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giques dans la chaîne du Jura (1), M. E. Fournier rappelle en détail les déboires qui accompagnèrent ces travaux, dont l'importance ressort de ce fait que lors de la descente qu'il fit ultérieurement au gouffre susdit, l'auteur mesura une hauteur verticale de 25 mètres pour le cône d'éboulis s'élevant de la base du gouffre vers son orifice rétréci. Dans son rapport officiel sur la source d'Arcier, M. Fournier dit qu'il ne pourrait malheureusement pas affirmer qu'on ait cessé, d'une façon complète, d'y jeter des cadavres de bestiaux morts, et il ajoute que les eaux du village de Gennes lui-même s'infiltrent dans des entonnoirs et dans des fissures qui vont en définitive rejoindre le réseau souterrain d'Arcier, ces pertes étant situées dans le secteur de drainage compris entre le Creux-sousRoche et l'entonnoir de Nancray, dont il va être question à l'instant.

Le bassin fermé de Nancray (voir la carte) renferme des entonnoirs et des fissures d'absorption dont la communication avec les eaux de la source d'Arcier est connue depuis 1886, à la suite des recherches de M. Jeannot, directeur des eaux de la ville de Besançon. Mille kilogrammes de sel furent jetés par ses soins dans l'entonnoir principal. Après neuf heures et demie, la solution, qui avait apparu après quatre heures à des résurgences différentes (au Grand-Vaire, à environ 4 kilomètres au Nord), était constatée à Arcier (environ 6 kilomètres à vol d'oiseau au Nord-Ouest). Vers la fin d'avril 1894, s'adjoignant trois collaborateurs, dont M. Magnin, le même expérimentateur exécuta une expérience à la fluorescéine et quatre-vingt-treize heures après l'eau arrivait visiblement verte à Besançon, et les résurgences partielles intermédiaires du Grand-Vaire et de Corcelles furent aussi, dit M. Fournier, légèrement colorées.

Le Dr Prieur a fait un historique éloquent des nombreuses épidémies de fièvre typhoïde qui ont sévi à Besançon et cette étude met en évidence les relations de ces épidémies avec de multiples causes émanant régulièrement de la région des infiltrations souterraines à distance. Ainsi l'épidémie de novembre 1893 fut précédée de dix-sept cas de fièvre typhoïde à Nancray. C'est exclusivement dans la zone des habitations de Besançon qui est alimentée par Arcier, où l'analyse a d'ailleurs fait rencontrer jusqu'à des matières fécales, - qu'est localisée l'épidémie. La récente épidémie de 1901, à Besançon, a coïncidé, M. Maréchal l'a démontré, avec d'intenses précipitations pluviales dans le bassin de Nancray.

Que penser, en présence de faits si précis, de l'indifférence des pou

(1) E. FOURNIER et MAGNIN, Recherches spéléologiques dans la chaîne du Jura (2o cam pagne 1899-1900). Première partie: Grottes, Résurgences et Gouffres, par E. FOURNIER. Mém. de la Société de Spéléologie, t. IV, no 23, pp. 22-52.

voirs publics, dont le rapport officiel de M. Fournier donne d'étourdissants exemples? Tout d'abord, le collaborateur de M. Fournier, le professeur Magnin, avait depuis longtemps signalé la situation, même depuis une époque où l'origine hydrique de la fièvre typhoïde était encore fortement contestée. Ses observations, transmises au Conseil central d'Hygiène, furent tronquées et même supprimées! Une demande d'établissement, à Nancray, d'une porcherie de quarante animaux fut appuyée avec une déconcertante sérénité, non seulement par le conseil municipal de cette localité-crible, mais approuvée par le Conseil d'Hygiène. L'année suivante, une Commission envoyée à Nancray dut constater qu'aucune des prescriptions relatives au déversement des purins et résidus divers n'était observée dans cette localité. Mis en demeure, en 1899, d'exécuter les travaux nécessaires, le maire de Nancray répondit par de simples dénégations et déclarations contraires à la réalité des faits les plus déplorables.

