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ACTEURS.

TITUS, empereur de Rome.
BÉRÉNICE, reine de Palestine'.
ANTIOCHUS, roi de Comagène1.
PAULIN, confident de Titus.
ARSACE, confident d'Antiochus.
PHÉNICE, confidente de Bérénice.

RUTILE, Romain.

SUITE DE TITUS.

La scène est à Rome, dans un cabinet qui est entre l'appartement de Titus et celui de Bérénice.

1. Voyez ci-après, p. 373, note 1.

2. L'abbé du Bos cherche querelle à Racine au sujet de ce titre de roi de Comagène. Antiochus, qui avait fourni des secours aux Romains pendant le siége de Jérusalem, fut dépouillé de son royaume de Comagène par Césennius Pétus, sous le règne de Vespasien. Il n'y avait donc plus de roi de Comagène sous le règne de Titus. Épiphane, fils d'Antiochus, qui avait combattu sous les murs de Jérusalem, et qui est certainement l'Antiochus que Racine a introduit dans sa tragédie, était, lors de l'avénement de Titus, réfugié chez les Parthes; plus tard il vint à Rome, mais il y vécut dans une condition privée. Mais si Racine a été un peu inexact, cela n'importe aucunement; et l'abbé du Bos est à peu près seul de son avis quand il dit : « Je ne voudrois pas accuser de pédanterie celui qui censureroit M. Racine d'avoir fait un si grand nombre de fautes contre une histoire autant avérée. »

BÉRÉNICE.

TRAGÉDIE.

ACTE I.

SCÈNE PREMIÈRE.

ANTIOCHUS, ARSACE.

ANTIOCHUS.

Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux,
Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.
Souvent ce cabinet superbe et solitaire.

Des secrets de Titus est le dépositaire.

C'est ici quelquefois qu'il se cache à sa cour,
Lorsqu'il vient à la Reine1 expliquer son amour.

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1. Les historiens anciens nomment Bérénice regina Berenice; mais l'abbé du Bos fait remarquer que cette princesse, dont Racine dit que les États furent agrandis par Titus, « n'eut jamais ni royaume ni principauté. On l'appeloit reine ou parce qu'elle avoit épousé des souverains, ou parce qu'elle étoit fille de roi. » (Réflexions critiques, 1re partie, section xxIx.) Si Bérénice, qui fut aimée de Titus, est la fille d'Agrippa Ir, roi de Judée, elle avait été mariée deux fois, et, comme Bayle l'établit très-bien dans son Dictionnaire historique et critique (article BÉRÉNICE), « elle avoit quarante-quatre bonnes années sous le quatrième consulat de Vespasien, » qui est l'époque où, suivant Xiphilin, Titus la renvoya. Elle était plus âgée encore au temps où Racine a placé l'action de sa pièce. Mais il faut faire attention que le même Xiphilin dit qu'elle était dans tout son éclat lorsqu'elle vint à Rome; et Tacite, dans le livre II des Histoires, chapitre LXXXI, parlant d'elle au temps où Vespasien fut en Orient proclamé empereur, se sert de ces expressions, plus précises encore

De son appartement cette porte est prochaine,
Et cette autre conduit dans celui de la Reine1.
Va chez elle : dis-lui qu'importun à regret
J'ose lui demander un entretien secret.

ARSACE.

Vous, Seigneur, importun? vous, cet ami fidèle
Qu'un soin si généreux intéresse pour elle?
Vous, cet Antiochus son amant autrefois?

Vous, que l'Orient compte entre ses plus grands rois?
Quoi? déjà de Titus épouse en espérance',

Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance?

ANTIOCHUS.

Va, dis-je; et sans vouloir te charger d'autres soins,
Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.

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et moins contestables: florens ætate formaque, « elle étoit dans la fleur de l'âge et de la beauté. » Clavier, dans la Biographie universelle (article BÉRÉNICE), conjecture donc avec assez de vraisemblance que la Bérénice dont Titus fut amoureux n'était point la fille d'Agrippa Ier, mais une fille de Marianne, sœur de l'autre Bérénice; « elle avait environ vingt-cinq ans lorsque Titus vint dans la Judée. Elle avait également un frère nommé Agrippinus ou Agrippa. » Quoi qu'il en soit, il serait puéril de chicaner Racine à ce sujet. Bérénice était jeune, elle était reine, puisqu'il a voulu qu'elle le fût. L'abbé de Villars, beaucoup plus violent dans ses critiques que du Bos, appelle aussi l'histoire à son aide pour railler l'héroïne de Racine, qu'il appelle une belle surannée : « Le poëte ingénieux, dit-il, pour faire éclater encore la force tyrannique de cette passion, feint adroitement que cette Bérénice est la Bérénice sœur d'Agrippa, c'est-àdire cette infâme Bérénice que le spectateur sait bien qui étoit une incestueuse et l'horreur de l'univers par son abominable commerce avec son frère dès le commencement du règne de Néron. » (Critique de Bérénice, p. 16.)

