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le degré de civilisation de chaque peuple et de chaque siècle. C'est donc le siècle qui donne à la poésie ce caractère particulier, qui marque les écoles dans la poésie, comme il y en a dans la peinture. Le siècle qui fit Marot et Ronsard n'aurait pu faire Racine, et celui de Racine n'aurait pu faire Lamartine et ses nombreux imitateurs.

Dans une circonstance semblable, M. l'avocat Raymond a jeté un vaste coup d'œil sur les produits littéraires de notre époque, et, frappé de l'abondante stérilité qui encombre les sanctuaires des lettres, sans rien produire qui mérite de passer à la postérité, il a recherché les causes de cette indigence, qui contraste si extraordinairement avec les efforts que semble aujourd'hui faire l'esprit humain pour aller à l'immortalité.

Deux causes se sont comme d'ellesmêmes présentées à sa pensée :

La première, c'est cette instruction hâtive, rapide, accélérée, qui veut qu'un enfant sache tout et apprenne tout en peu de temps; qui, au moyen de manuels, d'abrégés, de tableaux, etc., se charge de communiquer la science en dispensant du travail et de la méditation ; qui engendre la vanité du savoir sans le produire.

La seconde, c'est l'état actuel d'une société où l'homme se hâte de vivre, comme si l'avenir devait lui manquer. Un siècle mercantile, spéculateur, avide de richesses et de plaisirs; un siècle où les grandes idées d'immortalité, qui ont inspiré les génies d'un autre âge, semblent avoir été transposées au présent ; un siècle où les idées éternelles d'ordre et de moralité sont échangées contre les principes d'égoïsme, ne peut former des hommes capables de se plier aux règles du goût et aux exigences du vrai. Voilà pourquoi

les ouvrages que nous voyons paraître tiennent tantôt du ridicule, tantôt du monstrueux.

Reçu dans une séance publique, M. le sénateur de Juge a parlé des chances de succès que devait rencontrer la poésie dans les montagnes de la Savoie. Dieu et la patrie, voilà, selon le brillant orateur, les deux aliments les plus féconds dont se nourrit la poésie. Or, nulle part le sentiment religieux et le sentiment de la patrie ne sont plus ardents qu'au sein de nos montagnes. C'est là que Dieu et le Roi reçoivent encore un culte dont l'énergie et la pureté pourraient étonner les autres peuples. Mais écoutons un moment l'orateur-poète :

<< Il est donc pour le poète une communauté de pensées et de sentiments dans laquelle il peut puiser, sûr d'être compris

par tous ceux qui écouteront ses chants; véritable foyer de lumière placé au sein de l'humanité, où chaque intelligence veut s'éclairer d'un rayon; source intarissable d'émotions, où chaque cœur aime à prendre la fraîcheur et la vie : Dieu, patrie, ces deux mots ne sont vides de sens nulle part; ils ont une valeur pour le savant comme pour l'ignorant; ils retentissent sous la hutte du sauvage comme sous les portiques de nos cités. Inscrits dans la langue de tous les peuples, ils y groupent une foule d'expressions qui, sans le tronc qui les soutient, se détacheraient de la mémoire des hommes et tomberaient dans l'oubli. Pour tout dire enfin, ils portent avec eux les consolations de cette vie, et le gage de notre immortalité.

<< Et n'allons pas craindre, après tant de siècles, d'arriver trop tard, de ne plus trouver d'accents sur cette lyre sainte et

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patriotique que tant d'immortels génies ont fait vibrer. S'il n'est plus rien de nouveau pour nous sous le soleil, c'est que nous nous laissons éblouir par ses rayons, et que nous ne cherchons pas, pas, par-delà tous les cieux, celui qui lança l'astre dans l'espace. Si la terre est pour l'homme comme un champ desséché qu'il se lasse de remuer en vain, c'est qu'il a fermé son cœur aux douces joies de la famille, aux émouvantes inspirations du pays na

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; car, soyons-en sûrs, la religion et la patrie sont deux muses qui ne vieillissent jamais. Que dis-je ? elles n'ont pas d'âge; et ces fontaines d'eaux vives dont le réservoir est au ciel, ne demandent ici-bas qu'un cœur pur, pour y tomber en flots étincelants.

« D'ailleurs, chaque pays a ses beautés naturelles, ses monuments des arts, qui, se reflétant sur ses mœurs et ses habitudes, lui impriment, sur l'immense toile

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