En 1901, à la suite de plaintes motivées par la porcherie, une nouvelle Commission constata que les fumiers de cet établissement ne se trouvaient nullement en fosses étanches et que les immondices allaient, sinon droit, du moins sûrement au ruisseau de Nancray. On reconnut du même coup que la laiterie de Nancray était «< tout à fait déplorable au point de vue de la contamination des eaux. C'est seulement dans le dernier trimestre de 1901 que des mesures d'amélioration, très relatives, furent prises d'office, malgré les protestations du maire, qui écrivait au préfet « que l'eau restant neuf heures pour faire la traversée jusqu'à la source d'Arcier, a assez de temps, selon l'avis des médecins, pour se dépouiller de toute souillure ». On croit rêver!

Le petit croquis fourni par M. Fournier montre au Nord de Nancray, et indépendamment de la communication souterraine vers la source d'Arcier, le gouffre de Chin-Chin, près du village et de la résurgence de Grand-Vaire. C'est une cavité verticale d'environ 35 mètres de profondeur, vers le bas de laquelle s'ouvre dans la roche une sorte d'aqueduc avec ruisseau souterrain, siphonné après une cinquantaine de mètres. Suivant l'usage, on jette quantité de bêtes mortes dans ce puits, et, lors des pluies, les eaux s'élèvent, entrent dans l'aqueduc et, chargées d'extraits de charognes, vont contaminer le ruisseau souterrain.

Une récente exploration, en mars 1901, pendant laquelle M. Fournier, accompagné de nombreux élèves, étudia le mécanisme d'arrivée et de disparition du ruisseau, eut pour résultat de faire apparaître, après quatre heures et demie de trajet souterrain, la fluorescéine jetée dans le ruisseau souterrain du gouffre, à 6 ou 700 mètres de là, dans des sources... captées pour l'alimentation de la commune de Grand-Vaire. Les

habitants qui ont alors vu l'eau verte couler pendant trente-six heures dans leurs fontaines, ont pu s'assurer ainsi qu'en période de pluies et crue tout au moins, leurs eaux alimentaires constituent un bouillon nutritif dont les éléments sont constitués par les charognes qu'ils jettent eux-mêmes avec désinvolture dans le gouffre de Chin-Chin. Aussi le maire s'est-il empressé, devant cette leçon de choses, de prendre un arrêté interdisant de jeter des animaux ou des immondices quelconques dans le gouffre. Le bassin fermé de Champlive renferme notamment les deux entonnoirs figurés sur la petite carte ci-annexée et dans lesquels viennent se perdre les eaux d'un ruisseau partie souterrain partie aérien, dont la résurgence est indiquée à Bouclans. On utilise les eaux de l'un de ces entonnoirs à l'aide d'une machine élévatoire, les faisant remonter jusqu'au village de Dommartin (voir la carte). Une expérience à la fluorescéine, ayant affecté 280 000 mètres cubes d'eau, n'a fourni aucune coloration à Arcier. Ce résultat négatif ne veut pas dire toutefois qu'il n'y ait pas communication dans de certaines conditions.

Dans l'édition de sa petite carte jointe au rapport officiel sur la source d'Arcier, M. Fournier adoptait, de même que dans son texte, l'idée d'une communication, restée un peu douteuse cependant, entre l'entonnoir occidental de Champlive et le gouffre de Chin-Chin. Mais dans la carte remaniée en vue de sa publication dans notre Bulletin, M. Fournier croit plus correct d'abandonner l'hypothèse de cette communication et de n'admettre de déversement souterrain démontré de l'entonnoir Ouest de Champlive, que vers le Doubs, en aval de Guissey.

L'exposé qui précède des observations, recherches et expériences de M. Fournier et de ses amis, et la petite carte qui l'accompagne, montrent combien sont, en réalité, compliqués, anastomosés et variables les courants souterrains qui parcourent les cavités et fissures des terrains calcaires.

Dans sa note du 15 janvier 1902 à l'Académie des Sciences de Paris, M. Fournier, après avoir sommairement rappelé ses expériences dans les bassins fermés de Saône et de Nancray, en tire des conclusions qui sont assurément d'application très générale.

Il résulte de ces constatations, dit l'auteur:

1° Qu'une même perte d'eau peut alimenter des ruisseaux souterrains appartenant à deux bassins différents ou ayant des exutoires éloignés. Exemple : le Creux-sous-Roche, qui déverse ses eaux vers la Loue et vers Arcier; l'entonnoir de Nancray, qui les déverse vers Arcier et vers le Grand-Vaire;

2o Qu'une dérivation vers un exutoire peut se produire en eaux fortes et eaux moyennes, et ne pas se produire en eaux basses;

3° Que les réseaux hydrographiques souterrains des terrains calcaires sont anastomosés d'une manière parfois très complexe, comme le montre d'ailleurs le croquis topographique ci-annexé.

