Bientôt de son erreur sera désabusée. 390 Car enfin Bajazet ne sait point se cacher : Je connois sa vertu prompte à s'effaroucher. Il faut qu'à tous moments, tremblante et secourable, 395 400 405 410 Ah! dans quels soins, Madame, allez-vous vous plonger? Venez en d'autres lieux enfermer vos regrets, 415 ATALIDE. Hé bien! Zaïre, allons. Et toi, si ta justice 1. Var. Mais, Zaïre, je puis attendre son passage. (1672) 2. L'erreur où la destinée l'entraîne. Fatale est employé ici dans le sens de son étymologie. Comparez plus haut, vers 239; et plus bas, vers 421. J. RACINE. II 32 De deux jeunes amants veut punir l'artifice, FIN DU PREMIER ACTE. 420 ACTE II. SCÈNE PREMIÈRE. BAJAZET, ROXANE. ROXANE. Prince, l'heure fatale est enfin arrivée Le Visir Acomat vous répond de Bysance; Et moi, vous le savez, je tiens sous ma puissance Peuple que dans ses murs renferme ce palais, 425 430 435 1. Ricaut, dans son Histoire de l'état présent de l'Empire ottoman (p. 64), parle ainsi des muets : « Il y a outre les pages, une autre espèce de serviteurs domestiques à la cour des princes ottomans, que l'on nomme Bizchami ou muets, et qui sont naturellement sourds et par conséquent muets. » Les muets étaient les exécuteurs ordinaires des arrêts de mort dans le Serrail, Gabriel Bounyn, dans sa tragédie de la Soltane, a introduit des muets par lesquels le Soltan (Soliman) fait étrangler son fils Mustapha. 440 M'ont vendu dès longtemps leur silence et leurs vies. Que quand je vous servois, je servois mon époux2; Et par le nœud sacré d'un heureux hyménée Justifiez la foi que je vous ai donnée. BAJAZET. Ah! que proposez-vous, Madame? ROXANE. 450 Hé quoi, Seigneur? Quel obstacle secret trouble notre bonheur? ᏴᎪᎫᎪᏃᎬᎢ . Madame, ignorez-vous que l'orgueil de l'Empire........ ROXANE. Oui, je sais que depuis qu'un de vos empereurs, 455 De l'honneur ottoman ses successeurs jaloux Ont daigné rarement prendre le nom d'époux'. 460 1. M. Aimé-Martin a mis le pluriel : « de tous temps. » 2. Var. Que quand je vous servois, j'ai servi mon époux. (1672) 3. A propos des noces de Soliman [er et de Roxelane, du Verdier s'exprime ainsi : « Ces noces se firent avec un étonnement général; car la coutume des Ottomans était de n'avoir que des concubines et ne point épouser des femmes, pour éviter l'ignominic que Tamerlan fit souffrir à la femme de Bajazet. (Abrégé de l'Histoire des Turcs, tome II, p. 575.) Le Bajazet dont il est ques 39 Mais l'amour ne suit point ces lois imaginaires; 465 Sans qu'elle eût d'autres droits au rang d'impératrice Qu'un peu d'attraits peut-être, et beaucoup d'artifice. 470 BAJAZET. Il est vrai. Mais aussi voyez ce que je puis, Rhodes, des Ottomans ce redoutable écueil, 475 tion ici est Bajazet (Ilderim ou Gulderum, c'est-à-dire Foudre) Ier du nom, cinquième empereur des Turcs, vaincu et fait prisonnier par Tamerlan en 1402. Baudier, dans son Histoire générale du Serrail, p. 51, dit aussi : « La loi qui fut établie dans le conseil du prince, ordonnant que les Sultans n'épouseroient point de femmes, prit naissance du règne de Bajazet Ior, lequel ayant épousé une femme de la maison des Paléologues, empereurs de Constantinople, la vit par le désastre de la guerre captive avec soi entre les mains de Tamerlanes, empereur des Tartares, et traitée avec tant de mépris, qu'un jour ce Scythe les faisant manger tous deux à sa table, commanda à cette princesse de se lever et aller au buffet prendre sa coupe pour lui verser à boire. » — Desmares, dans sa tragi-comédie de Roxelane (acte I, scène 11), avait, avant Racine, rappelé cette tradition historique sur Bajazet Ier: Ce prince malheureux, que la scythique rage 1. Soliman Ier (le Magnifique), qui régna si glorieusement de 1520 à 1566. |