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par des plumes habiles (16); je n'essaierai de les rappeler ici que pour y rattacher quelques détails ignorés que nous ont conservés les comptes des syndics.

Le 1er novembre 1391, mourait à Ripailles, dans la trente-unième année de son âge, Amédée VII, dit le Comte-Rouge (17). Ce prince, dont la sagesse, la force et la valeur, annonçaient à son peuple un long règne de bonheur et de gloire, succombait à des douleurs sans nom, victime de la funeste ignorance de son médecin, Jean de Grandville (18). Des soupçons

(16) V. Guichenon, Hist. généalogiq. de la maison de Savoie, t. I, p. 447. - Olivier de la Marche, Collect. des Mém. relatifs à l'Hist. de France, vol. X, 1re série. Machanée, Monumenta historia patriæ, t. I script., p. 745. -Muller, Hist. de la Confédérat. suisse, t. IV, p. 9 et 10.

V. aussi le Sanglier de la forêt de Lompnes, charmant opuscule publié par M. Jacques Replat, et les Recherches de M. le chev. Cibrario, qui ont servi de base au récit de M. Georges Arandas. (Chroniques du départ. de l'Ain, p. 51 et suivantes.)

(17) Cibrario, Econom. pol. del medio evo, p. 267.

(18) M. le chev. Cibrario a trouvé dans les comptes du trésorier Ducis, la description du cortége funèbre qui accompagna le corps d'Amédée VII de Ripailles à Hautecombe. Il décrit à la page 267 de son Econom. polit., la marche du convoi, que conduisait le patriarche de Jérusalem, puis la cérémonie des funérailles célébrées dans

d'empoisonnement s'élevèrent de toutes parts contre le mauvais physicien. On avait vu des taches livides se former sur le corps du malheureux prince au moment où il expirait, et lui-même, en mourant, avait signalé Grandville comme son assassin, et commandé son arrestation. Aussi fut-ce avec étonnement que l'on vit le seigneur de Grandson arracher l'accusé des mains des fidèles serviteurs du comte de Savoie, le couvrir ouvertement de sa protection et lui donner un asyle.

l'église d'Hautecombe le 2 avril 1392. Le compte de Guillemet Chabod et Jean Richerand, syndics de Chambéry à cette époque, peut ajouter à ces détails ceux du service solennel qu'ordonna la ville dans les premiers jours de mars de la même année, pour le repos de l'âme de l'illustre défunt. Les syndics dépéchèrent leurs messagers Robertzon et François Taillefer aux abbés d'Hautecombe et de Tamié, pour les inviter à venir assister à la sépulture de monsseigneur. Ils convoquèrent en même temps les prieurs d'Aiguebelle, de Bissy, de Clarafons et de...... 194 chapelains y assistèrent, y compris, dit le texte, 33 sires ménoirets et 17 ménoirettes. Sire Dieu le Fils Bonivard fit l'office dans l'église des Frères mineurs (aujourd'hui StFrançois), et le discours funèbre fut prononcé par frère Trolliet, qui reçut 12 deniers gros pour avoir prégié à la dicte sépulture. Le loyet du cendal et la faczon des dix escuciaulx coûtèrent 9 s. VI d. Enfin le poids des cierges qui brûlèrent dans cette cérémonie fut de 5 quintaux et 97 liv., et la dépense totale s'éleva à 8 l. 11 s. V d. gros.

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Bientôt une enquête fut ordonnée par Bonne de Bourbon, pour découvrir les instigateurs du crime auquel on attribuait la mort de son fils. Amédée, prince d'Achaïe, et le seigneur de Cossonay, qui dirigeaient les recherches, firent arrêter d'abord et appliquer à la torture Pierre de Lompnes, apothicaire, depuis long-temps attaché à la maison des comtes de Savoie. Ce malheureux, accusé d'avoir fait prendre à son maître des médicaments empoisonnés, confessa dans des tourments atroces, le crime dont il était innocent, et ses juges le condamnèrent au supplice des parricides. L'exécution eut lieu au mois de juillet 1392, sur la butte de Leschaux apud calces, où s'élevaient alors les fourches patibulaires de la ville de Chambéry (19).

