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qui se rapporte aux principaux personnages de notre monographie et nous prépare au mémorable siège de Saint-Riquier en 1421.

La barbare expédition d'Edouard, roi d'Angleterre, en Normandie et en Picardie (1415), aboutit à la funeste bataille d'Azincourt, où pour la troisième fois la noblesse de France fut moissonnée dans sa fleur, où dix mille gentilshommes trouvèrent leur tombeau. Là périrent, entre tant d'autres, Antoine de Brouilly, gouverneur de la ville de Saint-Riquier, Jacques et Charles de Châtillon, fils du seigneur de la Ferté, Vitart de Bours, Philippe d'Auxi, seigneur de Dompierre, bailli d'Amiens. Aléaume de Boufflers y fut fait prisonnier et mené en Angleterre. Ne pouvant fournir, durant sa captivité, la somme de cinq mille livres exigée pour sa rançon, il donna pour caution le précieux reliquaire du chef de saint Mauguille, patron de l'église de sa seigneurie de Boufflers et il revint en France pour chercher la somme convenue. Quand il eut soldé le prix de sa rançon, il retira son reliquaire et le rapporta dans son église (1).

Cette circonstance de la bataille d'Azincourt nous fait connaître une des dévotions de cette époque. Les seigneurs faisaient porter par des chapelains les reliques des saints, afin de s'assurer par ce témoignage de leur confiance une protection plus efficace. On ne peut expliquer autrement la présence du chef de saint Mauguille à la bataille d'Azincourt.

L'infortuné roi de France n'avait pas seulement le roi d'Angleterre à combattre. Par surcroît de malheur, le duc de Bourgogne menaçait la Picardie et le Ponthieu. Dans ses mandements royaux aux villes de Picardie, Charles VI se plaint des entreprises des Bourguignons, « lesquels, dit-il, contre notre volonté, ont assemblé gens de mauvaise » vie et de perverse condition, et s'assemblent de jour en jour en très grand nombre, en >> courant et chevauchant par notre dit royaume, envahissant par force et de fait, tant >> par assauts comme autres voies subtiles, plusieurs villes et châteaux...... pillant de >> tout en tout iceux et icelles; et qui plus est, comme meurtriers, accoutumés en leurs » faux et pervers cœurs, éjouissant d'effusion de sang, ont meurtri et occisent, noient » et mettent à mort de jour en jour les pauvres et simples gens, laboureurs, marchands, bourgeois et autres nos sujets demeurant et habitant ès dites villes et châteaux qui n'y >> pensoient et n'y pensent à nul mal (2). »

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Le roi ordonna « de courir sus à ces ennemis rebelles et inobédients », de les arrêter, de les mettre à mort s'ils se défendaient, sans avoir rien à redouter de la justice. Il manda au bailli d'Amiens de faire publier le présent mandement dans toutes les bonnes villes, au son de la trompette, avec des menaces contre ceux qui refuseraient de l'exécuter.

<< Lesquelles lettres, dit Monstrelet, furent solennellement publiées en la ville d'Amiens, et puis furent envoyées à tous les prévôts du bailliage d'Amiens.... Mais pour le doute et cremeur du dit duc de Bourgogne, lesdits prévosts, c'est à savoir, de Beauquesne, de

(1) Histoire des Mayeurs d'Abbeville, page 458.

(2) Chronique de Monstrelet. Edition Panthéon, page 390.

Montreuil, de Saint-Riquier et de Dourlans ne l'osèrent publier fors tant seulement une fois en leurs plaids, où étoient peu de gens (1). »

Nous apprenons, du reste, par quelques anecdotes de l'histoire locale, que les dangers signalés n'étaient pas imaginaires. En 1416, sous l'administration du mayeur Jacques Roussel, Abbeville envoie ses arbalétriers à Saint-Riquier pour prêter main-forte à sa garnison et s'opposer aux tentatives du partisan Jean Duclau (2). On paie 4 sols à Jehan Petit, messager de Saint-Riquier, pour avoir apporté lettres « de par les moines et eschevins d'icelle ville, contenant que Jean Duclau, capitaine de gens d'armes avoit menacé de assaillir icelle ville et de la piller tellement qu'il en seroit mémoire, quatre ans après leur partement, et qu'on leur volsit envoier à aide et secours des arbalétriers de la ville. >>

