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demande qu'une noble simplicité et la symétrie des parties seraient un hors-d'œuvre. Les pierres solides, qui forment le grand squelette d'un édifice gothique, résisteraient trop au ciseau du sculpteur. D'ailleurs l'obscurité répandue par les vitraux, qu'il faut toujours supposer dans une église monumentale, empêcheraient l'effet de ces décorations trop éloignées de l'œil. Mais qu'on se rassure; l'architecte saura racheter dans les détails cette grave sévérité des parties essentielles de l'édifice.

On fera bien de remarquer la projection si hardie des voûtes principales et la largeur de la nef.

En ce point l'église de Saint-Riquier l'emporte sur beaucoup d'autres et notamment sur celle de Saint-Wulfran d'Abbeville qu'on dit contemporaine, mais qui ne l'est qu'accidentellement par suite des réparations de notre église, puisque le dessin primitif de Saint-Riquier remonte beaucoup plus haut.

Il faut se rappeler aussi que les voûtes, effondrées en 1554, n'ont été relevées que plus de cent ans après par l'abbé d'Aligre. C'est ce qui explique l'absence de pendentifs armoriés, dont l'abbé Eustache Le Quieux aura certainement orné ces voûtes.

« Il existe ici, dit Gilbert, un rapport direct entre les proportions générales et particulières, qui mérite d'être signalé à l'attention. L'ensemble de cet édifice forme dans son élévation et sa largeur un triangle équilatéral, base du système d'architecture gothique et l'un des caractères primitifs et distinctifs de ce style. Ainsi la nef principale a précisément en largeur la moitié de la hauteur de la grande voûte et les ailes latérales ont tout juste en largeur la moitié de ceile de la nef principale. Il en est de même pour les proportions relatives des autres parties de l'église (1).

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Gilbert a-t-il bien saisi l'idée mère de ce triangle équilatéral dont il parle? Ce triangle n'est-il pas ici une image de l'adorable Trinité? Nous avons vu que le nombre trois fut reproduit partout dans les églises édifiées par saint Angilbert, comme un acte de foi au mystère de la sainte, une et indivisible Trinité, et que cet illustre abbé partageait dans ces combinaisons les conceptions des artistes de son temps, si vivement pénétrés des vérités religieuses. Ces traditions n'ont jamais dû s'oublier dans le monastère. A défaut de livres, les pierres parlaient à l'intelligence du moine: car on ne manquait pas de commenter dans les conférences monastiques la théologie mystique des édifices.

DIMENSIONS DE L'ÉGLISE. Nous donnons ici les principales dimensions des diverses parties de l'église et d'abord du plan équilatéral dont il a été parlé plus haut. Du pavé de la nef à la clef de voûte 80 pieds (2); différence en moins avec l'église de SaintWulfran, 16 pieds. Largeur de la nef et des bas-côtés, 80 pieds, savoir 40 pieds pour la grande nef et 20 pieds pour chaque nef latérale qui se prolonge autour du chœur dans la même étendue.

(1) Gilbert, page 88.

(2) On lit ailleurs 72 pieds. Nous préférons la

version de Gilbert et celle de M. Padé.

Longueur totale de l'édifice 312 pieds, dont 20 pour le vestibule, 122 pour la grande nef, 96 pour le chœur y compris ses murailles de clôture, 54 pour la chapelle de la Sainte-Vierge qui a 27 pieds de largeur.

L'élévation du monument, depuis le pavé jusqu'au faîtage du comble de la nef, mesure 130 pieds.

Le clocher central dominait ce faitage de 80 pieds. De la base à son sommet, la grande tour mesure 150 pieds.

L'ancienne sacristie, dont le terrain appartient à l'église, avait 30 pieds carrés.

Les transepts ou bras de la croix sont limités à la base par les murs du triforium. Celui du nord a 40 pieds en longueur et environ 15 pieds de profondeur. Le clocher élevé sur le transsept avait 80 pieds de haut. On compte 22 grosses colonnes, dont les fûts mesurent chacun 4 pieds 6 pouces de diamètre. Les quatre gros piliers angulaires ou du transsept ont chacun 7 pieds de diamètre (1).

