Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tenant que vous et nous, Monsieur, adorions la conduite de Dieu et nous nous y soumettions agréablement. Il nous l'avoit donné, il nous l'a ôté ; son saint nom soit béni! Il lui seroit inutile que nous nous affligeassions de sa mort qui a été précieuse devant Dieu. Nous le recommanderons à sa divine majesté et la supplierons qu'il nous le veuille remplacer, ce qui ne nous seroit pas bien aisé, car c'étoit, comme j'ai dit, un homme de vertu et de mérite. Aidez-nous en ceci, s'il vous plaît, par vos prières et continuez-nous l'honneur de votre amitié.

« Je suis avec beaucoup de respect, Monsieur, etc. (1) »

(1) Extrait des Archives de Saint-Lazare-lès-Paris, ce 29 septembre 1695.

LIVRE XV.

DES SEIGNEURIES ET DES DOMAINES DU MONASTERE DE SAINT-RIQUIER.

La chronique d'un monastère touche à tant de questions d'histoire, de droit, de coutumes locales, que nous croyons utile de donner ici quelques notions générales sur les possessions des monastères et d'en faire l'application au gouvernement de cette petite seigneurie, placée dans les derniers rangs de la hiérarchie féodale. Les mœurs des temps historiques que nous avons parcourus sont toutes différentes des nôtres. Le système de centralisation dont nous jouissons fut complètement inconnu à nos ancêtres. Notre mécanisme social si uniforme et, par une conséquence toute nécessaire, destructeur de toute liberté, ne peut nullement nous initier à la science des coutumes du moyen-âge.

Nous allons traiter dans ce livre : 1° de la nature, de l'origine, de la destination des biens monastiques; 2o de la législation féodale appliquée aux biens monastiques; 3o des revenus et des charges du monastère; 4° puis faire l'énumération des domaines relevant du monastère.

CHAPITRE I.

DE LA NATURE, DE L'ORIGINE, DE LA DESTINATION DES BIENS MONASTIQUES.

La première espèce de biens que possède un couvent c'est la dotation des fondateurs. Partout où la piété a voulu établir une réunion d'hommes voués à la prière, l'église est intervenue avec les canons de ses conciles et a demandé une dotation suffisante pour le culte divin et l'entretien des moines. On devait prévoir les dépenses nécessaires pour le nombre des serviteurs de Dieu qu'on voulait admettre dans l'asile sacré. Quand on recevait de nouvelles offrandes, on s'engageait à augmenter le nombre

des moines. La charité envers les pauvres avait toujours sa part éventuelle et d'autant plus abondante que les ressources étaient plus accrues. Plus tard des ordres religieux professèrent sous le nom d'Ordres Mendiants le dépouillement absolu et renoncèrent à toute possession; mais, à l'origine de l'état monastique, ce genre de vie n'eût pas été permis, soit que les conciles eussent craint pour la perpétuité de l'œuvre, soit qu'on n'eût point voulu essayer de la vie nomade dans le monde, à une époque où la société chrétienne n'était pas encore assez fermement constituée.

On voit dans les chartes que des biens sont concédés aux monastères et aux églises en Aumônes: Eleemosyna. On appelle ainsi des domaines et des revenus donnés avec charge de prières pour l'âme du donateur, pour tous ses parents vivants et trépassés (1).

Ce que les Abbés acceptent sous le nom d'Aumône est consacré à Dieu perpétuellement, exempt de l'hommage, des charges et redevances du fief. Ravir l'aumône, c'est s'attaquer à Dieu lui-même et charger sa conscience d'un vol sacrilège. Les Juges ecclésiastiques, même quand l'Etat fit invasion dans ces questions, étaient seuls appelés à se prononcer sur les litiges des biens donnés en aumône.