La présence de Jean Duclau avait répandu la consternation dans la contrée. Ce farouche Bourguignon avait même fait plusieurs prisonniers aux environs d'Abbeville, et c'est pour empêcher de nouveaux désastres qu'on se hâtait de fortifier la garnison. Les habitants de Saint-Riquier, épuisés par les veilles et le guet, firent dans ces circonstances critiques une tentative qu'ils n'avaient encore osé essayer jusque-là, malgré tous leurs empiétements sur les droits de l'abbaye : ils sommèrent les moines de s'associer à eux pour la garde de la ville ou du moins de les aider par quelques subsides. Ceux-ci opposèrent leurs privilèges de gens d'église, l'immunité dont ils avaient toujours joui, la sauvegarde dont les avaient entourés les conciles et les sacrés canons. Cette protestation contre toute entreprise contraire à leurs droits, n'empêcha point le mayeur et les capitaines de les citer devant le bailli d'Amiens, pour qu'ils eussent à fournir des hommes de garde pendant le jour et de guet pour la nuit. Les chefs militaires et civils demandaient en outre que le monastère contribuât aux gages du capitaine de la ville et aux réparations, «< ce qui contient, dit la chronique, un grand cas de brouillis touchant le guet. >> On fit ajourner quatre ou cinq religieux de cette église, comme dampt Nicolas Bourdon et autres. Il y eut tant de réclamations qu'à la fin ils obligèrent les moines à fournir dix hommes tant de jour que de nuit.

Sans avoir égard à l'appel du couvent, le capitaine et le mayeur prirent les censiers au corps, mirent le temporel de l'abbaye en la main du roi, clouèrent et scellèrent les greniers. Ce n'est qu'après bien des souffrances et des appels réitérés qu'on obtint la révision de la première sentence. Le Parlement, par une provision ou règlement dont l'exécution fit confiée à Jean de Touffles, écuyer, prévost du Vimeu, statua qu'en temps de guerre seulement et de péril imminent, les moines seraient tenus de fournir chaque jour un homme, à chacune des trois portes, pour les garder, et pour le guet de nuit, sur les murailles, cinq hommes, mais qu'ils seraient libres de racheter ce service de jour et de nuit, en remettant 5 sols parisis au capitaine de la ville ou à son commis. Les de

(1) Monstrelet. Ibid,, page 392.

(2) M. Prarond. Histoire de Saint-Riquier, page 64.

mandes de subsides pour réparations et entretien des fortifications furent mises à néant et les moines en furent exceptés comme par le passé (1).

C'est au milieu de tous ces démêlés que la ville de Saint-Riquier offrit l'hospitalité à Sigismond, empereur d'Allemagne. Se croyant l'arbitre des destinées du monde catholique, parce qu'il dominait le concile de Constance et qu'il avait surpris une velléité de démission sur les lèvres de Pierre de Lune, qu'on appelait Benoît XIII dans son obédience, ce négociateur couronné voyageait de France en Angleterre, «< ayant sur ses » armures une noire heucque en laquelle étoit une droite croix devant et derrière, de >> couleur de cendre, sur laquelle avoit écrit en latin: O que Dieu est misericors! et aussi » étoient habillés et armés la plus grand'partie de ses gens, montés sur bons et legers » chevaux. (2) » Une prudente circonspection ayant engagé les Abbevillois à lui fermer leurs portes, l'empereur dirigea sa marche sur Saint-Riquier, dont les portes lui furent ouvertes courtoisement. Fut-il plus généreux qu'à Saint-Josse où on le reçut en procession (2), comme on l'eût fait pour la visite du roi de France, « où il ne donna ni offrit rien au glorieux ami de Dieu saint Josse » ? Les mémoires du temps ne nous l'apprennent point. Ce qui intéresse le plus l'histoire, c'est que Sigismond ne put rien conclure entre les deux cours et que la guerre continua avec plus d'acharnement.