D'après les observations des plus savants architectes, cette basilique est une des plus grandes églises abbatiales de la France (2).

La chapelle de la Sainte Vierge dévie avec l'axe de la grande voûte de la nef, de 7 à 8 pieds du côté du Nord-Est. C'est, comme nous l'avons insinué, la traduction de cette parole de l'Evangile : Et inclinato capite tradidit spiritum.

Parcourons maintenant: 1° les trois nefs: 2° le chœur: 3° le transsept: 4° les chapelles. LA GRANDE NEF. Cette nef, en dehors du vestibule, se compose de cinq travées soutenues par dix piliers ronds, cantonnés de quatre petites colonnes dont les chapiteaux sont richement sculptés. Les ornements des chapiteaux et de la frise appartiennent au règne végétal ou animal et à la période de l'architecture ogivale (3).

Les méneaux des fenêtres relevées par Eustache Le Quieux projettent à leur sommet des gerbes de flammes. Dans les fenêtres du bas-côté méridional l'artiste a croisé les fleurs de lys dans les arcs flamboyants. Des balustrades découpées à jour courent tout autour des nefs et du choeur et forment comme une ceinture horizontale d'entrelacs enflammés. Ces balustrades, bien qu'elles ne soient pas accolées au mur, ne forment cependant pas galerie.

La chronique nous dit qu'au xvr' siècle toutes les fenêtres étaient ornées de vitraux

(1) Nous avons lu, au bas du gros pilier du côté de l'Évangile, auprès d'une croix, ces mots : AVE MARIA, que nous croyons gravés au jour de la pose de la première pierre du chœur.

(2) Trois églises abbatiales du xà° siècle qui subsistent encore ont respectivement 375, 335, 814 pieds de long. (Moines d'Occident, tome 6, page 245). (3) « Un ornement courant, composé de feuillages, de quadrupèdes et d'oiseaux fantastiques enrichit leurs chapiteaux. Quelques scènes grotesques vien

nent de côté et d'autre fixer les regards sur cette espèce de frise. Celle qu'on voit sur le second pilier à droite, en entrant dans l'église, est des plus comiques elle offre une femme qui bat avec sa quenouille son mari, qu'elle tient par l'oreille, pour l'empêcher sans doute de se soustraire à ses coups. Il serait curieux d'avoir l'explication de cette étrange emblème qu'on rencontre sur plusieurs monuments en Picardie.- Dusevel. Eglises et Châteaux, page 8.

historiés, racontant les principaux faits de l'ancien testament. Non seulement on puisait de graves enseignements dans ces tableaux, dont le peuple lui-même comprenait le sens mystique, mais encore le grand jour était tempéré par les couleurs opaques des vitraux et cette demi-obscurité favorisait, comme on le sait, la prière et le recueillement dans les âmes déjà pénétrées du sentiment de la grandeur de Dieu. Aujourd'hui tout a disparu. Le grand jour et les rayons du soleil pénètrent à travers des vitres incolores et sans aucune expression du sentiment religieux. Gilbert rejette sur l'incendie de 1719 cette vaste ruine; il a tort. Ce sont, dirons-nous avec plus de raison, les religieux eux-mêmes, qui suivant le torrent des mauvaises coutumes du xvir siècle, ont voulu rajeunir ce vitrage trop sombre, trop compliqué et peut-être aussi trop délabré, ce qui les excuserait un peu, -et ont entassé dans leurs greniers ces restes précieux de l'ornementation créée par leurs pères. Quand on a vendu le monastère en 1791, l'acquéreur retrouva ces vitraux et s'en débarrassa, en les cédant à vil prix.

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L'auteur de la monographie de Saint-Riquier accuse aussi les religieux d'avoir fait disparaître des murs la teinte historique empreinte par les siècles, en les couvrant d'un lait de chaux. Si tant de désastres n'avaient altéré la vraie physionomie de la basilique, nous leur reprocherions avec vraisemblance de s'être rendus coupables d'un plus grand outrage contre l'art et d'avoir fait disparaître des peintures murales. C'est un reproche qu'on peut adresser à tous les badigeonneurs du xviie siècle.

