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BÉRÉNICE.

Cette prompte retraite

Me laisse, je l'avoue, une douleur secrète.

PHÉNICE.

Je l'aurois retenu.

BÉRÉNICE.

Qui? moi? le retenir?

J'en dois perdre plutôt jusques au souvenir.
Tu veux donc que je flatte une ardeur insensée?

PHÉNICE.

Titus n'a point encore expliqué sa pensée.
Rome vous voit, Madame, avec des yeux jaloux;
La rigueur de ses lois m'épouvante pour vous.
L'hymen chez les Romains n'admet qu'une Romaine ;
Rome hait tous les rois, et Bérénice est reine.

BÉRÉNICE.

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Le temps n'est plus, Phénice, où je pouvois trembler.
Titus m'aime; il peut tout : il n'a plus qu'à parler.
Il verra le sénat m'apporter ses hommages,
Et le peuple de fleurs couronner ses images'.

De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur?
Tes yeux ne sont-ils pas tous pleins de sa grandeur?
Ces flambeaux, ce bùcher, cette nuit enflammée',
Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée,
Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,
Qui tous de mon amant empruntoient leur éclat;
Cette pourpre, cet or, que rehaussoit sa gloire,
Et ces lauriers encor témoins de sa victoire;

1. Var. Tu verras le sénat m'apporter ses hommages,

Et le peuple de fleurs couronner nos images. (1671)

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2. Toutes les éditions imprimées du vivant de l'auteur ont ici : tous pleins, et non tout pleins.

3. Dans ces vers le poëte a rassemblé toutes les cérémonies de ces apothéoses que nous a décrites Hérodien. (Louis Racine, dans ses Remarques sur Bérénice.)

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Tous ces yeux qu'on voyoit venir de toutes parts
Confondre sur lui seul leurs avides regards;
Ce port majestueux, cette douce présence.
Ciel! avec quel respect et quelle complaisance
Tous les cœurs en secret l'assuroient de leur foi!
Parle : peut-on le voir sans penser comme moi
Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître, 315
Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître??
Mais, Phénice, où m'emporte un souvenir charmant?
Cependant Rome entière, en ce même moment,
Fait des vœux pour Titus, et par des sacrifices
De son règne naissant célèbre les prémices.
Que tardons-nous? Allons, pour son empire heureux,
Au ciel, qui le protége, offrir aussi nos vœux'.
Aussitôt, sans l'attendre et sans être attendue,
Je reviens le chercher, et dans cette entrevue
Dire tout ce qu'aux cœurs l'un de l'autre contents
Inspirent des transports retenus si longtemps.

1. Var. Dieux! avec quel respect et quelle complaisance. (1671)

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2. Ces vers furent appliqués à Louis XIV. (Louis Racine, dans ses Remarques sur Bérénice.) Voltaire fait la même remarque.

3. Var. De son règne naissant consacre les prémices.

Je prétends quelque part à des souhaits si doux.

Phénice, allons nous joindre aux vœux qu'on fait pour nous. (1671-87) Ce changement a été commandé par le scrupule dont nous avons parlé à la variante du vers 145. Bérénice ne pouvait se joindre aux vœux que Rome faisait dans ses temples. On comprend aussi pourquoi Racine a condamné le mot consacre. L'édition de 1736 et celles de Geoffroy et de M. Aimé-Martin l'ont à tort rétabli dans le texte.

FIN DU PREMIER АСТЕ.

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

TITUS, PAULIN, SUITE.

TITUS.

A-t-on vu de ma part le roi de Comagène?

Sait-il que je l'attends?

PAULIN.

J'ai couru chez la Reine.

Dans son appartement ce prince avoit paru;

Il en étoit sorti lorsque j'y suis couru.

De vos ordres, Seigneur, j'ai dit qu'on l'avertisse1.

TITUS.

Il suffit. Et que fait la reine Bérénice?

PAULIN.

