'amende envers l'abbaye et à tous les dommages et dépens, et à 2,000 livres envers le roi. La commune fut mise sous la main du roi, avec tous ses droits et revenus, jusqu'à pleine satisfaction (1).

Cette brutale invasion du monastère nous amène à parler du droit d'asile et d'immunité. La violation de ce privilège doit être signalée comme une circonstance extrêmement aggravante. Nous verrons plus loin que des délinquants, qui ont la chance de mettre le pied sur la porte du monastère, deviennent inviolables et ne peuvent être appréhendés par les recors, tant qu'ils restent sous la protection du monastère. On avait par conséquent, dans cette circonstance, commis un énorme sacrilège et la réparation appelait un châtiment exemplaire.

>>

Ecoutons un savant historien sur le droit d'asile. « Bien que d'origine payenne, le clergé se montra toujours jaloux de le conserver. L'asile, d'après la loi de l'empereur » Théodose le Jeune du 23 mai 431, comprenait non-seulement l'intérieur du temple, >> mais encore toute l'enceinte du lieu sacré dans lequel étaient situées les maisons, les » galeries, les bancs, les jardins et les cours qui en dépendaient. Ce droit fut confirmé >> par les rois francs et les conciles. Ceux qui se réfugiaient dans les asiles se plaçaient » sous la protection de l'Evêque, devenu pour ainsi dire responsable des violences qui » leur seraient faites. Les voleurs, les adultères, les homicides mêmes n'en pouvaient » être extraits et ne devaient être remis aux personnes qui les poursuivaient qu'après » que celles-ci avaient juré sur l'Evangile qu'elles ne leur feraient subir ni la mort ni » la mutilation.

[ocr errors]

<< Dans les temps barbares où l'offensé se faisait lui-même justice, où souvent une » vengeance terrible et prompte suivait un tort assez léger, où la force était la loi de >> tous et les sentiments d'humanités affaiblis et même éteints dans le cœur du plus grand nombre, il était bien que l'Eglise put accueillir et mettre en sûreté chez elle le >> malheureux, qui venait lui demander refuge, afin de donner à la colère le temps de se >> calmer ou de soustraire le faible et le pauvre à l'oppression de l'homme puissant. Les asiles qu'elle tenait continuellement ouverts étaient moins souvent alors des rem>> parts pour l'impunité que des abris contre la persécution. Lorsque les lois eurent re>> pris de l'empire et assuré à chacun son droit, les asiles des temples ne furent plus » d'égale nécessité... » (2).

Ces réflexions sont très justes et très sages et nous montrent la mansuétude infinie de

(1) D. Cotron. Ibid.

(2) Guérard. Cartulaire de Saint-Denis, Tom. 1, pag. xxvII.

« AnteriorContinuar »