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Seigneur, je sais trop bien avec quelle constance
Vous allez de la mort affronter la présence;
Je sais que votre cœur se fait quelques plaisirs
De me prouver sa foi dans ses derniers soupirs.
Mais, hélas! épargnez une àme plus timide :
Mesurez vos malheurs aux forces d'Atalide;
Et ne m'exposez point aux plus vives douleurs
Qui jamais d'une amante épuisèrent les pleurs.

BAJAZET.

Et que deviendrez-vous, si dès cette journée
Je célèbre à vos yeux ce funeste hyménée ?

ATALIDE.

Ne vous informez point ce que je deviendrai.
Peut-être à mon destin, Seigneur, j'obéirai.

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Que sais-je? A ma douleur je chercherai des charmes1.
Je songerai peut-être, au milieu de mes larmes,
Qu'à vous perdre pour moi vous étiez résolu,
Que vous vivez, qu'enfin c'est moi qui l'ai voulu.

BAJAZET.

Non, vous ne verrez point cette fête cruelle.
Plus vous me commandez de vous être infidèle,
Madame, plus je vois combien vous méritez
De ne point obtenir ce que vous souhaitez.

Quoi? cet amour si tendre, et né dans notre enfance,
Dont les feux avec nous ont crù dans le silence,
Vos larmes que ma main pouvoit seule arrêter,
Mes serments redoublés de ne vous point quitter,
Tout cela finiroit par une perfidie?

J'épouserois, et qui (s'il faut que je le die)?
Une esclave attachée à ses seuls intérêts,

1. Corneille a employé le mot charmes au même sens :
Et contre ma douleur j'aurois senti des charmes,
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes.

(Le Cid, acte III, scène Iv, vers 921 et 922.)

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Qui présente à mes yeux les supplices tout prêts1,
Qui m'offre ou son hymen, ou la mort infaillible;
Tandis qu'à mes périls Atalide sensible,

Et trop digne du sang qui lui donna le jour,
Veut me sacrifier jusques à son amour.
Ah! qu'au jaloux Sultan ma tête soit portée,
Puisqu'il faut à ce prix qu'elle soit rachetée !

ATALIDE.

Seigneur, vous pourriez vivre, et ne me point trahir.

BAJAZET.

Parlez. Si je le puis, je suis prêt d'obéir.

ATALIDE.

La Sultane vous aime; et malgré sa colère,

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Si vous preniez, Seigneur, plus de soin de lui plaire, 730 Si vos soupirs daignoient lui faire pressentir

Qu'un jour....

BAJAZET.

Je vous entends: je n'y puis consentir.

Ne vous figurez point que dans cette journée,
D'un lâche désespoir ma vertu consternée

Craigne les soins d'un trône où je pourrois monter, 735
Et par un prompt trépas cherche à les éviter.

J'écoute trop peut-être une imprudente audace;
Mais sans cesse occupé des grands noms de ma race,
J'espérois que fuyant un indigne repos,

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Je prendrois quelque place entre tant de héros.
Mais quelque ambition, quelque amour qui me brûle,

Je ne puis plus tromper une amante crédule.

En vain, pour me sauver, je vous l'aurois promis :

lit:

1. Dans les éditions de 1807, de 1808 et dans celle de M. Aimé-Martin on

et

le

Qui présente à mes yeux des supplices tout prêts;

vers, tel

que nous le trouvons dans toutes les anciennes éditions, est donné par M. Aimé-Martin comme une variante.

J. RACINE. II

33

Et ma bouche et mes yeux, du mensonge ennemis,
Peut-être dans le temps que je voudrois lui plaire,
Feroient par leur désordre un effet tout contraire;
Et de mes froids soupirs ses regards offenses
Verroient trop que mon cœur ne les a point poussés.
O ciel! combien de fois je l'aurois éclaircie,
Si je n'eusse à sa haine exposé que ma vie,
Si je n'avois pas craint que ses soupçons jaloux
N'eussent trop aisément remonté jusqu'à vous!
Et j'irois l'abuser d'une fausse promesse?
Je me parjurerois? Et par cette bassesse....
Ah! loin de m'ordonner cet indigne détour,
Si votre cœur étoit moins plein de son amour,
Je vous verrois sans doute en rougir la première.
Mais pour vous épargner une injuste prière,
Adieu je vais trouver Roxane de ce pas,

:

Et je vous quitte.

