PYRRHUS. Tu l'as vu, comme elle m'a traité. Je pensois, en voyant sa tendresse alarmée, 645 650 « C'est Hector, disoit-elle en l'embrassant toujours; PHOENIX. Sans doute. C'est le prix que vous gardoit l'ingrate. 1. Sic oculos, sic ille manus, sic ora ferebat. (Virgile, Énéide, livre III, vers 490.) 655 Ce vers a pu s'offrir d'autant plus naturellement à l'imitation de Racine, que Virgile le met dans la bouche d'Andromaque. Il y a aussi un passage semblable dans les Troyennes de Sénèque (vers 462 et 465-468) : O nate, magni certa progenies patris,... Sic celsus humeris, fronte sic torva minax. 2. On rapporte que Quinault Dufresne imitait la voix d'une femme en prononçant ces paroles : « C'est Hector, disoit-elle, etc.; et que reprenant ensuite une voix plus mâle, il continuait avec fierté : Et quelle est sa pensée? Attend-elle en ce jour.... Ce contraste hardi produisait, ajoute-t-on, le plus grand effet, grâce au talent de l'acteur. « Mais, disent les éditeurs du Racine de 1807, il nous est impossible de nous figurer par quel effort un acteur aurait pu faire supporter dans Pyrrhus ce qu'on passe tout au plus à Sosie. » Sans révoquer en doute le témoignage de ceux qui avaient entendu Dufresne, il faut convenir que le comédien devait avoir besoin, pour réussir, d'un art bien discret. PYRRHUS. Je vois ce qui la flatte. Sa beauté la rassure; et malgré mon courroux, PHOENIX. Commencez donc, Seigneur, à ne m'en parler plus1. PYRRHUS. Crois-tu, si je l'épouse, 660 665 Qu'Andromaque en son cœur n'en sera pas jalouse?? 670 1. Racine, qui avait longtemps fait ses délices des poésies d'Ovide, a peutêtre ici mis à profit le souvenir de ces vers du poëte latin (Remedia amoris, vers 647 et 648), que Louis Racine rappelle à propos en cet endroit : Et malim taceas, quam te desisse loquaris. Qui nimium multis : « Non amo » dicit, amat. 2. Var. Qu'Andromaque en secret n'en sera pas jalouse? (1668-76) << M. Despréaux, dit le Bolæana (p. 59), frondoit cette scène où M. Racine fait dire par Pyrrhus à son confident : Crois-tu, si je l'épouse, Qu'Andromaque en son cœur n'en sera pas jalouse? Sentiment puéril qui revient à celui de Perse (Satire V, vers 168): Censen' plorabit, Dave, relicta? » Brossette atteste aussi ce jugement sévère de Boileau, qui avait remarqué, dit-il, que les spectateurs ne manquaient jamais de sourire en cet endroit. L'abbé du Bos (Reflexions critiques, 1e partie, section XVII) va plus loin, trop loin sans doute. Il dit qu'à la représentation de cette scène « le parterre rit presque aussi haut qu'à une scène de comédie.» Racine, que ce soit un sujet de reproche ou de louange, paraît certainement ici l'émule de Térence. Jean-Baptiste Rousseau écrivait à Brossette « qu'il avait toujours condamné cette scène en l'admirant, parce que, quelque belle qu'elle soit, elle est plutôt dans le genre comique ennobli que dans le genre tragique. » PHOENIX. Quoi? toujours Andromaque occupe votre esprit? PYRRHUS. Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire : PHOENIX. Allez, Seigneur, vous jeter à ses pieds. PYRRHUS. Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser Vous aimez : c'est assez. PHOENIX. PYRRHUS. 675 680 690 Moi l'aimer? une ingrate 685 Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte? Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi, Je puis perdre son fils; peut-être je le doi. Étrangère.... que dis-je ? esclave dans l'Épire, Je lui donne son fils, mon âme, mon empire; Et je ne puis gagner dans son perfide cœur D'autre rang que celui de son persécuteur? Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine : Il faut bien une fois justifier sa haine. J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler! De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler! 695 Quel spectacle pour elle aujourd'hui se dispose! PHOENIX. Et pourquoi donc en faire éclater le dessein? PYRRHUS. Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse. PHOENIX. Oui, voyez-la, Seigneur, et par des vœux soumis PYRRHUS. Faisons tout ce que j'ai promis. ༡༠༠ ༡༠5 FIN DU SECOND ACTE. ACTE III. SCÈNE PREMIÈRE. ORESTE, PYLADE. PYLADE. Modérez donc, Seigneur, cette fureur extrême. Je ne vous connois plus : vous n'êtes plus vous-même. 710 Souffrez.... ORESTE. Non, tes conseils ne sont plus de saison, Pylade, je suis las d'écouter la raison. C'est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice : Oui, je le veux. PYLADE. Hé bien, il la faut enlever : J'y consens. Mais songez cependant où vous êtes. 1. Var. Faites taire, Seigneur, ce transport inquiet. (1668-76) 715 720 2. Var. Tout dépend de Pyrrhus, et surtout d'Hermione (a). (1668 et 73) (a) M. Aimé-Martin a reçu dans son texte cette ancienne leçon, qui se lit aussi dans les éditions de 1736, de 1768 et de 1807, et que Geoffroy déclare une faute grossière. |