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LE TRÉSOR

DE LA

CATHÉDRALE DE TROYES

PAR

M. LE BRUN-DALBANNE

MEMBRE RÉSIDANT

Le trésor de la cathédrale de Troyes ne renferme assurément ni châsse des grandes reliques, ni chaire d'ivoire et d'or incrustée de pierres précieuses, ni couronne de lumière, ni tombeau de Charlemagne, comme celui d'Aix-la-Chapelle; ni pala d'oro, ni emaux cloisonnés, ni incomparables vases sacrés, comme Saint-Marc de Venise; ni tombeau des rois Mages, comme Saint-Pierre de Cologne; ni reliquaire de saint Servais, comme Notre-Dame de Maëstricht; ni châsse de saint Taurin, comme la cathédrale d'Evreux; ni couronne, ni épée de Charlemagne, comme le trésor impérial de Vienne; ni tapisseries, ni reliquaires donnés par les rois de France, comme Notre-Dame de Reims; ni vraie croix, comme Saint-Etienne de Sens; ni couronne d'épines, comme la métropole de Paris; et cependant il est telle

ment riche en objets précieux de toutes sortes qu'il y a lieu de s'étonner, non-seulement qu'il ne soit pas célèbre, mais qu'il soit pour ainsi dire inconnu aux habitants de la ville même. C'est qu'en France nous sommes partout Français et que si nos admirations nous paraissent souvent au-dessous du mérite des spectacles et des choses que nous allons chercher au loin, nous n'avons que du dédain pour nos propres richesses. Pourtant la cathédrale de Troyes, depuis ses commencements, a subi tant de vicissitudes que son trésor a dû s'en ressentir.

D'abord modeste oratoire établi sous le vocable du Sauveur au 1° siècle par les disciples de Savinien, puis peu à peu agrandie pour répondre à l'affluence des nouveaux chrétiens, la cathédrale tombait en ruines, au Ix siècle, lorsque Otulphe, trente-huitième évêque de Troyes, entreprit de la rebâtir. Elle était complétement achevée en 878, car nous voyons le pape Jean VIII y tenir un concile général et y sacrer empereur d'Occident Louis, le Bègue, vingt-sixième roi de France. Il ne s'était pas encore écoulé vingt années depuis ces événements mémorables dont la cathédrale de Troyes avait été le théâtre qu'elle était renversée de fond en comble par la sanglante invasion des Normands. Elle fut un siècle à se relever et disparut de nouveau dans l'effroyable incendie de 1188, qui consuma la ville de Troyes presque toute entière. « Après des biens et bonheurs las! voici des malheurs, » c'est qu'en l'année 1188, le vingt-troisième jour de » juillet, Troyes ville bien peuplée, embellie de beaux édi»fices, remplie de grandes commodités, par un incendie

inopiné fut presque toute brûlée et ruinée lors étoient » les foires, où les marchands avoient amené de grandes >> richesses et bonnes marchandises: de nuict donc se leva » un grand incendie et le vent encore par des tourbillons >> impétueux portoit le feu çà et là tellement que, quand les >> habitants vouloient sauver leurs biens ou ceux de leurs >> amis, eux-mêmes ils étoient accablés du feu ou contraints

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» de les laisser à la flamme (1). » Ce sont les traces de cet incendie qu'on retrouvait encore en creusant (en 1859) les fondations du musée Simart (2). Vingt années s'écoulèrent sans qu'on pùt s'occuper de rebâtir la cathédrale. En 1208 l'évêque Hervée se mit courageusement à l'œuvre, il fit faire ou fit peut-être lui-même le plan grandiose de l'édifice que nous connaissons, mais, malgré son activité et les ressources immenses qu'il sut réunir, il eut la douleur de mourir avant que le sanctuaire et les élégantes chapelles absidales qui l'entourent fussent terminés. Cinq ans après sa mort, en 1228, une tempête affreuse s'engouffrait dans l'édifice et y causait un tel ravage qu'il ne fallut pas moins qu'une bulle du pape Grégoire IX pour relever les courages et faire reprendre les travaux (3). Urbain IV, qui se plaisait à appeler la cathédrale de Troyes la nourrice de ses jeunes années et la source première de son élévation, contribua à son avancement de toute l'influence de son autorité souveraine et de son amour pour son pays natal, en sorte qu'après avoir été tour à tour interrompue, reprise, suspendue, continuée, elle put enfin le 9 juillet 1429 être dédiée aux apôtres saint Pierre et saint Paul par l'évêque Jean Léguisé. On comprend facilement qu'au milieu de désastres qui se succédaient avec une sorte de fatalité, le trésor ne se soit pas enrichi et que les offrandes aient afflué partout ailleurs.

Puis la cathédrale de Troyes n'avait aucun titre qui la recommandat aux puissants de la terre; elle n'était pas,

(1) Des Guerrois, Saincteté chrestienne, fo 312 vo.

(2) Harmand, Mém. de la Soc. acad. de l'Aube, t. XXIII, p. 268. (3) Voici un des passages de la bulle de Grégoire IX : « Cum igi» tur Trecensis ecclesia nuper tenebroso turbine convoluta, concus>> sis quatuor angulis, ab imis corruerit fundamentis, quodam yconio >> et sanctorum in ea quiescentium thecis, miraculose servatis illæsis, » quia ruinam tam miserabilem quisque misereri tenetur..... » (Camuzat, Prompt. fo 115 r.)

comme la cathédrale de Reims, l'église du sacre et du couronnement des rois, ni comme celle d'Aix-la-Chapelle la nécropole des empereurs. Quant à nos comtes, ils avaient pris fin par l'incorporation de la Champagne à la couronne de France, et eussent-ils encore existé que l'église royale de Saint-Etienne, fondée par eux, eût gardé toute leur prédilection et leurs faveurs. Dans sa longue existence la cathédrale n'a donc eu qu'une seule bonne fortune, nous nous trompons, qu'une espérance, aussitôt évanouie qu'apparue; c'est qu'en 1203 son évêque Garnier de Traisnel s'était croisé, qu'il était devenu l'aumônier en chef de l'armée latine, qu'il commandait avec l'évêque de Soissons deux navires le Paradis et la Pèlerine, dont les troupes sautèrent les premières sur les remparts de Constantinople; qu'il s'était signalé par sa bravoure et que les premiers étendards qui avaient été plantés sur les murs étaient ceux des évêques de Troyes et de Soissons (1). Devenu dépositaire des reliques et des trésors immenses que le sac des églises de la capitale de l'empire grec avait fait passer dans les mains des Latins, Garnier en avait destiné une grande partie à sa cathédrale lorsque la mort vint le surprendre au milieu des préparatifs du retour, en sorte que la meilleure part des richesses qu'il avait réunies pour son église fut dilapidée par les de sa suite, qui en trafiquèrent après sa mort (2).

gens

Le trésor de Saint-Pierre eut à subir de nouveaux malheurs, en 1350, quand il fallut contribuer aux trois millions

(1) « Duæ naves colligatæ, quæ pariter nostros episcopos Suessio>> nensem et Trecensem deferebant, quarum erant insignia Paradi» sus et Peregrina, primæ scalis suis scalas turrium attigerunt, et » felici auspicio peregrinos pro paradiso certantes, hostibus admove>> runt : prima muros obtinent vexilla pontificum, ministrisque secre>> torum cœlestium prima de cœlo conceditur victoria. » (Litt. Baldui. ad archiep. Colon. - Michaud, Hist. des Croisades, t. III, p. 243.)

(2) Hist. de la translat. des reliques de Saint-Mammès, chap. v. (Bibl. Floriac. edita per Joan. a Bosco.)

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