La nef est pavée en carreaux de pierre de Senlis. Un nivellement, rendu peut-être nécessaire au XVII° siècle, a fait disparaître de belles pierres tombales, entre autres les monuments d'Eustache Le Quieux et de Thibaut de Bayencourt, justement loués pour la perfection du travail. Nous ignorons ce qui reste caché sous les bancs plancheyés, rapportés de l'église paroissiale, dont la disposition offense les yeux des amateurs. On ne remarque plus actuellement dans la nef d'autre vestige du passé que l'épitaphe d'Eustache Le Quieux, en style lapidaire des derniers siècles, et la plaque de marbre posée sur le tombeau de saint Angilbert.

On lit vers le milieu de la nef :

HIC JACET

D. EUSTACHIUS

LE QUIEUX, ABBAS

QUI OBIIT

ANNO DNI

1511.

A la porte du choeur :

CORPUS

SANCTI ANGILBERTI

HIC RECONDITUM, ANNO DNI DCCCXLII (1).

ELEVATUM EST NONO SEPTEMBRIS

MDCLXXXV (2).

La chaire, achetée à Abbeville après la Révolution, n'a rien de remarquable. Du temps des moines, la nef était vide et l'aspect du monument n'était que plus grandiose. En se retournant vers la porte, le touriste remarque le buffet d'orgue, un grand seize pieds, porté par une arcade en maçonnerie très lourde, d'un style Louis XV très disparate avec l'édifice. Mais ne serait-il pas superflu de blâmer ici ce que les artistes de l'époque proclamaient divin?

Il parait que deux trophées d'instruments de musique, placés au centre avec un groupes d'Anges, sont une copie d'un travail semblable sculpté sur l'orgue de l'Abbaye de Saint-Denis.

Le buffet d'orgue n'a point été offert par l'Abbé d'Aligre, ainsi que l'affirme Gilbert.

(1) Et non DCCcxiv, ainsi qu'ont écrit Gilbert, Dusevel, Louandre. M. Prarond a copié DCCCXII.

« L'erreur qu'on a commise, écrivait M. Fricourt, curé de Saint-Riquier à M. Corblet, est facile à comprendre. L'inscription tenant à la première marche du chœur, est placée dans un endroit de la nefsouvent foulé aux pieds. Le marbre s'est usé et aujourd'hui on ne voit plus que les lettres :

<< DCCCXI II (DCCCXLII). »

Le frottement des pieds a fait disparaître une partie de L qui s'est métamorphosé en I. Comme il existe un vide entre cet I et les deux suivants, on aura supposé qu'il y avait eu un quatrième I entre le premier et le troisième ce qui aurait fait DCCC. Mais, en y bien regardant, on voit que le vide correspond parfaitement à la place nécessaire pour restituer la partie inférieure de l'L; qu'il n'y a aucune trace de ce quatrième I qui aurait dû être creusé aussi profondément que les autres, c'est-àdire à plus d'un millimètre; que la partie restante de l'La exclusivement la même configuration que les autres L de l'inscription; que si la partie

inférieure de l'L a disparu, c'est qu'elle était gravée moins profondément, de même que l'un des jambages de l'X dont on ne voit plus que les deux extrémités. >>

<< Les auteurs du Voyage Littéraire de deux Bénédictins (2 partie, p. 174), en reproduisant cette inscription, en ont bien lu la date de 842. (Hagiographie tome 1, page 165.) »

(2)« Dans les fouilles exécutées en 1861 pour retrouver la crypte de saint Gervin, on découvrit le tombeau de saint Angilbert. Ce tombeau touche les premières marches du chœur. C'est un cercueil en pierre dure, recouvert d'une autre pierre qu'on peut assimiler au marbre et qui fut sans doute brisée, quand on ouvrit le tombeau. Une ancre sculptée sur le couvercle n'est plus entière. On n'a point fouillé le tombeau et on n'en a découvert que l'extrémité. Auprès de la sépulture de saint Angilbert,à 40 centimètres environ de ce tombeau, on a trouvé les restes d'une épaisse muraille qui pourrait appartenir à un des deux grands dômes élevés par saint Angilbert dans la grande église du Saint Sauveur et de Saint Riquier.» (Note de M. l'Abbé Fricourt).

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