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Le 29 décembre, à 10 heures du matin, la fluorescéine apparaissait à la source de l'Orbe.

Durée du trajet vingt-deux heures pour un parcours de 3 kilomètres, soit sept heures vingt minutes par kilomètre.

II. Entonnoir de Rocheray, situé au bord du lac de Joux. Distance de l'entonnoir à la source: 11 kilomètres. Débit moyen Om5,400 par seconde.

Expérience sans manœuvre de vannes.

Le 6 janvier 1894, à 11 heures du matin, il y fut versé 17 litres de fluorescéine à 53 %.

Le 18 janvier, à 4 heures après-midi, la fluorescéine apparaissait à la source.

Durée du trajet douze jours et cinq heures, soit deux cent quatrevingt-treize heures, c'est-à-dire vingt-six heures trente-six minutes par kilomètre.

Remarque. Les conditions de cheminement souterrain étant identiques pour les deux entonnoirs, il y a, malgré cela, une grande différence dans la durée du trajet kilométrique. Cela s'explique probablement par la masse d'eau en circulation.

Notre première expérience représente le cas de la circulation de l'eau lors d'une grande crue par abondantes pluies d'été ou par rapide fonte de neiges, qui sont les deux cas extrêmes de cette région.

Lorsque dans l'entonnoir de Bonport on verse de la fluorescéine sans ouvrir les vannes et par un temps d'écoulement normal de l'eau, la durée du trajet de 3 kilomètres est de cinquante heures, soit seize heures quarante minutes par kilomètre, ce qui cependant est très différent des vingt-six heures trente-six minutes de l'expérience de Rocheray.

Dans les deux cas, la coloration de l'eau à la source a duré dix-huit heures.

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Écoulement de la fluoresceine dans la rivière de l'Orbe. Il était intéressant de mesurer l'écoulement de la coloration dans la rivière de l'Orbe le long de son trajet à l'air libre.

Pour cela, les observations de la coloration furent établies à l'embouchure de l'Orbe dans le lac de Neuchâtel, à la petite ville d'Yverdon. Le trajet kilométrique de la source de l'Orbe jusqu'à Yverdon est de 25 kilomètres. Le débit de l'Orbe à la source est de 4 mètres cubes; il est un peu augmenté jusqu'à Yverdon par de petits affluents.

Le trajet de ces 23 kilomètres s'est accompli en vingt-cinq heures, soit un peu plus de une heure par kilomètre.

Nous reproduisons ici en annexe le texte d'une communication intitulée Le lac de l'Orbe souterraine, faite par M. le Prof F.-A. Forel, le 7 décembre 1898, à la Société vaudoise des Sciences naturelles (t. XXXIV, pp. VII-VIII), et qui fournit des données complémentaires sur les expériences de 1895 relatées ci-dessus et faites en commun par MM. Forel et Golliez.

LE LAC DE L'ORBE SOUTERRAINE

PAR

F.-A. FOREL (1)

M. F.-A. FOREL étudie l'écoulement des eaux des lacs de Joux dans l'Orbe de Vallorbes. Il se base sur les faits suivants, résultant en partie des expériences faites en 1893 par M. le Prof H. GOLLIEZ et lui-même (Bull., XXX, XIV et XVII, Lausanne, 1894).

1° Le 28 décembre 1893, à 12 heures, les vannes de l'entonnoir de Bonport au lac Brenet, jusqu'alors entièrement fermées, furent ouvertes et versèrent dans l'entonnoir une quantité d'eau que des expériences précédentes de M. l'ingénieur Ch. Guiguer-de Prangins font évaluer à environ Om3,8 par seconde. Cette masse d'eau s'écoulant par les fissures de la montagne, arriva dans le cours de l'Orbe souterraine et y détermina une crue.

2o M. Forel avait établi sur le cours de l'Orbe, vis-à-vis des usines de la Dernier, à 500 mètres en aval de la source, un limnographe enregistreur qui inscrivit cette crue. Celle-ci commença à 1 h. 30, atteignit rapidement une valeur de 5 centimètres à 3 h. 20, et continua ensuite lentement, pour atteindre une valeur totale de 6 centimètres à 7 heures du soir.