ATALIDE.

Et moi, je ne vous quitte pas.

Venez, cruel, venez, je vais vous y conduire;

Et de tous nos secrets c'est moi qui veux l'instruire.
Puisque, malgré mes pleurs, mon amant furieux
Se fait tant de plaisir d'expirer à mes yeux,

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Roxane, malgré vous, nous joindra l'un et l'autre. 765 Elle aura plus de soif de mon sang que du vôtre;

Et je pourrai donner à vos yeux effrayés

Le spectacle sanglant que vous me prépariez.

O ciel! que faites-vous?

BAJAZET.

ATALIDE.

Cruel! pouvez-vous croire Que je sois moins que vous jalouse de ma gloire? Pensez-vous que cent fois en vous faisant parler Ma rougeur ne fût pas prête à me déceler?

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Mais on me présentoit votre perte prochaine.

Pourquoi faut-il, ingrat, quand la mienne est certaine,
Que vous n'osiez pour moi ce que j'osois pour vous? 775
Peut-être il suffira d'un mot un peu plus doux;
Roxane dans son cœur peut-être vous pardonne.
Vous-même, vous voyez le temps qu'elle vous donne.
A-t-elle, en vous quittant, fait sortir le Visir?
Des gardes à mes yeux viennent-ils vous saisir?
Enfin, dans sa fureur implorant mon adresse,
Ses pleurs ne m'ont-ils pas découvert sa tendresse ?
Peut-être elle n'attend qu'un espoir incertain
Qui lui fasse tomber les armes de la main.

Allez, Seigneur sauvez votre vie et la mienne1.

ᏴᎪᎫᎪᏃᎬᎢ .

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Hé bien! Mais quels discours faut-il que je lui tienne?

ATALIDE.

Ah! daignez sur ce choix ne me point consulter.
L'occasion, le ciel pourra vous les dicter.

Allez entre elle et vous je ne dois pointparoître :
Votre trouble ou le mien nous feroient reconnoître. 790
Allez, encore un coup, je n'ose m'y trouver.
Dites.... tout ce qu'il faut, Seigneur, pour vous sauver.

1.Var. Allez, Seigneur : tentez cette dernière voie.

BAJ. Hé bien! Mais quels discours voulez-vous que j'emploie? (1672)

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.

ATALIDE, ZAÏRE.

ATALIDE.

Zaïre, il est donc vrai? sa grâce est prononcée.

ᏃᎪᎥᎡᎬ .

Je vous l'ai dit, Madame : une esclave empressée,
Qui couroit de Roxane accomplir le desir,

Aux portes du Serrail a reçu le Visir.

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Ils ne m'ont point parlé; mais mieux qu'aucun langage,
Le transport du Visir marquoit sur son visage
Qu'un heureux changement le rappelle au Palais,
Et qu'il y vient signer une éternelle paix.

Roxane a pris sans doute une plus douce voie.

ATALIDE.

Ainsi de toutes parts les plaisirs et la joie
M'abandonnent, Zaïre, et marchent sur leurs pas.
J'ai fait ce que j'ai dù : je ne m'en repens pas.

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Quoi, Madame? Quelle est cette nouvelle alarme ?

ATALIDE.

Et ne t'a-t-on point dit, Zaïre, par quel charme,
Ou, pour mieux dire enfin, par quel engagement
Bajazet a pu faire un si prompt changement?
Roxane en sa fureur paroissoit inflexible.
A-t-elle de son cœur quelque gage infaillible?
Parle. L'épouse-t-il?

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