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Le 21 mai 1903, j'ai procédé à Padirac à une complexe recherche en plusieurs parties, que j'ai faite moi-même pendant deux jours consécutifs et dont l'examen a été continué sans arrêt jusqu'au 9 juin par M. Tournié, garde principal du gouffre. L'essai a porté sur une longueur de la rivière souterraine égale à 935 mètres, particulièrement bien appropriée par la divergence d'allure des diverses sections qui la composent, et qui sont au nombre de six, ayant donné chacune une vitesse différente :

A. 80 mètres de talus d'effondrement avec dénivellation de 5 mètres dont la disposition intérieure est inconnue; vitesse horaire : 32 mètres. B. 250 mètres de cours rapide sans profondeur et presque sans obstacle, dans la galerie de la Fontaine, avec dénivellation de 1 mètre; vitesse: 230 mètres par heure.

C. 330 mètres de propagation sans obstacle et sans dénivellation, dans la rivière plane, sur une largeur moyenne de 4 mètres, une profondeur de 3 mètres et un volume approximatif d'environ 4,000 mètres cubes; vitesse: 11,60 à 12 mètres par heure.

D. 100 mètres dans un véritable lac atteignant jusqu'à 12 mètres de largeur et 2 mètres de profondeur moyenne (cubant environ 1 000 à 2000 mètres cubes) en amont d'une vanne de retenue artificielle; vitesse: 5,50 par heure.

E. 70 mètres d'écoulement en partie siphonnant en partie rapide en aval de la vanne; vitesse: 11,66 par heure.

F. 125 mètres dans un lac de 12 à 27 mètres de largeur et 5 mètres de profondeur maximum, composé de plusieurs cuvettes se déversant l'une dans l'autre; vitesse: 7 mètres par heure.

La vitesse de la fluorescéine a donc varié sur près de 1 kilomètre observé entre 5,50 et 230 mètres à l'heure et sa marche donne les résultats suivants :

1o La vitesse augmente avec le débit, le talus A n'ayant été traversé qu'en cinq heures (16 mètres à l'heure) avec un débit de 7 à 10 litres par seconde (dans les expériences de 1896 et 1899) au lieu de 32 mètres pour un débit de 20 à 50 litres par seconde en mai 1903 (voir ci-dessous 9o).

2o Son maximum (230 mètres par heure) est dans l'écoulement en ruisseau.

3o Son minimum dans les passages en lacs calmes et points siphonnants (5, 7 et 12 mètres par heure).

4° La diffusion de la fluorescéine et la dilution croissante qui en résulte sont doublement prouvées :

I. Par la plus grande lenteur de la queue (60 mètres en quinze heures, ou 4 mètres à l'heure) dans la section C, au lieu de 12 mètres à l'heure pour la tête, soit un ralentissement de deux tiers;

II. Par cette constatation que, jetée en quatre points respectivement distants de 80 mètres (A-B), 280 mètres (B-C) et 450 mètres (C-D), les quatre fractions de fluorescéine, d'abord séparées sur ces distances, se sont rejointes l'une l'autre au bout de trois heures et demie à vingtdeux heures, et se trouvaient, au bout de ces vingt-deux heures, réunies en une seule coloration continue, les intervalles séparatifs étant comblés par la jonction de la tête de chaque section colorée avec la queue de la section suivante.

5o Dans la rivière plane et le lac suivant, sur 450 mètres d'étendue (sections C et D), la coloration de la queue sous la poussée du courant d'amont a disparu (à l'œil nu et à la lueur du magnésium) sur 60 mètres en quinze heures (1); sur les 370 mètres suivants (en amont d'une vanne', la coloration a persisté, sans changement appréciable, pendant quatre jours; puis elle a diminué, d'abord dans les parties sans profondeur, puis dans les bassins, même creux de 3 à 4 mètres, où la décoloration s'est effectuée progressivement. Elle n'est devenue tout à fait invisible que le 7 juin, c'est-à-dire que la couleur s'est maintenue pendant quinze jours dans un réservoir de 5 000 à 6 000 mètres cubes rempli par elle en trente-six heures environ; que la décoloration a été progressive, lente et régulière à partir du quatrième jour; et qu'elle s'est effectuée complètement, aucun dépôt de matière colorante ne s'étant formé dans le fond et la décantation ne s'étant pas manifestée, malgré l'extrême lenteur du courant.