La même note de janvier 1902, à l'Académie, fournit encore des preuves complémentaires de cette complexité et de ces variations. Ainsi le gouffre du Gros-Gadeau, près de Salins, qui engloutit un ruisseau, a reçu, le 26 mai 1901, 1 500 grammes de fluorescéine en temps de fort débit. Deux jours après, les eaux nettement colorées s'observaient dans les fontaines de Saizenay, à quelques kilomètres de là, vers le Nord-Est. En eaux basses, une expérience similaire n'a pas coloré les eaux de Saizenay, mais par contre a fortement affecté les eaux d'un ruisseau situé en aval.

Le phénomène des réapparitions de la fluorescéine au moment des crues a aussi été net pour M. Fournier et est rappelé dans la même note. « L'entonnoir de Clucy, près Salins, ayant été coloré une première fois en eaux basses, la coloration ressortit très faible à la source de Gouaille, située en aval. Une huitaine de jours après, à la suite d'une crue, la coloration réapparaissait à Gouaille avec une intensité beaucoup plus grande. Une deuxième expérience permit de constater le même phénomène. Enfin, tout récemment, dans les expériences de coloration de Saône, nous avons pu constater la réapparition de la coloration au bout de dix jours, à la suite d'une crue. »

<< Ces constatations, ajoute l'auteur, ont une importance capitale au point de vue de l'hygiène; elles démontrent qu'en basses eaux les produits des infiltrations de surface s'accumulent dans des galeries réservoirs, momentanément isolés du réseau souterrain. Dès que les eaux augmentent, ces galeries réservoirs viennent déverser leurs produits, dangereusement contaminés, dans l'émissaire principal du réseau.

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» Conclusions. Les réseaux hydrographiques souterrains des régions calcaires sont donc tous dans un cycle excessivement instable, ils sont anastomosés, leur régime varie constamment, en même temps que varie l'intensité des précipitations atmosphériques; les phénomènes de capture peuvent s'y produire avec une grande facilité; en outre, il existe dans ces réseaux des cavités réservoirs qui ne se déversent dans le réseau principal que pendant les crues. La qualité des eaux d'origine vauclusienne est donc essentiellement variable comme leur régime, et, dans la plupart des cas, on doit les écarter d'une façon absolue dans tous les projets d'alimentation en eau potable.

La séance est levée à 10 h. 40.

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ANNEXE A LA SÉANCE DU 30 JUIN 1903

La station sismique de Grenoble (1).

UNIVERSITÉ DE GRENOBLE

FACULTÉ DES SCIENCES

DE GRENOBLE

LABORATOIRE

de Géologie et de Minéralogie.

Je suis heureux de vous faire connaître que les appareils sismologiques de la Faculté des sciences de Grenoble viennent d'être remis en marche; j'ai appris, en effet, que des bonnes volontés privées se sont émues de l'état de choses actuel et je pense qu'elles me permettront de réunir les sommes nécessaires au fonctionnement de ces appareils. D'autre part, l'Université de Grenoble ne me refusera certainement pas son appui, si je crois devoir y recourir.

Le Conseil de l'Université de Grenoble verrait en effet avec peine se produire une interruption dans les observations sismiques faites dans mon laboratoire. L'Université ne m'a refusé aucun crédit à ce sujet; je n'avais pas cru devoir en solliciter d'elle et m'étais adressé seulement aux corps savants de la capitale.

Le fonctionnement du laboratoire de Géologie de l'Université de Grenoble, l'entretien et l'accroissement de ses collections constituent la partie normale du service que je dirige et qui a produit déjà de nombreux travaux. Le Conseil de l'Université a toujours, dans la faible mesure où il le pouvait et tout en regrettant vivement de n'être pas à même de le faire d'une façon plus large, soutenu de ses subsides l'enseignement et les recherches faites dans ce laboratoire. Estimant que l'entretien du service sismologique ne constituait pas une dépendance nécessaire et normale de la chaire de Géologie, que son utilité était plutôt nationale. que régionale, au même titre que les observations météorologiques par exemple, et qu'à l'étranger les stations sismologiques ont une organisa

(1) Voir les procès-verbaux des séances des 21 avril 1903 (Annexe), pp. 142-145, 16 juin 1903, p. 217, et 30 juin, p. 316.

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