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Van Zevecote (1).

II.

Le génie de Zevecote se complétait. La vue de ces merveilleuses collections de statues, de bas-reliefs et de vases antiques, retrempait en lui ce merveilleux instinct de l'idéal qui dans les modèles classiques lui avait fait de si bonne heure deviner les mystères de l'art. Il sentait sa poitrine se gonfler d'orgueilleuse félicité, en songeant que si loin des transparences du ciel italien et des fécondes inspirations des monuments de la Rome païenne ou chrétienne, il avait pu néanmoins s'élever jusqu'où ne s'élevaient plus la plupart des Romains de son temps.

Musaque jam Superis par incedebat et astris,

Et nihil a quoquam quod trepidaret erat.

Il dut s'arracher pourtant aux exquises jouissances de J'existence artistique et patricienne: sa chétive organisation physique se refusait à porter plus longtemps le poids de ces émotions trop multipliées : la mal' aria le surprit au milieu de ses courses poétiques dans la Rome des arts. Il s'embarqua, et deux tempêtes successives le jetèrent, harassé, mourant dans le port de Gènes. Il nous a dit les fatigues et les périls du voyage, ses compagnons engloutis dans les neiges, ses haltes dans des lieux sauvages, la perfidie des hôtes, le long trajet de Rome, et le retour enfin dans cette

(1) Suite et fin. Voir p. 222.

patrie dont il eût voulu être si fier, mais qu'il croyait si ingrate et si insensible à ses poétiques accents :

Hic mihi felici quia non datur esse poetae,
Et nimis est votis sors inimica meis;
Stamina fatidicae rumpant vitalia Parcae,

Ac animam rapiat quae mihi terra dedit.

Il semble que Zevecote à son retour de Rome a été trèsfroidement accueilli par sa famille : on ne pouvait s'expliquer en lui, encore moins pardonner, cette mobilité, cette impatience du calme, cette horreur d'une existence placide, seule possible alors dans la vaste et muette enceinte de Gand. Le poète se réfugia dans les travaux poétiques, s'efforçant d'écouter le moins possible les clabauderies de l'envie; remplissant ses heures ou d'étude ou d'enseignement, il lui fut possible pendant quelque temps d'oublier les transports juvéniles, les splendeurs perdues et les rêves déconcertés. Il se consolait des rigueurs du sort et des mécomptes du bonheur, en travaillant à communiquer aux autres cet art des vers heureux et faciles, qui lui avait donné à lui-même si peu d'heures satisfaites et savoureuses.

Vers la fin de mars de l'an 1622, il parut à Gand, chez Judocus Dooms, à l'enseigne de la Presse typographique, et contrôlé par la censure du chanoine Smets, une centaine de pages poétiques de Jacques Van Zevecote, de l'ordre des ermites de S'-Augustin. Cette première édition d'Élégies, de Sylves et d'Epigrammes donnait toutes les petites pièces de l'auteur telles qu'elles avaient été primitivement conçues. D'autres circonstances depuis les firent mutiler ou supprimer dans des éditions nouvelles.

Si nous voulons connaître Zevecote, c'est dans ses œuvres qu'il faut essayer de saisir cet esprit peut-être trop mobile. Celui que Willems n'hésite pas à appeler le prince des poètes flamands, c'est à peine si son nom s'est maintenu dans notre incurieuse mémoire. Dans ce fatal naufrage de

la pensée nationale, il nous faut guetter au passage quelques épaves d'une brillante individualité d'artiste. Ce sont là les misères de notre gloire.

Les Poemata de 1622 ne sont remarquables que comme premiers jalons d'un essor vigoureux, et comme fugitive silhouette d'une authentique nature flamande, doublée d'heureuses réminiscences classiques. Etrange lutte de deux courants opposes! Du fond du cloître des Augustins de Gand, notre poète se réclamant de Mgr. Antoine Triest, septième évêque de Gand, comte d'Everghem, etc., abjure la folle désinvolture des muses de l'antiquité. Il avoue bien que les chants lascifs ont trop souvent la palme de l'élégance, mais il déclare renoncer sans effort aux grâces trop peu vêtues de son maître Ovide. Illusion peut-être, mais en tout cas respectable.

On sait la grande popularité d'Ovide chez nos littérateurs d'autrefois. Le dernier poète du grand siècle et le premier de la décadence, l'auteur si facile et si limpide des Amours et des Héroïdes a pénétré jusqu'en notre Bibliothèque bleue, si germanique pourtant. Les flatteurs ou plutôt les amis ont beau parler à Zevecote de Callimaque, de Stésichore et d'autres c'est Ovide qui est la véritable inspiration, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise (1). Ne nous étonnons pas de cet emmêlement de christianisme et de paganisme : le moyen-âge s'y complait, et le dix-septième siècle, c'est encore le moyenâge pour notre pays. A tort chercherait-on pour cette époque un parallélisme entre la France et la Belgique.