6o Pour la section F, les bassins étagés qui la composent ont donné le même résultat, mais ont retenu la coloration deux jours plus longtemps (jusqu'au 9 juin), sans accuser non plus, après cette date, aucune trace de dépôt au fond.

7° L'écoulement en quinze jours à raison de 20 à 30 litres par seconde (à supposer que le débit n'ait pas varié dans ce laps de temps) a été de 28 000 à 42 000 mètres cubes. La quantité de fluorescéine employée (750 grammes en tout) correspond donc à un pouvoir colorant (à l'œil nu) de 40 à 60 millions de fois son poids, ce qui est bien conforme aux données admises.

(1) On comprend qu'en cas d'orage et de crue subite, l'augmentation de l'eau d'amont eût accéléré la marche de la queue et maintenu la coloration plus massée sur elle-même.

8° En examinant la marche de la tête de la coloration dans les parties les moins rapides (de 7 mètres à 5m,50 à l'heure), j'ai constaté qu'une fois jetée dans l'eau et bien dissoute par un fort brassage à grands coups d'aviron, la couleur verte se propage en minces ramifications vasculaires et filamenteuses, tendant plutôt à remonter à la surface, en tout cas se maintenant entre deux eaux; ce fait corrobore l'absence de dépôt notée ci-dessus, 5o.

Toute cette expérience de Padirac a été faite sur les données à l'œil nu; au fluorescope, elle eût certainement fourni des résultats différents, et M. Marboutin m'a fait espérer qu'il irait prochainement, dans cette rivière souterraine, reprendre les recherches avec le fluorescope, ce qui ne manquera pas d'être fort instructif.

On voit d'après tout ce qui précède et qu'il faut considérer comme des notes documentaires, pour partie même provisoires, combien je suis d'accord (sous réserve de la question de la décantation) avec M. Le Couppey de la Forest quant aux restrictions à apporter aux conclusions de MM. Fournier et Magnin. Je répète que je ne me considérais pas encore comme suffisamment renseigné pour traiter une question qui est loin d'être mûre, et que la présente note a pour double but de donner date aux remarques qu'elle contient et de mettre les expérimentateurs en garde contre toutes déductions précipitées.

Note de M. Rabozée.

En donnant lecture de la Note de M. Martel, M. le capitaine Rabozée commente quelques-uns des résultats signalés et discute certaines des conclusions formulées par l'auteur (1). Il ajoute que le retard de la fluorescéine sur l'eau qui la véhicule ne lui paraît nullement prouvé par les faits observés à Padirac. Il pense, au contraire, que ce retard ne peut exister et que la matière colorante doit marcher comme l'eau qui la tient en dissolution. Si l'on a pu croire que la fluorescéine marche moins vite que l'eau, cela doit résulter d'erreurs d'observation et surtout d'une mauvaise interprétation de la définition de la vitesse. L'expression << vitesse de l'eau » est en effet vide de sens si l'on ne spécifie pas formellement ce qu'on entend dire par là. Il faudrait

(1) Il est de ces conclusions qui avaient été présentées lors de la lecture en séance, sous une forme et avec des tendances quelque peu différentes de celles de la rédaction définitive de la Note de M. Martel, qui, à la correction des épreuves, a utilement fait profiter son exposé des points acquis par la discussion. Ceci explique ici certaines critiques devenues, par le fait, moins justifiées. (Note du Secrétariat.)

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définir conventionnellement la vitesse maximum, la vitesse minimum, la vitesse moyenne. Dans un cours d'eau, la vitesse des particules varie en effet non seulement d'une section transversale à l'autre, mais aux différents points d'une même section transversale. Par des dessins faits au tableau, M. Rabozée montre que les différents points situés à un moment donné dans une section transversale ne se retrouvent pas tous en même temps dans une autre section transversale d'aval; ils se trouvent, au contraire, répartis sur une surface supposée conique pour la facilité de la représentation - dont la pointe se trouve à l'aval, vers le milieu, et un peu au-dessous du plan d'eau, et dont la base est restée en arrière, traînant sur le périmètre mouillé : c'est que les filets d'eau ont, comme on le sait depuis longtemps, des vitesses qui diminuent à mesure qu'on s'approche du périmètre mouillé. C'est précisément parce que la fluorescéine marche avec l'eau, et comme l'eau, qu'il faut s'attendre à voir le liquide coloré pousser vers l'aval une pointe plus ou moins aiguë suivant les circonstances particulières.