La Reine, en ce moment, sensible à vos bontés,
Charge le ciel de vœux pour vos prospérités.

Elle sortoit, Seigneur.

Hélas!

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1. On a relevé comme une faute le présent du subjonctif avertisse après un temps passé. Racine a dit de même dans Britannicus (vers 132):

Dont César a voulu que vous soyez instruite,

phrase dont la Harpe excuse l'apparente irrégularité, en faisant observer qu'il s'agit d'une action présente : « César a voulu que vous soyez instruite au moment où je parle. » Ici le présent se justifie par la même raison.

PAULIN.

En sa faveur d'où naît cette tristesse?

L'Orient presque entier va fléchir sous sa loi :
Vous la plaignez?

TITUS.

Paulin, qu'on vous laisse avec moi.

SCÈNE II.

TITUS, PAULIN.

TITUS.

Hé bien! de mes desseins Rome encore incertaine
Attend que deviendra le destin de la Reine,
Paulin; et les secrets de son cœur et du mien
Sont de tout l'univers devenus l'entretien.

Voici le temps enfin qu'il faut que je m'explique.
De la Reine et de moi que dit la voix publique?
Parlez qu'entendez-vous ?

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PAULIN.

J'entends de tous côtés 345

Publier vos vertus, Seigneur, et ses beautés.

TITUS.

Que dit-on des soupirs que je pousse pour elle?
Quel succès attend-on d'un amour si fidèle1?

PAULIN.

Vous
pouvez tout aimez, cessez d'être amoureux,
La cour sera toujours du parti de vos vœux.

TITUS.

Et je l'ai vue aussi cette cour peu sincère,
A ses maîtres toujours trop soigneuse de plaire,
Des crimes de Néron approuver les horreurs;

1. Var. Quel succès attend-on d'une amour si fidèle? (1671)

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Je l'ai vue à genoux consacrer ses fureurs.
Je ne prends point pour juge une cour idolâtre,
Paulin je me propose un plus noble théâtre1;
Et sans prêter l'oreille à la voix des flatteurs,
Je veux par votre bouche entendre tous les cœurs.
Vous me l'avez promis. Le respect et la crainte
Ferment autour de moi le passage à la plainte;
Pour mieux voir, cher Paulin, et pour entendre mieux,
Je vous ai demandé des oreilles, des yeux;

J'ai mis même à ce prix mon amitié secrète :
J'ai voulu que des cœurs vous fussiez l'interprète;
Qu'au travers des flatteurs votre sincérité
Fit toujours jusqu'à moi passer la vérité.
Parlez donc. Que faut-il que Bérénice espère?
Rome lui sera-t-elle indulgente ou sévère?
Dois-je croire qu'assise au trône des Césars,
Une si belle reine offensât ses regards?

PAULIN.

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N'en doutez point, Seigneur : soit raison, soit caprice',
Rome ne l'attend point pour son impératrice.
On sait qu'elle est charmante; et de si belles mains'
Semblent vous demander l'empire des humains.
Elle a même, dit-on, le cœur d'une Romaine;
Elle a mille vertus. Mais, Seigneur, elle est reine.
Rome, par une loi qui ne se peut changer,
N'admet avec son sang aucun sang étranger,
Et ne reconnoît point les fruits illégitimes

Qui naissent d'un hymen contraire à ses maximes. 380

1. Var. Paulin : je me propose un plus ample théâtre. (1671-87) 2. Var. N'en doutez point, Seigneur : soit raison, ou caprice. (1671-87) 3. On fut persuadé dans le temps que quelque raison particulière avoit engagé l'auteur à se servir de cette expression. (Louis Racine, dans ses Remarques sur Bérénice. Louis Racine ne nous dit point à quelles belles mains on crut que le poëte avait voulu faire allusion. C'était probablement à celles de la princesse qui avait indiqué le sujet de la pièce.

4. On peut comparer dans le Nicomède de Corneille (acte I, scène II, vers

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