Les fidèles, afin de s'assurer des prières, ont souvent disposé dans leur testament en faveur des monastères. Qui pourrait s'élever contre cette sollicitude des mourants pour leurs intérêts spirituels et faire un crime aux moines de ces pieuses libéralités, auxquelles on attachait souvent des charges perpétuelles et dont les revenus finissaient par s'amoindrir au milieu du mouvement continuel des choses humaines !

Enfin les moines ont joui des offrandes, des autels et des dîmes ecclésiastiques; mais ces revenus souvent chargés de redevances onéreuses n'augmentant pas le domaine des couvents, ne pourraient être incriminés que par ceux qui cherchent à saper la religion et à dépouiller ses ministres.

On a accusé les moines de cupidité; on a dit qu'ils avaient accaparé les biens des fidèles et fondu leurs héritages dans leurs immenses domaines. Qu'on se rassure: l'Église ne permettait pas qu'on dépouillât la veuve et l'orphelin, elle prenait sous sa protection leurs possessions et les défendait contre tout envahissement. Ecoutons les évêques de France au concile de Tours en 813.

« On impute à quelques-uns de nos frères de céder à des désirs d'avarice, de porter des personnes à renoncer au siècle, afin qu'elles donnent leurs biens à l'Église. Qu'on sache, au contraire, que l'Eglise, loin de spolier les fidèles, se croit obligée, comme une bonne mère, de nourrir les pauvres, les infirmes, les orphelins et les veuves, parce que les biens ecclésiastiques sont la rançon des péchés, le patrimoine des pauvres, la solde des clercs qui vivent en communauté. Les évêques ne doivent pas s'en servir comme de leurs biens propres, mais comme de biens dont l'administration leur est confiée. Nous

(1) Glossaire de Du Cange, au mot Eleemosyna.

déclarons qu'on mettrait en pénitence ceux qui auraient extorqué pour l'Église les donations des personnes qu'ils auraient engagées à se consacrer à Dieu, et que ces biens seront rendus à leurs héritiers (1). »

<< Nous avons examiné avec soin, sur la demande de notre sérénissime Empereur, si parmi les fidèles qui se disent deshérités, quelqu'un pouvait se plaindre justement que son père, sa mère ou son frère ou quelqu'un de ses proches l'eût privé de ses biens par une donation à l'Église ou si des précaires avaient été reçues en leur nom par les pasteurs de l'Eglise. Nous n'avons reçu aucune réclamation. Il est rare qu'un fidèle fasse une donation à l'Église, sans recevoir en précaire des biens de l'Église, autant qu'il a donné et même le double et le triple. Il est convenu qu'après sa mort ses enfants et ses parents jouiront du même droit. Tels sont nos usages et telle notre conduite. Nous avons même décidé d'offrir à des héritiers de rentrer dans les possessions des domaines donnés par leurs parents, bien qu'ils soient dépossédés actuellement par la loi. Nous avons aussi recommandé aux pasteurs de ne recevoir en bénéfice que ce qui suffira pour l'entretien de la vie (2). »

Ce texte nous prouve le désintéressement de l'Église; on ne cherchait que le nécessaire. Les annales monastiques sont remplies de traits semblables. Après avoir renoncé aux biens du monde par un acte de foi héroïque, comment les religieux pouvaient-ils s'attacher à enrichir leur communauté? Les Abbés ignoraient-ils que le luxe des dépenses introduit le relâchement, et que l'abondance des biens de la vie énerve la discipline? Chose étonnante! aussitôt que la tribu sainte se fait accuser de relâchement au service de Dieu, la piété des fidèles cesse de se dépouiller en faveur des religieux indignes de leur vocation, incapables d'intercéder pour le peuple chrétien; mais aussitôt que la régularité revit et que les vertus monastiques brillent d'un nouvel éclat, les donations affluent, tant il est vrai qu'un instinct supérieur à toutes les vues d'intérêt conduit le peuple chrétien dans la distribution de ses aumônes et la dotation des monastères.