3o La lenteur du développement de la crue, qui n'a atteint son point culminant qu'au bout de cent dix minutes (ou 330 minutes si on la poursuit jusqu'à 7 heures), s'explique par l'hypothèse d'un lac souterrain venant aboutir à la source de l'Orbe. L'eau, partie à midi des entonnoirs de Bonport, aura circulé dans des canaux à l'état d'eau courante jusqu'à 1 h. 30, moment où elle a atteint la tête du lac souterrain. Alors a commencé la crue du lac, qui s'est traduite par le plus grand débit de la source

(1) C'est M. le Profr F.-A. Forel qui a bien voulu envoyer, comme contribution à la discussion engagée à la Société, cet intéressant document, qui constitue un précieux complément d'information à la Notice envoyée par M. le Prof Golliez.

de l'Orbe. Ce débit exagéré n'a d'abord pas égalé l'apport supplémentaire des eaux venant de Bonport; le niveau du lac souterrain s'est élevé jusqu'à ce que le débit de la source ait été augmenté d'une valeur de 0m3,8 par seconde, et alors seulement la crue est restée stationnaire.

4° L'exploration du scaphandrier Pfund, le 20 octobre 1893, a montré que la source de l'Orbe est le déversoir d'un canal d'eau qui remonte des profondeurs de la montagne. Cet homme est descendu jusqu'à 11 mètres au-dessous de la nappe de déversement de la source, et il a constaté que le canal continuait à descendre. La source de l'Orbe est donc sur la branche ascendante d'un siphon renversé dont l'autre branche aboutit à un lac souterrain. La superficie de ce lac est assez considérable pour que la crue du 28 décembre ait employé au moins cent dix minutes avant d'atteindre sa valeur totale, malgré l'importance du débit supplémentaire de 0m3,8 par seconde versé par l'entonnoir de Bonport.

5o Tandis que la crue de notre lac souterrain commençait déjà à se manifester au bout de nonante minutes, l'eau employait un temps beaucoup plus grand pour arriver à la source de l'Orbe. C'est ce que nous apprend l'expérience. Le même 28 décembre, à 12 h. 10, en même temps qu'on avait ouvert les vannes de Bonport, nous avions versé dans l'entonnoir une quantité de 3,2 de fluorescéine en solution sodique. Les premiers indices de coloration de l'eau ont été reconnus par nous à la source de l'Orbe le 29 décembre, à 10 heures du matin, soit vingt-deux heures après l'opération de Bonport. Ainsi, tandis que l'eau de Bonport arrivait à la tête de notre lac souterrain en nonante minutes, elle n'arrivait à la source qu'au bout de vingt-deux heures. La différence entre ces deux chiffres, soit 1 230 minutes, est le temps qu'avait employé l'eau colorée pour traverser la longueur du lac souterrain.

6o Nous n'avons pas mesuré le débit de la source de l'Orbe le 28-29 décembre 1893. Il était probablement entre 2 et 3 mètres cubes par seconde. Suivant que nous prenons l'un ou l'autre chiffre et que nous le multiplions par 1 230 minutes, nous arrivons à un volume du lac souterrain de 145 000 à 220 000 mètres cubes.

7° Une preuve de l'existence d'un lac souterrain est donnée par l'apparition, sur le tracé de notre appareil enregistreur, d'oscillations rythmiques que nous devons considérer comme des seiches, analogues à celles des lacs ouverts. Il y en a eu le 27 décembre de 2 à 7 heures du soir, environ six oscillations, et le 28 décembre de 8 heures du matin à 2 heures du soir, environ sept oscillations. Elles sont trop irrégulières pour que j'essaie d'en préciser la durée, qui est supérieure à trente minutes et inférieure à soixante minutes.

8° Le lac souterrain qui se termine à la source de l'Orbe n'est probablement pas le seul bassin d'eau interposé sur le cours de l'Orbe souterraine. Dans une seconde expérience, le 6 janvier 1894, nous avions fait verser à

11 heures du matin 4kg,2 de fluorescéine dans l'entonnoir de Rocheray, vers la tête du lac de Joux. La couleur n'a apparu à la source de l'Orbe que le 18 janvier à 4 heures du soir. La très longue durée de ce voyage souterrain de 11 kilomètres qui a employé deux cent nonante-trois heures, ne s'explique que si l'on admet, en amont de notre lac de la source de l'Orbe, une série d'autres bassins étagés sur le cours de l'Orbe souterraine qui s'attarde et y laisse reposer ses eaux.

