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Je perdrois ma vengeance1 en la rendant si prompte 2.
Je vais tout préparer. Vous cependant allez
Disperser promptement vos amis assemblés.

SCÈNE VII.

ACOMAT, OSMIN.

ACOMAT.

Demeure. Il n'est pas temps, cher Osmin, que je sorte.

OSMIN.

Quoi? jusque-là, Seigneur, votre amour vous transporte?
N'avez-vous pas poussé la vengeance assez loin?
Voulez-vous de sa mort être encor le témoin?

ACOMAT.

1370

Que veux-tu dire? Es-tu toi-même si crédule
Que de me soupçonner d'un courroux ridicule?
Moi, jaloux? Plut au ciel qu'en me manquant de foi,
L'imprudent Bajazet n'eut offensé que moi!

OSMIN.

Et pourquoi donc, Seigneur, au lieu de le défendre....

ACOMAT.

Et la Sultane est-elle en état de m'entendre?

Ne voyois-tu pas bien, quand je l'allois trouver, 1375 Que j'allois avec lui me perdre, ou me sauver?

Ah! de tant de conseils événement sinistre !

1. La même expression se trouve dans Andromaque (acte IV, scène iv, vers 1269):

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Ma vengeance est perdue,

S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue.

2. L'orthographe de ce mot est pronte dans les deux premières éditions (1672 et 1676), promte dans celles de 1687 et de 1697. Ailleurs, dans ces deux dernières éditions, il est presque toujours écrit avec mpt, et dans les

autres avec mt.

Prince aveugle! ou plutôt trop aveugle ministre !
Il te sied bien d'avoir en de si jeunes mains,
Chargé d'ans et d'honneurs, confié tes desseins,
Et laissé d'un Visir la fortune flottante
Suivre de ces amants la conduite imprudente.

OSMIN.

Hé! laissez-les entre eux exercer leur courroux.
Bajazet veut périr; Seigneur, songez à vous.
Qui peut de vos desseins révéler le mystère,
Sinon quelques amis engagés à se taire?
Vous verrez par sa mort le Sultan adouci.

ACOMAT.

Roxane en sa fureur peut raisonner ainsi.
Mais moi, qui vois plus loin, qui par un long usage,
Des maximes du trône ai fait l'apprentissage,
Qui d'emplois en emplois vieilli sous trois Sultaus,
Ai vu de mes pareils les malheurs éclatants,
Je sais, sans me flatter, que de sa seule audace
Un homme tel que moi doit attendre sa grâce,
Et qu'une mort sanglante est l'unique traité
Qui reste entre l'esclave et le maître irrité.

OSMIN.

1380

1385

1390

1395

Fuyez donc.

ACOMAT.

J'approuvois tantôt cette pensée.
Mon entreprise alors étoit moins avancée.
Mais il m'est désormais trop dur de reculer.
Par une belle chute il faut me signaler,
Et laisser un débris du moins après ma fuite,
Qui de mes ennemis retarde la poursuite.
Bajazet vit encor: pourquoi nous étonner?
Acomat de plus loin a su le ramener.

1400

Sauvons-le, malgré lui, de ce péril extrême,

1405

Pour nous, pour nos amis, pour Roxane elle-même.

Tu vois combien son cœur, prêt à le protéger,
A retenu mon bras trop prompt à la venger.
Je connois peu l'amour; mais j'ose te répondre
Qu'il n'est pas condamné, puisqu'on le veut confondre';
Que nous avons du temps. Malgré son désespoir,
Roxane l'aime encore, Osmin, et le va voir.

OSMIN.

Enfin que vous inspire une si noble audace?
Si Roxane l'ordonne, il faut quitter la place.
Ce palais est tout plein....

ACOMAT.

Oui, d'esclaves obscurs, 1415 Nourris loin de la guerre, à l'ombre de ses murs; Mais toi dont la valeur, d'Amurat oubliée, Par de communs chagrins à mon sort s'est liée, Voudras-tu jusqu'au bout seconder mes fureurs?

OSMIN.

Seigneur, vous m'offensez. Si vous mourez, je meurs❜.

ACOMAT.

D'amis et de soldats une troupe hardie
Aux portes du Palais attend notre sortie.

La Sultane d'ailleurs se fie à mes discours.

Nourri dans le Serrail, j'en connois les détours;
Je sais de Bajazet l'ordinaire demeure.

Ne tardons plus, marchons. Et s'il faut que je meure,
Mourons: moi, cher Osmin, comme un Visir; et toi,
Comme le favori d'un homme tel que moi.

1495

1. Var. Qu'il n'est pas condamné, puisqu'on veut le confondre. (1672-87) 2. Dans le Polyeucte de Corneille (acte V, scène III, vers 1681), Pauline dit à Polyeucte:

Je te suivrai partout, et mourrai si tu meurs.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE V.

SCENE PREMIÈRE.

ATALIDE, seule.

1430

1435

Hélas! je cherche en vain : rien ne s'offre à ma vue.
Malheureuse! Comment puis-je l'avoir perdue?
Ciel, aurois-tu permis que mon funeste amour
Exposât mon amant tant de fois en un jour ?
Que pour dernier malheur, cette lettre fatale
Fût encor parvenue aux yeux de ma rivale?
J'étois en ce lieu même ; et ma timide main,
Quand Roxane a paru, l'a cachée en mon sein.
Sa présence a surpris mon âme désolée;
Ses menaces, sa voix, un ordre m'a troublée.
J'ai senti défaillir ma force et mes esprits :
Ses femmes m'entouroient quand je les ai repris; 1440
A mes yeux étonnés leur troupe est disparue.
Ah! trop cruelles mains, qui m'avez secourue,
Vous m'avez vendu cher vos secours inhumains;
Et
vous cette lettre a passé dans ses mains.
Quels desseins maintenant occupent sa pensée?
Sur qui sera d'abord sa vengeance exercée?
Quel sang pourra suffire à son ressentiment?
Ah! Bajazet est mort, ou meurt en ce moment.
Cependant on m'arrête, on me tient enfermée.
On ouvre de son sort je vais être informée.

par

1445

1450

J. RACINE. II

35

SCENE II.

ROXANE, ATALIDE, ZATIME1.

ROXANE 2.

Retirez-vous.

ATALIDE.

Madame.... Excusez l'embarras....

ROXANE.

Retirez-vous, vous dis-je, et ne répliquez pas.
Gardes, qu'on la retienne.

SCÈNE III.

ROXANE, ZATIME.

ROXANE.

Oui, tout est prêt, Zatime:

Orcan et les muets attendent leur victime.

Je suis pourtant toujours maîtresse de son sort.
Je puis le retenir. Mais s'il sort, il est mort'.
Vient-il?

1455

1. Dans les éditions de 1736, de 1807, de 1808 et dans celle de M. AiméMartin :

: « ROXANE, ATALIDE, ZATIME, GARDES. »

2. Les éditions de 1736, de 1807, de 1808 et celle de M. Aimé-Martin ont l'indication: « ROXANE, à Atalide. »

3. Félix, dans Polyeucte (acte V, scène 1, vers 1489 et 1490), prononce une semblable menace contre Polyeucte:

S'il demeure insensible à ce dernier effort,

Au sortir de ce lieu qu'on lui donne la mort.

Inspirée par une passion toute différente, la parole de Félix devait être trèsinférieure en énergique précision à celle de Roxane, qui prépare si bien le terrible Sortez, par lequel va se terminer la scène iv de l'acte V, et auquel correspondent, avec un bien moindre effet, comme cela s'explique sans peine, ces

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