Les menaces du roi avaient redoublé les fureurs du duc de Bourgogne. Pour détruire l'effet de son mandement, des lettres furent par son ordre expédiées dans la Picardie, autour de l'eau de la Somme jusqu'à la mer, et vers Crotoy et Montreuil. On y promettait en particulier l'allègement des impositions, gabelles, subsides et aides, « comme » requiert le noble royaume (3). » Ce dernier argument, à l'usage de tous les fauteurs de révolution, était suffisant pour rallier à la cause du Bourguignon des populations exaspérées par la recrudescence des impôts et exactions. Car en ces derniers temps on avait mis une grande taille sur tout le royaume de France, » dont le clergé et le pauvre » peuple furent, en diversesparties du royaume, moult oppressés. Si avoient peu qui les » défendissent et n'avoient autre recours sinon de crier misérablement à Dieu leur » Créateur vengeance pour les maux et griefs qu'on leur faisoit souffrir et endurer (4) ». Des ambassadeurs du duc de Bourgogne allèrent à Montreuil, de là à Saint-Riquier, Abbeville, Amiens et Doullens, et dans chacune de ces villes ils firent lire publiquement les lettres-patentes adressées aux gouverneurs et aux communautés de ces bonnes villes. Après la lecture, l'un des envoyés du duc s'efforçait d'expliquer que son maître n'avait d'autre intention que d'assurer le bien du royaume et de la chose publique. << Finablement tant firent et procurèrent lesdits ambassadeurs que toutes icelles bonnes » villes firent alliances avec lesdits ambassadeurs, jurées solennellement, et de ce bail» lèrent l'une partie à l'autre leurs lettres-patentes

(1) Cart. de Saint-Riquier, folio 50.

(2) Monstrelet. Ibid., page 385.

(3) Ibid., page 401.

(5).

(4) Monstrelet, page 387.

(5) Monstrelet, page 404.

D'après le traité proposé par le duc de Bourgogne, les villes confédérées s'engageaient à protéger le roi contre ceux qui l'oppressaient, à délivrer le royaume, « à punir les » détruiseurs de la noble mégnie de France et coupables de fausses trahisons, homici» des, tyrannies et empoisonnements,... déloyauté, fureur, avarice (1) », à permettre l'entrée de leurs villes et places fortes au duc de Bourgogne et à ses gens qui payeraient leurs dépenses sans faire injure à personne. De son côté, Jean de Bourgogne promettait de prendre leur défense, de leur laisser toute liberté pour l'administration intérieure de leurs communautés et de ne leur imposer aucune garnison.

Ainsi la ville de Saint-Riquier reconnut le duc de Bourgogne pour son protecteur, aussi bien qu'Abbeville et les autres places fortes de la contrée. Mais les sires de Gamaches et d'Yaucourt restèrent fidèles au roi. Il s'ensuivit des luttes assez vives entre les deux partis. Le château d'Yaucourt fut assiégé par les bourgeois d'Abbeville, emporté et brûlé. Fort de ce traité qui le délivrait de grandes inquiétudes, le duc de Bourgogne se dirigea sur Paris, s'en fit ouvrir les portes par trahison et se rendit maître de la ville.« On s'empara, dit Jean de la Chapelle, dont le récit s'accorde avec celui des >> autres historiens, du comte d'Armagnac, chancelier de France, de Remons de la » Guerre, des autres chefs qu'on retint prisonniers dans le palais, dans le Châtelet, sur >> le Petit-Pont et dans le Temple. » On sait comment Tanneguy-Duchatel, prévôt de Paris, emporta le dauphin enveloppé d'un linceuil, dit Monstrelet, tout seulement, parvint à s'échapper avec son précieux dépôt et s'enfuit jusqu'à Vienne en Dauphiné.

Le 12 juin, les Parisiens, au nombre de soixante mille, sous la conduite du bourreau Capeluche, qui avait fait passer sa rage forcenée dans l'âme de ses partisans, se ruèrent sur les prisons, « embatonnés de vieils maillets, haches, cognées, massues et moult d'autres bâtons dissolus », et firent un massacre affreux des prisonniers, ducs, comtes, évêques, chanoines, abbés, maîtres-ès-arts, marchands, bourgeois. Tout fut immolé sans distinction, sans jugement, sans examen. Monstrelet porte à seize cents le nombre des victimes, parmi lesquelles on distingue plus spécialement le comte d'Armagnac et Remons de la Guerre. Traînés tout nus par les rues, par les places publiques et les carrefours, indignement mutilés, frappés à coup de pied par ces hordes inhumaines, leurs cadavres servirent pendant huit jours à la vengeance populaire et personne n'osait les ravir à ces atrocités ni les ensevelir. A cette cruelle occision étaient présents les plus grands seigneurs du parti des bourguignons, jusqu'au nombre de mille combattants ou au-dessus, tous armés sur leurs chevaux, « pour défendre lesdits occiseurs, si besoin était (2). »

