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Pour aller dans ses bras rire de ma douleur.

Pleurante après son char vous voulez qu'on me voie;
Mais, Seigneur, en un jour ce seroit trop de joie; 1330
Et sans chercher ailleurs des titres empruntés,

Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez?
Du vieux père d'Hector la valeur abattue
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,
Tandis que dans son sein votre bras enfoncé
Cherche un reste de sang que l'âge avoit glacé;
Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée;
De votre propre main Polyxène égorgée

Aux

yeux de tous les Grecs indignés contre vous Que peut-on refuser à ces généreux coups 2?

PYRRHUS.

1

Madame, je sais trop à quels excès de rage'
La vengeance d'Hélène emporta mon courage":
Je puis me plaindre à vous du sang que j'ai versé;
Mais enfin je consens d'oublier le passé.

:

1335

1340

1345

Je rends grâces au ciel que votre indifférence
De mes heureux soupirs m'apprenne l'innocence.
Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,
Devoit mieux vous connoître et mieux s'examiner.
Mes remords vous faisoient une injure mortelle ;
Il faut se croire aimé pour se croire infidèle.
Vous ne prétendiez point m'arrêter dans vos fers:
J'ai craint de vous trahir, peut-être je vous sérs.
Nos cœurs n'étoient point faits dépendants l'un de l'autre ;

Chargé de tant d'honneur, il veut qu'on le renvoie?

[Mais, Seigneur, en un jour ce seroit trop de joie.] (1668-76)

1350

1. On peut voir, dans l'Hécube d'Euripide (vers 517-566), le récit de la mort de Polyxène, égorgée par Pyrrhus sur le tombeau d'Achille.

2. La même expression se trouve dans l'Horace de Corneille (vers 1338):

Ou si tu n'es point las de ces généreux coups.

3. Var. Madame, je sais trop à quel excès de rage. (1668-76)

4. Var. L'ardeur de vous venger emporta mon courage. (1668 et 73)

Je suivois mon devoir, et vous cédiez au vôtre.
Rien ne vous engageoit à m'aimer en effet.

HERMIONE.

Je ne t'ai point aimé, cruel? Qu'ai-je donc fait?
J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes;
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces;
J'y suis encor, malgré tes infidélités,

1355

T365

Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés. 1360
Je leur ai commandé de cacher mon injure;
J'attendois en secret le retour d'un parjure;
J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,
Tu me rapporterois un cœur qui m'étoit dû.
Je t'aimois inconstant, qu'aurois-je fait fidèle?
Et même en ce moment où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.
Mais, Seigneur, s'il le faut, si le ciel en colère
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y consens. Mais du moins
Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.
Pour la dernière fois je vous parle peut-être :
Différez-le d'un jour; demain vous serez maître'.
Vous ne répondez point 2? Perfide, je le voi,
Tu comptes les moments que tu perds avec moi 3!

1370

1375

1. Ce délai que demande Hermione rappelle la prière que Didon charge sa sœur d'adresser à Énée :

Non jam conjugium antiquum, quod prodidit, oro....
Tempus inane peto, requiem spatiumque furori.

(Virgile, Enéide, livre IV, vers 431-433.)

2. Au lieu du point d'interrogation, les éditions de 1668 et de 1673 ont ici un simple point.

3. Ce vers et les suivants jusqu'à la fin de la scène ressemblent trop à un passage de la Médée d'Euripide pour que la rencontre soit fortuite. Voici les paroles que Médée adresse à Jason :

Χώρει· πόθῳ γὰρ τῆς νεοδμήτου κόρης

Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne ',
Ne souffre qu'à regret qu'un autre' t'entretienne.
Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux 3:
Va lui jurer la foi que tu m'avois jurée,
Va profaner des Dieux la majesté sacrée.
Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront oublié
Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.

A

pas

1380

Porte aux pieds des autels ce cœur qui m'abandonne;
Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.

SCÈNE VI.

PYRRHUS, PHOENIX.

PHOENIX.

Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger
Une amante en fureur qui cherche à se venger.

Αἱρεῖ, χρονίζων δωμάτων ἐξώπιος.

Νύμφευ· ἴσως γὰρ, ξὺν θεῷ δ ̓ εἰρήσεται,
Γαμεῖς τοιοῦτον, ὥστε σ ̓ ἀρνεῖσθαι, γάμον.

(Médée, vers 621-624.)

1. Var. Ton cœur impatient de revoir sa Troyenne. (1668-76)

2. Tel est le texte de toutes les éditions publiées du vivant de Racine. L'impression de 1702, celle de 1736, et en général toutes les éditions modernes ont une autre. Mais dans Corneille aussi les anciennes éditions ont souvent un autre où nous mettons aujourd'hui une autre. Voyez le Corneille de M. Marty-Laveaux, tome I, p. 228, note 3 a. Voyez aussi plus bas les Plaideurs, acte II, scène II, variante du vers 335.

3.

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Neque te teneo, neque dicta refello.
I, sequere Italiam ventis

(Virgile, Énéide, livre IV, vers 380 et 381.)

4. Tel est le texte de toutes les anciennes éditions. Quelques impressions modernes donnent : « au pied. »

5. Var. Seigneur, vous l'entendez : gardez de négliger (a). (1668 et 73)

(a) Par une faute d'impression, semblable à celle du vers 911, l'édition de 1713 a: Seigneur, vous attendez; et d'Olivet ne donne le vrai texte : a vous entendez, » que comme variante.

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Elle n'est en ces lieux que trop bien appuyée :
La querelle des Grecs à la sienne est liée;
Oreste l'aime encore; et peut-être à ce prix....

PYRRHUS.

Andromaque m'attend. Phoenix, garde son fils.

1390

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE V.

SCÈNE PREMIÈRE.

HERMIONE, seule.

Où suis-je ? Qu'ai-je fait? Que dois-je faire encore?
Quel transport me saisit? Quel chagrin me dévore?
Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais.
Ah! ne puis-je savoir si j'aime, ou si je hais?
Le cruel! de quel œil il m'a congédiée !

Sans pitié, sans douleur, au moins étudiée.

L'ai-je vu se troubler et me plaindre un moment1?
En ai-je pu tirer un seul gémissement ??
Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,
Sembloit-il seulement qu'il eût part à mes larmes ?
Et je le plains encore? Et pour comble d'ennui,
Mon cœur, mon lâche cœur s'
s'intéresse pour lui?
Je tremble au seul penser du coup qui le menace?
Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce?
Non, ne révoquons point l'arrêt de mon courroux :
Qu'il périsse! Aussi bien il ne vit plus pour nous.
Le perfide triomphe, et se rit de ma rage:

1. Var. Ai-je vu ses regards se troubler un moment? (1668-76) Var. L'ai-je vu s'attendrir, se troubler un moment? (1687) 2. Virgile a dit de même :

1395

Num fletu ingemuit nostro? num lumina flexit?
Num lacrymas victus dedit, aut miseratus amantem est ?
(Enéide, livre IV, vers 369 et 370.)

1400

1405

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