Mais parmi ce plaisir quel chagrin me dévore1! 695 700 Un bonheur que vos yeux m'accordoient tous les jours? JUNIE. 705 710 Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance. BRITANNICUS. Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive? 715 Quoi ? déjà votre amour souffre qu'on le captive' ? Qu'est devenu ce cœur qui me juroit toujours De faire à Néron même envier nos amours? Mais bannissez, Madame, une inutile crainte. La foi dans tous les cœurs n'est pas encore éteinte; 720 Chacun semble des yeux approuver mon courroux; 1. Les éditions de 1702, de 1713, de 1728 ont: vous dévore. 2. Par une erreur évidente, il y a moiens dans l'édition de 1687; moyens dans celle de 1697. 3. Même est sans s dans les éditions de 1676-1697. Celle de 1670 a mêmes. 4. Voyez ci-dessus, p. 282, note 1. La mère de Néron se déclare pour nous. JUNIE. Ah! Seigneur, vous parlez contre votre pensée. BRITANNICUS. Ce discours me surprend, il le faut avouer. Et ce moment si cher, Madame, est consumé 725 730 Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire ? JUNIE. Retirez-vous, Seigneur, l'Empereur va venir. BRITANNICUS. Après ce coup, Narcisse, à qui dois-je m'attendre 2? 1. Comparez ci-dessus le vers 682. 740 2. Dans l'édition de 1713, dans celles de 1728, de 1736, et dans quelques éditions récentes : Après ce coup, Narcisse, à quoi dois-je m'attendre? Mais toutes les éditions imprimées du vivant de Racine ont ce vers tel que nous le donnons. La Fontaine, dans la fable de l'Alouette et ses petits (livre IV, fable xxn), a dit : Ne t'attends qu'à toi seul : c'est un commun proverbe. Madame.... SCÈNE VII. NÉRON, JUNIE, NARCISSE. NÉRON. JUNIE. Non, Seigneur, je ne puis rien entendre. Vous êtes obéi. Laissez couler du moins Des larmes dont ses yeux ne seront pas témoins. SCÈNE VIII. NÉRON, NARCISSE. NÉRON. Hé bien! de leur amour tu vois la violence, 745 750 755 1. Louis Racine (Remarques sur Britannicus) nous apprend que très-souvent l'acteur chargé du rôle de Narcisse ne pouvait prononcer les quatre vers qui suivent, à cause du mur mure qu'excitait l'indignation des spectateurs. La Harpe J. RACINE. II 19 Narcisse: voudrois-tu résister à sa voix? Suivons jusques au bout ses ordres favorables; Et pour nous rendre heureux, perdons les misérables'. affirme le même fait, et, donnant raison aux spectateurs, regrette que Boileau n'ait pas fait retrancher à Racine ce court monologue plutôt que la scène qui autrefois commençait l'acte III. Voltaire jugeait-il autrement de ces vers, ou les avait-il oubliés? Il est à remarquer du moins que dans le commentaire de la Mort de Pompée, blâmant le langage atroce mis par Corneille dans la bouche de Photin, il dit : « Narcisse, dans Britannicus,... ne débite aucune de ces maximes d'un vain déclamateur. » Mais, suivant qu'il s'agit de Corneille ou de Racine, n'a-t-il pas changé de poids et de mesure? Voyez le rapprochement que nous faisons dans la note suivante. 1. Dans la Mort de Pompée (acte I, scène 1, vers 80-84), Photin parle à peu près de même : Rangez-vous du parti des destins et des Dieux.... Quels que soient leurs décrets, déclarez-vous pour eux; Et FIN DU SECOND ACTE. Ma mère a-t-elle vu confondre son orgueil? BURRHUS. Ne doutez point, Seigneur, que ce coup ne la frappe, NÉRON. Quoi? de quelque dessein la croyez-vous capable? BURRHUS. Agrippine, Seigneur, est toujours redoutable. 1. Nous ne donnons pas ici parmi les variantes la scène qui primitivement était la première de cet acte III, parce qu'on la trouve dans les Mémoires de Louis Racine (voyez notre tome I, p. 242-244), et qu'elle n'a été imprimée dans aucune des éditions de 1670 à 1697. Nous ignorons d'ailleurs toute l'étendue du remaniement qui fut fait par Racine d'après le conseil de Boileau, et comment la scène supprimée se liait à celle qui est devenue à son tour la première. La scène entre Néron et Burrhus ne pouvait venir immédiatement, telle qu'elle est, après celle que Louis Racine nous a conservée. Cela serait évident, quand il n'y aurait pas à faire observer que la citation faite par Louis Racine finit par deux vers de rime masculine, et que la nouvelle scène première commence par deux rimes également masculines. 2. Var. Rome et tous vos soldats honorent ses aïeux. (1670) |