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JUNIE.

Prince, sans l'irriter, cédons à cet orage.

NÉRON.

Gardes, obéissez sans tarder davantage.

SCÈNE IX.

NÉRON, BURRHUS '.

BURRHUS.

Que vois-je? O ciel!

NÉRON, sans voir Burrhus.

Ainsi leurs feux sont redoublés. 1085

Je reconnois la main qui les a rassemblés.

Agrippine ne s'est présentée à ma vue,

Ne s'est dans ses discours si longtemps étendue,
Que pour faire jouer ce ressort odieux.

Qu'on sache si ma mère est encore en ces lieux 2. 1090
Burrhus, dans ce palais je veux qu'on la retienne,
Et qu'au lieu de sa garde on lui donne la mienne.

BURRHUS.

Quoi, Seigneur? sans l'ouïr? Une mère?

NÉRON.

Arrêtez':

J'ignore quel projet, Burrhus, vous méditez;
Mais depuis quelques jours, tout ce que je desire
Trouve en vous un censeur prêt à me contredire.

1. Var. NERON, BURRHUS, un Garde. (1736)

2. Avant ce vers, l'édition de 1736 donne l'indication : « Au gardė, de M. Aimé-Martin : « Apercevant Burrhus. »

1095

» et celle

3. Néron, dans Octavie (vers 588 et 589), interrompt avec le même emportement les remontrances de Sénèque :

Desiste tandem, jam gravis nimium mihi,
Instare: liceat facere quod Seneca improbat.

Répondez-m'en, vous dis-je; ou sur votre refus
D'autres me répondront et d'elle et de Burrhus '.

1. Lemazurier (Galerie historique des acteurs du théâtre françois, tome I, p. 125) rapporte que l'acteur Beaubourg prononçait les deux derniers vers de cette scène avec des cris aigus et tout l'emportement de la férocité, ce qui était tout opposé à la manière de Baron. L'abbé de la Porte, dans ses Anecdotes dramatiques, le dit également. Il ajoute que « cette expression étrange renfermoit tant de vérité que tout le monde étoit frappé de terreur. Ce n'étoit plus Beaubourg, c'étoit Néron lui-même. » Mais Voltaire reproche à Beaubourg d'avoir joué «< comme un énergumène.

FIN DU TROISIEME ACTE.

ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.

AGRIPPINE, BURRHUS.

BURRHUS.

Oui, Madame, à loisir vous pourrez vous défendre :
César lui-même ici consent de vous entendre.

Si son ordre au palais vous a fait retenir,
C'est peut-être à dessein de vous entretenir.
Quoi qu'il en soit, si j'ose expliquer ma pensée,
Ne vous souvenez plus qu'il vous ait offensée :
Préparez-vous plutôt à lui tendre les bras;
Défendez-vous, Madame, et ne l'accusez pas.
Vous voyez, c'est lui seul que la cour envisage
Quoiqu'il soit votre fils, et même votre ouvrage,
Il est votre empereur. Vous êtes, comme nous,
Sujette à ce pouvoir qu'il a reçu de vous.

1100

1105

IIIO

Selon qu'il vous menace, ou bien qu'il vous caresse
La cour autour de vous ou s'écarte, ou s'empresse.
C'est son appui qu'on cherche, en cherchant votre appui.
Mais voici l'Empereur.

AGRIPPINE.

Qu'on me laisse avec lui.

1.Var. Vous le voyez, c'est lui que la cour envisage. (1670)

SCÈNE II.

AGRIPPINE, NÉRON.

AGRIPPINE, s'asseyant.

Approchez-vous, Néron, et prenez votre place'. 1115
On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse.
J'ignore de quel crime on a pu me noircir :

De tous ceux que j'ai faits je vais vous éclaircir.

Vous régnez. Vous savez combien votre naissance
Entre l'Empire et vous avoit mis de distance.
Les droits de mes aïeux, que Rome a consacrés,
Étoient même, sans moi, d'inutiles degrés.
Quand de Britannicus la mère condamnée
Laissa de Claudius disputer l'hyménée,

Parmi tant de beautés qui briguèrent son choix,
Qui de ses affranchis mendièrent les voix,
Je souhaitai son lit, dans la seule pensée
De vous laisser au trône où je serois placée.
Je fléchis mon orgueil, j'allai prier Pallas.
Son maître, chaque jour caressé dans mes bras,
Prit insensiblement dans les yeux de sa nièce
L'amour où je voulois amener sa tendresse.

1120

1125

1130

1. Voltaire, dans son commentaire de Rodogune (acte II, scène m), dit qu'« il semble que Racine ait pris en quelque chose le discours de Cléopatre à ses enfants pour modèle du grand discours d'Agrippine à Néron. » Il est certain que la situation offre dans les deux scènes des rapports frappants. Cléopatre, qui a trempé dans le meurtre de Nicanor, son époux, se vante, comme Agrippine, de son crime; et c'est, comme le dit Corneille dans l'Examen de sa tragédie, << pour remettre à ses fils devant les yeux combien ils lui ont d'obligation. » Si la rencontre n'est pas fortuite, et que Racine ait imité Corneille, il l'a imité en maître et avec une incontestable originalité. Voltaire fait remarquer dans la scène de Corneille une grande supériorité d'intérêt; mais, comme peinture de caractère, achevée dans toutes ses nuances, on ne peut rien mettre au-dessus de la scène de Racine.

2. C'est la fameuse Messaline.

Mais ce lien du sang qui nous joignoit tous deux
Écartoit Claudius d'un lit incestueux.

Il n'osoit épouser la fille de son frère.

Le sénat fut séduit : une loi moins sévère

1135

Mit Claude dans mon lit, et Rome à mes genoux.

C'étoit beaucoup pour moi, ce n'étoit rien pour vous. Je vous fis sur mes pas entrer dans sa famille :

Je vous nommai son gendre, et vous donnai sa fille. 1140 Silanus, qui l'aimoit, s'en vit abandonné,

Et marqua de son sang ce jour infortuné 1.

Ce n'étoit rien encore. Eussiez-vous pu prétendre
Qu'un jour Claude à son fils dût préférer son gendre?
De ce même Pallas j'implorai le secours :

Claude vous adopta, vaincu par ses discours;
Vous appela Néron; et du pouvoir suprême

Voulut, avant le temps, vous faire part lui-même.
C'est alors que chacun, rappelant le passé,
Découvrit mon dessein, déjà trop avancé;
Que de Britannicus la disgrâce future

yeux;

Des amis de son père excita le murmure'.
Mes
promesses aux uns éblouirent les
L'exil me délivra des plus séditieux;
Claude même, lassé de ma plainte éternelle,
Éloigna de son fils tous ceux de qui le zèle,
Engagé dès longtemps à suivre son destin,
Pouvoit du trône encor lui rouvrir le chemin
Je fis plus je choisis moi-même dans ma suite
Ceux à qui je voulois qu'on livrât sa conduite*;

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1. Voyez ci-dessus, p. 258, la note du vers 63. 2. M. Aimé-Martin a substitué pût à dút.

1145

1150

1155

1160

3. Rogata.... lex qua in familiam Claudiam et nomen Neronis transiret (Domitius).... Quibus patratis, nemo adeo expers misericordiæ fuit, quem «non Britannici fortunæ mœror afficeret. » (Tacite, Annales, livre XII, chapitre XXVI.)

4. Claudius optimum quemque educatorem filii exsilio ac morte afficit,

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