Jean de la Chapelle termine son récit par cette réflexion : « Hugues Cuillerel, Abbé » de Saint-Riquier, était présent à ces massacres. » Cette parole pourrait bien soulever le voile qui nous a caché la plus grande partie de l'existence de notre Abbé; elle

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nous permet de supposer que c'était un Bourguignon, et même des plus ardents, et qu'il s'est mêlé à tous les événements politiques de l'époque. Est-ce ainsi qu'il voulait payer sa dette de reconnaissance envers son protecteur? Nous souffrons de ce rôle attribué à Hugues Cuillerel et nous tenons en moindre estime cet Abbé dont le dévouement a donné de tels gages de servilisme, au mépris des lois de l'Eglise et de la morale chrétienne.

Le triomphe du duc de Bourgogne était complet; mais il est une loi vengeresse que le coupable ne brave pas toujours impunément. Les émissaires de ce prince avaient frappé le duc d'Orléans; il tomba lui-même à son tour dans le piège tendu par le dauphin et fut immolé sous ses yeux. Cet attentat devint le signal de nouvelles calamités. On foula aux pieds la loi salique, les constitutions séculaires de la France. Mais qui s'étonnerait du mépris d'une loi humaine, lorsque toutes les lois divines étaient anéanties par la force brutale? Ici commence une nouvelle série de combats entre les partisans du dauphin, que nos annales nomment les Hermineux (1), (corruption du mot d'Armagnac) et les Bourguignons et Anglais réunis. Les partis se reforment sur de nouvelles bases. Toute la France est envahie par des bandes qui font métier de pillage et de massacre. « Tout le Ponthieu est moult travaillé par les partisans. » Les places fortes sont prises et reprises tour à tour. Ainsi Saint-Riquier comme Amiens, Abbeville et autres villes de Picardie, ouvrent leurs portes aux ambassadeurs de Charles VI et du roi d'Angleterre et leur font serment de fidélité (2).

Nous touchons à l'an 1421 et au siège de Saint-Riquier, dont les brillants faits d'armes ont fourni quelques belles pages aux guerres du Ponthieu et se lisent avec le plus vif intérêt dans les chroniques de Monstrelet et de Châtelain (3).

Des représailles entre Jacques d'Harcourt, dauphinois, et Edmond de Boubers, bourguignon, «< moult préjudiciables à tout le pays de Ponthieu et environ » (4), furent une cause déterminante de ce siège. Jacques d'Harcourt, seigneur de Noyelles et gouverneur du Crotoy, avait pris au Hâvre un navire de blé frété par Edmond de Boubers; celui-ci fit brûler tous les vaisseaux et navires qu'il rencontra au Crotoy. Chacun des deux antagonistes fit des courses sur les terres et domaines de son ennemi, les ravagea et conduisit dans ses châteaux-forts tout ce qu'il put saisir de proie. Jacques d'Harcourt appela des auxiliaires de Compiègne et fit alliance avec plusieurs puissants seigneurs du Vimeu et du Ponthieu. Monstrelet nomme entre autres le sire de Rambures, Louis de Vaucourt, Le Bon de Saveuse, Philippe de Neufville, Perceval de Houdent, Pierre Quiéret, capitaine d'Airaines. Bientôt les dauphinois se trouvèrent maîtres des châteaux d'Airaines, de Pont-Remy, d'Eaucourt, de Mareuil, de Rambures, Gamaches, SaintValery et quelques autres châteaux moins importants. Ils convoitaient surtout Saint

(1) D. Cotron. Anno 1421.

(2) Monstrelet, page 490.

Chron. du duc Philippe. Edition Panthéon, page 80 à 85. (4) Chron. Monstrelet, page 502.

(3) Monstrelet page 504 à 509.

Chastelain.

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