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passage prouve deux choses: il prouve et que Néron étoit déjà vicieux, mais qu'il dissimuloit ses vices, et que Narcisse l'entretenoit dans ses mauvaises inclinations.

J'ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette peste de cour; et je l'ai choisi plutôt que Sénèque. En voici la raison : ils étoient tous deux gouverneurs de la jeunesse de Néron, l'un pour les armes, l'autre pour les lettres; et ils étoient fameux, Burrhus pour son expérience dans les armes et pour la sévérité de ses mœurs, militaribus curis et severitate morum; Senèque pour son éloquence et le tour agréable de son esprit, Seneca præceptis eloquentiæ et comitate honesta1. Burrhus, après sa mort, fut extrêmement regretté à cause de sa vertu : Civitati grande desiderium ejus mansit per memoriam virtutis 2.

Toute leur peine étoit de résister à l'orgueil et à la férocité d'Agrippine, quæ, cunctis malæ dominationis cupidinibus flagrans, habebat in partibus Pallantem'. Je ne dis que ce mot d'Agrippine, car il y auroit trop de choses à en dire. C'est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer, et ma tragédie n'est pas moins la disgrâce d'Agrippine que la mort de Britannicus. Cette mort fut un coup de foudre pour elle, et il parut, dit Tacite, par sa frayeur et par sa consternation, qu'elle étoit aussi innocente de cette mort qu'Octavie. Agrippine perdoit en lui sa dernière espérance, et ce crime lui en faisoit craindre un plus grand: Sibi supremum auxilium ereptum, et parricidii exemplum intelligebat*.

1. Tacite, Annales, livre XIII, chapitre 1.

2. Sa mort laissa de longs et grands regrets à Rome, qui se souvenait de ses vertus. » (Ibidem, livre XIV, chapitre LI.)

3. « Qui, brûlant de toutes les passions d'une tyrannie malfaisante, avait Pallas dans son parti. » (Ibidem, livre XIII, chapitre п.) 4. Elle comprenait que sa dernière ressource venait de lui être

L'âge de Britannicus étoit si connu, qu'il ne m'a pas été permis de le représenter autrement que comme un jeune prince qui avoit beaucoup de cœur, beaucoup d'amour et beaucoup de franchise, qualités ordinaires d'un jeune homme. Il avoit quinze ans, et on dit qu'il avoit beaucoup d'esprit, soit qu'on dise vrai, ou que ses malheurs aient fait croire cela de lui, sans qu'il ait pu en donner des marques: Neque segnem ei fuisse indolem ferunt; sive verum, seu periculis commendatus retinuit famam sine experimento1.

Il ne faut pas s'étonner s'il n'a auprès de lui qu'un aussi méchant homme que Narcisse; car il y avoit longtemps qu'on avoit donné ordre qu'il n'y eût auprès de Britannicus que des gens qui n'eussent ni foi ni honneur: Nam ut proximus quisque Britannico neque fas neque fidem pensi haberet olim provisum erat 2.

Il me reste à parler de Junie. Il ne la faut pas confondre avec une vieille coquette qui s'appeloit Junia Silana. C'est ici une autre Junie, que Tacite appelle Junia Calvina, de la famille d'Auguste, sœur de Silanus à qui Claudius avoit promis Octavie. Cette Junie étoit jeune, belle, et comme dit Sénèque, festivissima omnium puellarum. Son frère et elle s'aimoient tendrement; << et leurs ennemis, dit Tacite, les accusèrent tous deux d'inceste, quoiqu'ils ne fussent coupables que d'un peu d'indiscrétion. » Elle vécut jusqu'au règne de Vespasien.

Je la fais entrer dans les Vestales, quoique, selon Aulu-Gelle, on n'y reçût jamais personne au-dessous

enlevée, et qu'il y avait là un exemple de parricide. » (Tacite, Annales, livre XIII, chapitre xvI.)

1. Ibidem, livre XII, chapitre xxvi. La phrase qui précède cette citation en est une traduction.

2. lbidem, livre XIII, chapitre xv.

3. Sur ce passage, voyez ci-dessus, p. 244, note 1.

de six ans, ni au-dessus de dix. Mais le peuple prend ici Junie sous sa protection. Et j'ai cru qu'en considération de sa naissance, de sa vertu et de son malheur, il pouvoit la dispenser de l'âge prescrit par les lois, comme il a dispensé de l'âge pour le consulat tant de grands hommes qui avoient mérité ce privilége.

