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le mouvement de réaction qui a renversé le voltairianisme, et n'a eu plus d'action sur la jeunesse actuelle.

« Vous savez tous, Messieurs, combien d'autres écrivains, dans nos provinces et dans cette enceinte même, ont élevé leurs voix pour les saines doctrines, et je n'en parle que pour constater l'universalité des sentiments religieux parmi les gens de lettres savoisiens. Si quelques hommes d'un talent reconnu ont, dans les temps orageux d'où nous sortons, affiché hautement des sentiments opposés, leur nombre si faible, qu'à peine il autorise à se servir du pluriel pour en parler, et plus encore la déconsidération morale qui s'est mêlée à leur réputation littéraire comme la fange à l'eau de la source, font de ces exceptions presque inaperçues la confirmation la plus forte de mon assertion. Bien plus, s'ils ont formé le déplorable souhait que leur mémoire passât à

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la postérité avec le souvenir de leur inimitié envers le trône et l'autel, ils n'ont pu réussir dans leur vou. Une fatalité (que je ne saurais nonmer malheureuse) a égaré leur science dans des objets de détail et dans des travaux sans intérêt ils ont été connus de leurs contemporains comme des hommes de haut savoir; mais nos neveux ignoreront leurs noms. Rien, parmi nous, ne porte malheur aux talents comme de débuter par une marche en sens inverse des sentiments et des croyances du pays, et si nous cessions jamais d'exiger le respect pour nos sentiments et nos croyances, alors ce serait malheur à nous.

« Maintenant il me suffit de constater avec quelle difficulté les opinions antireligieuses ont pris jusqu'ici racine dans cette contrée, soit qu'il y ait quelque chose dans l'atmosphère morale de notre patrie qui étouffe leur développement,

soit plutôt qu'il existe dans la race qui habite nos montagnes, un instinct inné de fidélité, qui repousse tout genre d'infidélité.

« Cette explication me paraît très-soutenable telle peuplade est connue par sa

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disposition à se vanter, telle autre par la propension à mentir, une autre par l'inconstance de ses sentiments; pourquoi la nôtre ne serait-elle pas caractérisée par la constance des siens? Le chantre d'Armide dit, en parlant d'une province de France: La terra molle e lieta, e dilettosa, simili a se gli abitator produce. Pourquoi nos neiges éternelles et nos inébranlables rochers n'enceindraient-ils pas un peuple également immuable dans sa foi politique et religieuse? Puisqu'on nous accorde un amour d'instinct pour notre pays, n'accordera-t-on pas le même caractère instinctif à la fidélité, qui est, chez nous, plùs forte que l'amour même du pays? Si l'on

en doutait, je pourrais citer un fait mémorable, qui serait ignoré s'il n'avait été tiré de l'oubli par le marquis de Costa; car, jusqu'à lui, l'histoire de notre patrie a été livrée à la plume vaniteuse et partiale des historiens d'un pays voisin. Je veux parler de ces soldats du régiment de Maurienne, qui, licenciés jusqu'au printemps, dans la retraite de 1792, abandonnèrent tous leurs familles et leurs foyers occupés par l'ennemi, sans savoir s'ils pourraient jamais les revoir. Pas un ne manqua à l'appel au jour fixé, et cependant ils ne s'étaient pas concertés! Quelle impulsion autre qu'une fidélité sucée avec le lait maternel a pu inspirer à la fois à un millier de jeunes gens une abnégation aussi évidente de leurs intérêts personnels, et leur a fait quitter leur patrie en bravant les plus affreux sentiers des Alpes et le danger de la rencontre des troupes françaises.

« Enfin, ce qui, plus que tout autre argument, prouve la nationalité de cet instinct de double fidélité, c'est que les gens de lettres naturalisés dès l'enfance en pays étrangers, et qui ne tenaient à la Savoie que par leur naissance ou leur origine, ont conservé toute leur vie les mêmes sentiments. On me demandera peut-être de prouver ce que j'avance! ma preuve ? c'est Ducis, le plus beau caractère d'homme de lettres du 18e siècle, dit un de ses biographes, qui, fidèle à son attachement pour Louis XVIII, dont il avait été secrétaire, refusa, bien que sans fortune, la place de Sénateur, offerte par Napoléon, et qui accepta de la Restauration la croix de la Légion, qu'il avait constamment refusée sous l'Empire; qui, fidèle à la religion et à la scène française, dont il fut le quatrième maître, fréquentait avec une égale assiduité l'église de sa paroisse et le théâtre, et dont le lit de

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