1. «< Antiochus ne pouvoit-il aller chez Bérénice, pour lui dire adieu incognito, que par le cabinet de Titus? Le cabinet des empereurs romains étoit-il si peu respecté qu'on se servît de sa porte secrète pour aller parler d'amour à leurs maitresses?» (Villars, Critique de Bérénice, p. 10.) Cette remarque bien rigoureuse pourrait s'appliquer à beaucoup d'invraisemblances du même genre, auxquelles notre théâtre classique s'était condamné par une règle trop sévère. « Je conviens avec vous, écrivait J. B. Rousseau dans une de ses lettres à Riccoboni, de la violence que l'unité de lieu, telle que nos poëtes l'ont imaginée, fait à la plupart de leurs pièces; et qu'ils ont bien mal entendu leurs intérêts en s'imposant volontairement une torture aussi générale que de réduire toute l'étendue locale de leur action à celle d'une chambre ou d'un cabinet. »>

2. Var. Quoi ? déjà de Titus l'épouse en espérance. (1671-87)

SCENE II.

ANTIOCHUS, seul.

Hé bien! Antiochus, es-tu toujours le même ?
Pourrai-je, sans trembler, lui dire : « Je vous aime? »
Mais quoi? déjà je tremble, et mon cœur agité
Craint autant ce moment que je l'ai souhaité.
Bérénice autrefois m'ôta toute espérance;
Elle m'imposa même un éternel silence.
Je me suis tu cinq ans, et jusques à ce jour
D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour.
Dois-je croire qu'au rang où Titus la destine
Elle m'écoute mieux que dans la Palestine?
Il l'épouse. Ai-je donc attendu ce moment
Pour me venir encor déclarer son amant?
Quel fruit me reviendra d'un aveu téméraire1?
Ah! puisqu'il faut partir, partons sans lui déplaire.
Retirons-nous, sortons; et sans nous découvrir,
Allons loin de ses yeux l'oublier, ou mourir.

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Hé quoi? souffrir toujours un tourment qu'elle ignore?
Toujours verser des pleurs qu'il faut que je dévore?
Quoi? même en la perdant redouter son courroux?
Belle reine, et pourquoi vous offenseriez-vous?
Viens-je vous demander que vous quittiez l'Empire?
Que vous m'aimiez? Hélas! je ne viens que vous dire 40
Qu'après m'être longtemps flatté que mon rival
Trouveroit à ses vœux quelque obstacle fatal,
Aujourd'hui qu'il peut tout, que votre hymen s'avance,
Exemple infortuné d'une longue constance,

1. Var. [Pour me venir encor déclarer son amant?]
Ah! puisqu'il faut partir, partons sans lui déplaire :
Je me suis tu longtemps, je puis encor me taire. (1671-87)

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Après cinq ans d'amour et d'espoir superflus,
Je pars, fidèle encor quand je n'espère plus.
Au lieu de s'offenser, elle pourra me plaindre1.
Quoi qu'il en soit, parlons: c'est assez nous contraindre.
Et que peut craindre, hélas ! un amant sans espoir
Qui peut bien se résoudre à ne la jamais voir?

SCÈNE III.

ANTIOCHUS, ARSACE.

ANTIOCHUS.

Arsace, entrerons-nous?

ARSACE.

Seigneur, j'ai vu la Reine';

Mais pour me faire voir, je n'ai percé qu'à peine
Les flots toujours nouveaux d'un peuple adorateur
Qu'attire sur ses pas sa prochaine grandeur.
Titus, après huit jours d'une retraite austère3,
Cesse enfin de pleurer Vespasien son père.
Cet amant se redonne aux soins de son amour;
Et si j'en crois, Seigneur, l'entretien de la cour,
Peut-être avant la nuit l'heureuse Bérénice
Change le nom de reine au nom d'impératrice.

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Hélas!

ANTIOCHUS.

ARSACE.

Quoi? ce discours pourroit-il vous troubler?

1. Var. Non, loin de s'offenser, elle pourra me plaindre. (1671) 2. Var. Hé bien, entrerons-nous? ARS. Seigneur, j'ai vu la Reine. (1671) 3. On passoit dans le deuil sept jours, pendant lesquels on rendoit des honneurs à l'image de l'empereur mort; et le sénat en robes de deuil étoit au côté droit de son lit. Le huitième jour se célébroit la cérémonie de l'apotheose, que décrit Hérodicn, livre IV. (Louis Racine, dans ses Remarques sur Bereniee.)

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