ACTEURS.

NÉRON, empereur, fils d'Agrippine.

BRITANNICUS, fils de l'empereur Claudius'.

AGRIPPINE, veuve de Domitius Enobarbus, père de Néron, et, en secondes noces, veuve de l'empereur Claudius.

JUNIE, amante de Britannicus.

BURRHUS, gouverneur de Néron,

NARCISSE, gouverneur de Britannicus.

ALBINE, confidente d'Agrippine.

GARDES.

La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron.

1. Dans aucune des anciennes éditions on ne lit : fils de l'empereur

Claudius et de Messaline. C'est l'érudition malheureuse des éditions plus récentes qui a ajouté ici le nom de Messaline, dont Racine a évité de rappeler le souvenir.

BRITANNICUS.

TRAGÉDIE.

ACTE I.

SCÈNE PREMIÈRE.

AGRIPPINE, ALBINE.

ALBINE.

Quoi ? tandis que Néron s'abandonne au sommeil,
Faut-il que vous veniez attendre son réveil1?
Qu'errant dans le palais sans suite et sans escorte,
La mère de César veille seule à sa porte?
Madame, retournez dans votre appartement.

AGRIPPINE.

Albine, il ne faut pas s'éloigner un moment.
Je veux l'attendre ici. Les chagrins qu'il me cause
M'occuperont assez tout le temps qu'il repose.

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1. Il y a dans les Plaideurs deux vers qui ont quelque ressemblance avec ceux-ci. Ils sont dans les variantes de l'acte III, scène 1 (ci-dessus, p. 200): Le beau plaisir d'aller, tout mourant de sommeil,

A la porte d'un juge attendre son réveil !

Mais on comparerait mieux peut-être ce début de Britannicus avec les vers suivants de Juvénal:

Sedet ad prætoria Regis
Donec Bithyno libeat vigilare tyranno.

(Satire X, vers 160 et 161.)

Tout ce que j'ai prédit n'est que trop assuré :
Contre Britannicus Néron s'est déclaré;
L'impatient Néron cesse de se contraindre;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gêne, Albine; et chaque jour
Je sens que je deviens importune à mon tour.

ALBINE.

Quoi? vous à qui Néron doit le jour qu'il respire,
Qui l'avez appelé de si loin à l'Empire ?
Vous qui déshéritant le fils de Claudius,
Avez nommé César l'heureux Domitius 1?

Tout lui parle, Madame, en faveur d'Agrippine :
Il vous doit son amour.

AGRIPPINE.

Il me le doit, Albine:

Tout, s'il est généreux, lui prescrit cette loi;
Mais tout, s'il est ingrat, lui parle contre moi.

ALBINE.

S'il est ingrat, Madame! Ah! toute sa conduite
Marque dans son devoir une âme trop instruite.
Depuis trois ans entiers, qu'a-t-il dit, qu'a-t-il fait
Qui ne promette à Rome un empereur parfait ?
Rome, depuis deux ans, par ses soins gouvernée',
Au temps de ses consuls croit être retournée :

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1. C'était, comme l'on sait, le nom de Néron avant son adoption par Claude. Voyez ci-après, p. 257, note 2, quelques détails sur les Domitius.

2. Var. Rome, depuis trois ans, par ses soins gouvernée. (1670 et 76) - Le changement de « trois ans » en « deux ans, » fait par Racine dans son édition de 1687 et conservé dans celle de 1697, lui a paru nécessaire, comme s'éloignant beaucoup moins de la date exacte. Néron était monté sur le trône au milieu d'octobre de l'an 54 après Jésus-Christ, et il empoisonna Britannicus avant le printemps de l'an 55. Dans les éditions publiées au commencement du dix-huitième siècle, les unes, par exemple celles de 1700 (Amsterdam) et de 1736, ont gardé l'ancienne leçon trois ans ; les autres, comme celles de 1702, de 1713 et de 1728, ont adopté la correction deux ans. Les éditions modernes (1807, 1808 et M. Aimé-Martin) s'accordent à donner trois ans, et ne mentionnent même pas deux comme variante.

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