(19) Dans le courant de janvier 1587, Rodolphe de Chissé, archevêque de Tarentaise, fut assassiné dans le château de Saint-Jacques avec tous ses domestiques. Les meurtriers parvinrent à se soustraire à l'action de la justice, à l'exception d'un seul, sur qui s'appesantit toute sa rigueur. Ce misérable se nommait Pierre dit Ralion de la paroisse de Comblou, et l'on frémit aux détails de l'horrible supplice auquel le condamna Pierre Godard, grand-juge de Savoie. Ils se trouveront dans une Notice généalogique sur la maison de Chissé, dont je m'occupe en ce moment. Le document qui les rapporte est le compte de Boniface de Challant, châtelain de Chambéry en 1387 et 1388; il dit en parlant des dépenses relatives à cette

Son corps brisé par la torture, fut ensuite coupé en trois quartiers, que le bourreau sala soigneusement, et qui furent aussitôt expédiés aux villes de Moudon, d'Aveillane et d'Ivrée ; la tête du trayteur fut réservée pour la ville de Bourg, et le messager Tarentaise reçut, pour l'y porter, onze florins de petit poids (20).

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Cependant cette hideuse exécution n'avait point atteint le coupable. Grandville, arrêté en Bourgogne et mis à la question en présence des ducs de Berry d'Orléans et de Philippe-le-Hardi, avait fait des révélations étranges. Il avait dit que Bonne de Bourbon, mère de l'infortuné prince, n'était pas étrangère au crime, et le public avait accueilli avec empressement cette accusation monstrueuse. On pouvait remarquer à la vérité que l'enquête ordonnée par la régente marchait avec lenteur et n'amenait aucun résultat. Bientôt il fut dit ouvertement que l'ambition de cette princesse, et son désir immodéré de conduire les affaires de l'état pendant la longue minorité de son

exécution, pro uno chaffallo fiendo apud calces prope furchas. La butte de Leschaux (calces) est distante d'un mille environ de Chambéry, sur l'ancienne route de Montmélian.

(20) Compte de la trésorerie générale de Savoie, de 1592 à 1394, cité par M. Cibrario, et d'après lui par M. Georges Arandas.

petit-fils, lui avaient fait concevoir et exécuter le plus horrible des forfaits (21); et les soupçons devinrent si graves, que le roi de France écrivit lui-même à Bonne de Bourbon pour l'engager à faire tomber ces bruits injurieux, par la prompte recherche des coupables et l'éclatante justice qu'elle devait en tirer. Les lettres de Charles VI sont empreintes d'une singulière

(21) Il n'est pas besoin de faire ressortir ce qu'avait d'odieux et d'absurde une semblable calomnie: tous les actes de Bonne de Bourbon respirent la grandeur d'âme et la générosité (Sismondi, Biogr. univers.); les documents contemporains nous ont conservé des preuves touchantes de la bonté de son cœur (Comptes des châtelains de Chambéry, règnes d'Amédée VI et d'Amédée VII), et les dernières dispositions du Comte-Rouge prouvent l'affection et la confiance que ce prince avait en sa mère; d'ailleurs il est certain que la mort tragique d'Amédée VII ne fut point le résultat d'un crime. Les remèdes violents et barbares employés par Grandville précipitèrent une catastrophe que M. Replat suppose avec raison avoir été le résultat du tétanos. * La médecine ignorait sans doute alors les symptômes de ce mal terrible, et la déchirure profonde que le prince reçut à la cuisse en tombant de cheval sur les aspérités d'un tronc d'arbre desséché, était éminemment de nature à développer cette redoutable maladie.

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