De sorte que si l'on colore à un moment donné la partie comprise entre deux sections transversales du cours d'eau, cette colonne ne marchera pas d'un seul bloc; elle s'allongera, la tête prenant de l'avance sur la queue. Si l'on remarque d'ailleurs que, par suite surtout des étranglements, élargissements, coudes, obstacles de toute espèce, certains filets liquides situés dans la zone de maximum de vitesse et prenant ainsi de l'avance sur les voisins, passent, à un moment donné, dans une région de vitesse réduite, on comprendra que la masse colorée se mélange constamment avec l'eau claire qui la précède et avec celle qui la suit.

On conçoit ainsi toute la complication que présente le phénomène de l'écoulement dans les cours d'eau naturels. Mais il paraît certain que les variations d'intensité dans la coloration de l'eau à l'endroit où on l'observe correspondent à des variations de même sens dans les quantités d'eau qui, issues de la masse colorée en amont, passent au point d'observation.

Il est donc nécessaire que les relevés d'expériences se fassent en tenant compte de ces considérations et que les expérimentateurs se mettent parfaitement d'accord sur la signification - plus ou moins conventionnelle peut-être des termes qui serviront à exprimer les résultats de leurs observations.

Au cours de la discussion qui suit le commentaire ci-dessus de la note de M. Martel, plusieurs membres s'élèvent, au nom des lois de

la physique et de l'hydrodynamique, contre la thèse, si répandue encore, que la fluorescéine pourrait arriver en retard réel sur l'eau.

M. Masson, entre autres, fait connaître que tous les chimistes sont d'accord pour dire qu'une matière en dissolution ne peut être séparée de son véhicule; donc, pour qu'il y ait retard de la fluorescéine, celle-ci devrait se séparer de l'eau, ce qui ne peut avoir lieu. Conséquemment, il ne peut y avoir ni retard ni avance, mais simplement erreur d'observation ou sans doute insuffisance des procédés de perception du passage de tête de la fluorescéine.

Les données suivantes ont été fournies par M. Imbeaux comme complément aux indications de sa lettre, insérée dans le procès-verbal de la séance du 16 juin.

Note de M. Imbeaux sur une expérience à la fluorescéine dans le plateau de Haye.

Puisque notre cas vous intéresse, voici les détails. Vous savez que nous faisons une galerie captante sous le massif bajocien de la forêt de Haye elle est représentée par le trait OAB sur le bout de carte ci-joint (voir fig. 1) et elle a près de 2 800 mètres de long, donnant en ce moment (où tous les travaux de descente de l'eau ne sont pas finis) environ 2 000 mètres cubes d'eau aseptique par jour.

En G, près de la ferme de Clairlieu, l'eau de quelques sources amenées dans un petit étang, rentre dans le sol et se perd, à 700 mètres environ à l'amont du passage de notre galerie. Désirant savoir si cette eau arrivait dans la galerie filtrée ou non, nous avons fait trois expériences à la fluorescéine.

Premier essai. Le 11 octobre 1901, on a versé 100 grammes seulement dans le petit étang, mais pendant cinq jours d'observation, rien n'est apparu dans l'eau des sources rencontrées par la galerie, à 30 mètres en dessous de la surface, ni dans celle des venues plus profondes, au niveau de la galerie elle-même. Le débit des eaux en cet endroit n'est guère que de 6 litres par seconde.

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Deuxième essai. Le 21 octobre 1901. Avec 500 grammes de fluorescéine (dans alcool ammoniacal); prélèvement chaque demi-heure pendant cinq jours; pas de fluorescéine reconnaissable.

Troisième essai. 18 novembre 1902, en très basses eaux. On avait découvert le canal qui sort de l'étang et se perd à 50 mètres de ce dernier. On s'était ainsi rapproché de la galerie, et c'est là qu'on a versé

1903. PROC.-VERB.

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