Zevecote a le vice du génie : l'orgueil, peut-être même la vanité. Cela transparaît assez dans son mot à l'Ami lecteur. Mais quand il se tromperait, on aime que le jeune

(1)

Dum facilis elegos tam dextro numine pangis,
Quis non Ovidium te, Zevecote, putet?

DE CONINCE, Gandensis.

poète se flatte de pouvoir encadrer sans disparate el sans réciproque préjudice les sévérités théologiques dans les gracieuses guirlandes de la Rome payenne. Habituonsnous, quand nous remontons la liste des temps et des hommes, à voir le Pégase en face du Calvaire, sans nous défendre de regretter que le pastiche classique ait souvent fait négliger les détails originaux et les couleurs locales. Un calque d'Ovide sert parfois de fond à de touchantes idées, comme en ces vers de Zevecote à son ancien provincial de Louvain : Accipe quae patrias ad Lisae flevimus undas,

Carmine fortunae conveniente meae.

S'il abuse de l'ergone, comme d'autres usaient trop indiscrètement du quae quum ita sint, en est-il moins spontané, moins tendre et moins doux quand il se ressou vient avec tant de plaisir que Bauters, curé de S'-Michel à Gand, lui donna les premières leçons de latin et de cosmographie?

Quand Zevecote parle de son non-chaloir, quand il se dit fugax rerum securaque in otia natus, ne le croyez pas au pied de la lettre : on est ici en coquetterie, à la manière hypocritement indifférente de Michel de Montaigne : on se ment à soi-même, un peu sans le savoir, un peu sans le vouloir. Le vrai est que son badinage, ses nugae, comme il le dit à Michel Seclyn, châtelain du Vieux-Bourg, masque une inquiète ardeur de travail. Le protecteur au surplus est digne du protégé : le noble feudataire de Flandre n'a pas cru déroger en encourageant les premiers essais de son jeune compatriote. Il a osé aussi, lui qu'on redoutait à la guerre de Frise, et qui brillait dans les grands conseils, descendre jusqu'à s'occuper des écoles des pauvres, — sancto et salubri instituto comme s'exprime à cet égard l'honnête Sanderus.

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A travers les trop fidèles reminiscences des grands poètes, on aperçoit déjà un riche fonds de pensées originales. Qu'importe qu'en écrivant au cardinal Bartholin une épître

de bon souvenir, il s'amuse à des bluettes dignes des facéties du XVIII° siècle! Voici bientôt la fabula hyemis, gracieuse compositien qu'Heinsius avouerait avec orgueil et qui a une mélodie de mots, et une fraicheur d'images à tromper les plus érudits. Ce n'est qu'à la fin de l'élégie qu'une indication indiscrète vous rappelle que comme en peinture, en littérature aussi, notre plantureux pays peut avoir ses coloristes indigènes.

S'il renouvelle le fameux mot d'Ovide: Vita verecunda, musa jocosa (1), c'est comme une réserve pour quelques hardiesses poétiques qui lui échapperont plus tard en Hollande. Ici, dans ce premier produit de sa veine, tout est chaste et d'une innocuité presque monastique. Au milieu de cette réserve et de cette filialité, on reconnaît un temps d'arrêt, une hésitation dans l'élan de ce poète qui fut depuis si fier et si vigoureux dans ses haines.

Zevecote se montre jaloux de la gloire nationale, à cette époque de défaillance nationale, quand l'influence étrangère provoquait de toutes parts l'expatriation du génie belge. C'est de toutes les forces de son âme qu'il aime son pays il l'aime comme beaucoup d'Allemands aiment leur vieille et payenne terre de Germanie. De loin comme de près, dans la joie comme dans la tristesse, les noms aimés des côteaux et des fleuves de la patrie sont prodigués dans ses poésies. Il y a là de cet amour qui devait animer nos anciens paysagistes; il a pu dire de lui-même sans exagération: Colui patriis culmina nota diis, et rien qu'à voir de quelles chaudes étreintes il cherche à retenir un ami prêt à partir pour la Hollande, on peut affirmer que si luimême s'arracha un jour à ces humbles délices tant de fois

(1) Le jeune et fougueux Lessing, quand du fond de sa misère académique il écrivit à son père le rigide ministre protestant, cita le même mot, mais l'attribua à Martial.

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