Rien de plus touchant que les actes d'offrande de, certains princes aux monastères. On sent dans leur langage tout ce que la foi et la pénitence peuvent enfanter de prodiges. Hugues de Troyes fait aux églises de grandes donations pour les raisons exprimées dans sa charte. «< Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Après avoir éprouvé de grandes « souffrances à la suite de blessures graves, je désespérais de ma guérison et n'attendais

[blocks in formation]
[ocr errors]

« que la mort. Cependant Dieu m'a rendu la santé. Considérant que j'ai offensé la bonté << de mon Dieu en tant de manières et que j'ai justement mérité ce châtiment pour mes péchés, considérant encore que j'en ai mérité de plus grands, j'ai résolu après ce bien«fait de témoigner ma reconnaissance par des aumônes aux Eglises du Seigneur (1). » Les guerriers de Charlemagne, en demandant que les évêques fussent exemptés d'aller à la guerre, s'exprimaient en ces termes : « Ce n'est pas que nous voulons sous ce prétexte envahir les biens de l'Eglise, nous souhaiterions plutôt de les augmenter; nous savons que ce sont des biens sacrés, les oblations des fidèles et la rançon des péchés. En effet, quiconque de nous donne ses biens à l'Église, c'est à Dieu qu'il les donne. Mettant son écrit sur l'autel et le tenant à la main, il dit aux prêtres et aux supérieurs du lieu saint: « j'offre et je consacre à Dieu les biens marqués en cet écrit << pour la rémission de mes péchés, ceux de mes ancêtres, de mes enfants, pour être « employés au service de Dieu, à la célébration de l'office divin, à l'entretien du luminaire, à la nourriture des pauvres et des clercs. » Si quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, enlève ces biens, il sera coupable d'un sacrilège dont il rendra un compte rigoureux au tribunal de Dieu. Nous déclarons donc que si quelqu'un s'empare des biens de l'Eglise, les demande au roi ou les retient sans le consentement de l'évêque, nous ne mangeons plus avec lui: nous n'irons avec lui ni à la guerre, ni à l'église, ni à la cour. Nous ne souffrirons pas que nos gens aient communication avec ses serviteurs, ni même que nos chevaux et nos troupeaux paissent avec les siens (2).»

Des malédictions étaient également portées contre les religieux et les prêtres qui auraient aliéné ces biens. « Nous demandons et supplions, au nom du Tout-Puissant, que cette terre ne soit ni vendue, ni donnée, ni aliénée de quelque manière que ce soit. Que celui qui se rendrait coupable de ce sacrilège soit maudit, que son séjour soit avec le démon de l'enfer où le feu ne s'éteint jamais, où le remords rongeur ne périt pas. »

Après avoir parcouru un grand nombre de chartes des âges de foi, après avoir lu cette formule sacrée : « Je donne pour le remède de mon âme pour le salut de mon âme, de l'âme de mes pères, enfants, frères et amis: je donne à perpétuité: je demande des (( prières à perpétuité; >> on comprend parfaitement cet axiôme de la foi chrétienne, ce principe fondamental de la propriété ecclésiastique et monastique, « les biens de l'Eglise sont les oblations des fidèles, le prix des péchés, le patrimoine des pauvres (3). » S'il est donc une possession sacrée pour la conscience d'un chrétien, c'est celle des biens des églises et des monastères. Que la propriété soit fondée sur un contrat de vente ou d'échange, ou bien sur un titre de donation, elle appartient à Dieu et à l'Eglise d'une manière inaliénable et à perpétuité: elle est destinée aux besoins spirituels et temporels des enfants de Dieu. Les Evêques, les Abbés, les prêtres n'en sont que les administra

(1) Les Ages de foi. Page 117.

(2) Rorhrbacher. Histoire de l'Église. Liv. LIV.

(3) Res Ecclesiæ vota sunt fidelium, pretium peccato

rum, patrimonium pauperum, et ailleurs, Redemptio animarum.

« AnteriorContinuar »