De ces faits, je conclus que l'Orbe souterraine, la rivière qui recueille le drainage de la vallée de Joux, présente une série de lacs étroits, dont le dernier, de longueur probablement fort grande et de grand volume, aboutit à la source de l'Orbe par la branche ascendante d'un siphon renversé.

M. le capitaine Rabozée, à la prière de M. le Secrétaire général, assez souffrant, résume en séance la note ci-dessous, de M. E.-A. Martel :

SUR

L'EMPLOI DE LA FLUORESCEINE EN HYDROLOGIE

PAR

E.-A. MARTEL

L'application de la fluorescéine à la recherche des relations entre les pertes de rivières et leurs résurgences, imaginée, je crois, en 1877 par Ten Brink, pour démontrer la communication des points d'absorption du Danube à Immendingen (duché de Bade) avec la pseudo-source de l'Aach (tributaire du lac de Constance), a été depuis lors développée par de nombreux expérimentateurs français et étrangers (Ferray, Vincent Doria, Piccard, Forel, Golliez, Agostini, Marinelli, Vallot, Fournier, Magnin, Van den Broeck, Rahir, etc.) en vue d'étudier la vitesse d'écoulement des rivières ou de propagation des nappes d'eau tant souterraines que subaériennes.

L'invention du fluorescope par M. Trillat et son perfectionnement par M. Marboutin ont permis, depuis 1899, d'étendre ce mode d'investigation aux travaux relatifs à l'origine et à la protection des sources ou résurgences qui alimentent la ville de Paris; et les trois volumes déjà publiés (1901, 1902, 1903) par la Commission scientifique de perfectionnement de l'Observatoire municipal de Montsouris

relatent les détails de tous les essais de coloration entrepris, en ces quatre dernières années, dans les bassins alimentaires de l'Avre, de l'Iton, du Loing, du Lunain, de la Laignes, du Loiret, de la Cure, de l'Yonne, de la Vanne, de la Dhuis, etc., par MM. Marboutin, Dienert, Le Couppey de la Forest, Guillerd, etc.

En 1896, j'avais commencé moi-même une longue série de recherches méthodiques sur ce sujet, pour lesquelles, dès 1897, la direction de l'hydraulique agricole de France voulait bien m'accréditer auprès des autorités locales, ingénieurs et agents du service hydraulique. J'ai réalisé jusqu'à présent plus de deux cents expériences (voire même à l'étranger), dont quelques-unes ont été mentionnées aux Comptes rendus de l'Académie des sciences. Ces recherches sont de trois sortes sur les cours d'eau extérieurs, sur les courants souterrains reconnus et accessibles, sur les courants souterrains ignorés ou inaccessibles, de façon à procéder rationnellement du connu à l'inconnu. Je ne me suis pas occupé des nappes phréatiques.

Et l'objet de la présente note est de montrer comment, malgré le grand nombre des essais effectués de toutes parts à l'heure actuelle, il faut considérer la question de la vitesse de transmission de la fluorescéine comme non encore résolue, et comment il y a lieu de mettre tous les praticiens qui s'en occupent en garde contre le danger de conclusions trop hâtives tirées de résultats douteux ou incomplets. Le sujet est à peine ébauché.

Tout en renvoyant à plus tard, à un travail d'ensemble en préparation, la discussion complète et l'enseignement définitif à tirer des expériences à la fluorescéine déjà faites ou restant encore à faire, je crois opportun d'indiquer maintenant, d'après quelques exemples formels, ce que l'on doit considérer comme définitivement acquis ou comme demeurant incertain.

1° La solution de fluorescéine se décolore au soleil en moins de vingt-quatre heures dans les bassins d'eau stagnante.

2o A la lumière du jour, sans soleil, la coloration persiste bien davantage et d'autant plus longtemps qu'elle est plus forte. J'ai pu conserver, en plein air et à l'abri du soleil seulement, une solution au 20 000 000 pendant plus d'une semaine sans décoloration sensible; celle-ci n'est survenue nettement qu'au cours de la deuxième semaine d'observation et a mis plusieurs jours à s'accomplir.

3o Dans l'obscurité complète, telle que la réalisent les cavernes, la conservation paraît indéfinie, au moins dans des tubes de verre et pourvu que la solution originaire soit nettement colorée à l'œil nu.

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