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possessions de notre monastère ; on voit figurer parmi eux les seigneurs de la Tour et de Montfalcon (14). En 1184, la cession faite par Aymon fut accrue de la montagne de Frêterullaz par Henri, son fils et son successeur (15). En 1190, Walcher ou Gaucher, sire de Salins en Bourgogne, au pied du Jura, confirma aux religieux d'Aulps la donation d'un demi-mas situé à Salins, donation faite quatorze ans auparavant par Girard Nigridoldus, son aïeul ́(16); deux ans après, il commua cet acte de libéralité en une certaine quantité de muire ou eau salée à prendre dans son puits de Salins, et à laquelle il ajouta, en 1200, trois bouillons (tres bulliones), prenables dans le même puits, la moitié le jour de Noël, et la moitié le jour de Pâques, le tout pour le salut de son ame et des ames de ses ancêtres (17). Les droits que le monastère d'Aulps acquit sur le puits de Salins, soit à raison des titres que je viens d'indiquer, soit à raison de quelques autres contrats (18), furent réglés, en 1248, par un compromis passé entre ce monastère et Jean,

(14) Chronique manuscrite.

(15) Chronique manuscrite.

(16) Documents, nos V et XXXVII, article 2.

(17) Documents, nos VI et VII.

(18) Documents, nos VIII et XII.

comte de Bourgogne, héritier des anciens sires de Salins (19).

A ces concessions, s'en adjoignirent successivement une infinité d'autres, qui témoignent de la piété de ces temps-là, et où se font remarquer les seigneurs de Blonay, d'Alinge, de Fées-Ternes, de Lullins, de Ballayson, de Bracorans, de Rovorė, familles illustres, dont quelques-unes subsistent encore aujourd'hui. Souvent ces donations n'étaient pas pures et simples; les donateurs y stipulaient diverses conditions, comme de faire célébrer des messes, des anniversaires, ou de pouvoir élire sépulture dans le cimetière de l'abbaye, ainsi que se le réservèrent un Turumbert de Ballayson et sa femme Ambrosie, dans un acte de 1236 (20). Souvent encore ils disposaient de certaines sommes, de certains revenus, pour les appliquer à des pratiques ascétiques ou à des objets d'utilité déterminés, savoir, réciter des prières en intercession de tel ou tel saint, brûler des cierges devant l'image de la mère du Sauveur, donner aux membres de la communauté des repas appelés pitances (pitancia), repas où les moines, en sortant de l'austérité du régime habituel, consacraient naturellement une pensée au bienfaiteur.

(19) Documents, no XIII. (20) Documents, no XI.

Ces legs de pitances en faveur des congrégations religieuses devinrent très-fréquents aux XIIIe et XIVe siècles les testaments des comtes, des prélats, des barons, des riches bourgeois, en contenaient presque toujours. Par exemple, en 1235, une Pétronille de Rovoré, épouse d'Amédée de Saxuns, transférait, en vue du salut de son ame, à l'abbaye d'Aulps la propriété d'un esclave, serf de glèbe ou taillable, appelé dol' Crest ou Ducrêt, pro una pitancia annuatim facienda (21). En 1270, Rodolphe Ier, archevêque de Tarentaise, léguait à la prévôté du Mont-Joux (Grand-Saint-Bernard), dix sols de Vienne, destinés à une pitance annuelle le jour commémoratif de sa mort (22). Les pitances étaient si nombreuses à Moùtiers, qu'elles donnèrent lieu à d'assez longs débats entre les chanoines de cette antique cathédrale et le chapelain de Notre-Dame, chacune des parties prétendant y avoir des droits exclusifs (23). On n'a qu'à ouvrir le livre des anniversaires de l'évêché d'Aoste pour se convaincre que là aussi les grosses pitances ne manquaient pas (24). Les pitances se montraient de temps en temps accompagnées de dones ou aumônes

(21) Documents, no X.

(22) Besson, Mémoires, etc., preuves, no 65. (25) Besson, Mémoires, preuves, no 50.

(24) Documenti, sigilli e monete, p. 354.

générales. Pierre III, successeur de Rodolphe Ier au siége archiepiscopal de Tarentaise, fit, en 1283, un testament par lequel il ordonnait qu'après une pitance

par

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lui fondée dans le chapitre de son diocèse, on distribuât plusieurs sextiers de seigle aux pauvres (25). Les Frères-Mineurs de Chambéry faisaient, chaque année, en vertu des dernières dispositions d'Aymon, comte de Savoie, une done de quatre deniers de Vienne à tous les pauvres qui se présentaient, jusqu'au nombre de quatre mille (26).

Il arrivait également, il faut le dire, que les maisons religieuses n'attendaient pas la volonté d'un testateur pour répandre des aumônes et soulager les malheureux. Une charte de 1314 nous apprend que les lépreux de Douvaine s'étaient habitués si impérieusement, et dès une époque si ancienne, à recevoir des secours de l'abbaye d'Aulps, que celle-ci jugea à propos de requérir d'eux une déclaration portant que ces secours ne dérivaient d'aucun engagement, et n'avaient jamais eu d'autre motif qu'un pur sentiment de charité (27). Et en ceci, les moines agissaient prudemment, car souvent des actes réitérés et spontanés, ou même de simples inductions pouvaient se

(25) Besson, Mémoires, preuves, no 66.
(26) Comptes des châtelains de Chambéry.
(27) Documents, no XVII.

convertir à leur égard en des obligations véritables. Ainsi, comme au XIIe siècle on attachait l'idée d'un privilége précieux à être inhumé dans les cimetières ou dans les charniers des couvents, on voyait une infinité de personnes croire ne pas acheter trop cher ce privilége, en laissant tout ce qu'elles possédaient à tel ou tel monastère, qui alors, en tant qu'héritier, payait les dettes du défunt. Or, sur la présomption de pareilles dispositions de la part de ceux à qui l'abbaye d'Aulps accordait la sépulture claustrale, un usage avait prévalu d'exiger de cette congrégation le paiement des dettes de chacun des individus inhumés de la sorte, bien qu'ils ne lui eussent rien laissé, ni par codicille ni par testament; mais le pape Innocent VI fulmina, en 1357, une bulle, afin d'abolir un semblable abus, contre lequel, selon la formule ordinaire, il appelle l'indignation de Dieu et des saints (28).

Avant de terminer l'énumération des divers genres de donations qui, pendant le moyen-âge, furent conférés au monastère d'Aulps, je dois dire que les princes de la maison de Savoie, et notamment Amé surnommé le Grand, et Edouard son fils, non contents de confirmer les anciennes libéralités d'Humbert II et d'Humbert III, les augmentèrent tellement

(28) Documents, n° XXIX.

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