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côté de sa demeure pour provoquer peut-être le risque d'une contamination à plusieurs kilomètres de distance?

Aussi bien, MM. les Dr A.-J. Martin et H. Thierry, qui dirigent avec la compétence que l'on sait le Service de la surveillance locale et médicale des sources captées pour l'alimentation de Paris, ont-ils soin de dire dans leur exposé : «< Ainsi se trouve protégé le périmètre d'alimentation, pour autant que les études géologiques et hydrologiques ont permis de le déterminer (1). »

L'exemple de Paris, si retentissant, avec ses observations de contamination par des puisards, des tuyaux de chute de closets, des décharges de lavoirs, doit-il être considéré comme la démonstration qu'il est possible, grâce à l'attention toujours en éveil du Service des eaux, grâce au dévouement éclairé des médecins, d'échapper au danger, ou bien doit-il, au contraire, être interprété comme la preuve irréfutable du danger des sources vauclusiennes? Et par source vauclusienne on devrait non seulement entendre la source alimentée partiellement par des pertes visibles d'eaux superficielles, mais toute source qui gonfle après les chutes d'eaux météoriques.

Je passe à l'examen des travaux de M. Fournier.

Dans ses « Études sur les sources, les résurgences et les nappes aquifères du Jura franc-comtois », M. Fournier donne à nombre d'administrations municipales des avertissements qu'elles feraient chose sage d'écouter d'une oreille attentive. M. Fournier démontre, d'une façon irrécusable, que bien des sources du Jura franc-comtois ne sont que des résurgences, dont la mise à contribution pour l'alimentation des villes les place sous le coup d'épidémies de fièvre typhoïde.

Malheureusement, M. Fournier, qui n'est pas praticien, s'est laissé entraîner à donner certains conseils d'ordre technique dont je vais me permettre de faire la critique, qui montrera combien le savant géologue s'est également laissé impressionner par l'exemple de Paris; cette critique n'enlèvera rien à la portée scientifique de son travail.

Je rappellerai, Messieurs, qu'il y a exactement dix ans, en 1893, la ville de Besançon eut une sévère épidémie de fièvre typhoïde qui se localisa dans la zone alimentée par la source dite d'Arcier, résurgence partielle d'un ruisseau traversant le village de Naneray, qui avait eu une épidémie de fièvre typhoïde quelques jours avant que la maladie n'éclatât à Besançon.

(1) Travaux de l'année 1902: Sur les eaux d'alimentation et les eaux d'égout de la ville de Paris, p. 73.

Voici les faits dans toute leur simplicité : Un orage violent sévit sur la région de Nancray le 7 octobre; la fièvre typhoïde apparaît à Besançon vers le 19.

Quelques mois plus tard, la filiation entre l'épidémie de Nancray et celle de Besançon, pressentie par M. le Dr Thoinot, est mise définitivement en lumière par MM. Jeannot et Thoinot, à l'aide de colorations de fluorescéine. Ajoutons, pour être complet, qu'en 1886, M. Jeannot avait, par expérience, reconnu la résurgence à l'aide du sel.

C'est cette même source, Messieurs, qui est en 1902 l'objet d'un rapport de M. Fournier au préfet du département.

On peut en déduire qu'il est reconnu, dans un document officiel, qu'une source dont la contamination irrécusable a provoqué une violente épidémie en 1893 sert encore à l'alimentation d'une ville universitaire où est professé un cours de Géologie par un savant dont le nom fait autorité.

Si ce fait témoigne d'une inconscience stupéfiante du danger, on doit le qualifier de « défi » lorsqu'on apprend que cette même source d'Arcier avait été, en 1871, le théâtre du fait suivant :

En 1871, à la suite d'une épizootie, on avait jeté dans un gouffre profond dont les infiltrations regagnent souterrainement les eaux d'Arcier, une quantité si considérable de chevaux et de boeufs que les cadavres de ces animaux avaient fini par le combler complètement. Au bout de quelques mois, lorsque les animaux entrèrent en putréfaction, une épidémie de fièvre typhoïde éclata à Besançon.

L'autorité, dit M. Fournier, s'en émut et l'on décida de combler le gouffre. Cette « émotion » de l'autorité s'apaisa sans doute, car nous avons vu que la fièvre typhoïde éclatait de nouveau à Besançon après avoir exercé ses ravages à Nancray, qui pratique le tout à l'égout par l'intermédiaire d'un ruisseau dont la source d'Arcier est la résurgence.

Ces deux terribles leçons ne suffisent pas encore; en 1901, nouvelle épidémie qui coïncide avec une pluie intense dans le bassin de Nancray; en même temps, il est prouvé que la source d'Arcier reçoit directement une partie des eaux du village de Saone, où a eu lieu un cas de fièvre typhoïde.

Quoique M. Fournier déclare dans son rapport qu'à diverses époques l'autorité préfectorale et la municipalité se sont préoccupées de remédier à cette situation du ruisseau de Nancray, ces « préoccupations, d'un caractère tout administratif », n'empêcheront pas que la ville de Besançon sera redevable à la source d'Arcier d'une triste célébrité dans le monde des hydrologues et des géologues.

La surveillance du bassin sourcier d'Arcier n'a pas, comme vous le voyez, empêché Besançon de recevoir de funèbres visites.

Ce n'est pas tout; après avoir constaté les pitoyables résultats de la surveillance, nous allons voir surgir l'influence de la thèse de M. Babinet. Cette source détestable d'Arcier, on va tenter de la sauver par un moyen qui, heureusement, est aussi mauvais que la source ellemême et, chose regrettable, en contradiction complète avec tout ce que nous dit l'auteur dans ses publications!

Après avoir constaté dans son rapport que les causes de contamination des eaux d'Arcier sont si multiples, si complexes et si graves, qu'il est matériellement impossible d'y remédier d'une manière absolue, <«< il ne nous reste, dit M. Fournier, qu'à nous associer à la conclusion déjà émise par M. Thoinot: il n'y a qu'un moyen radical et qui vient à l'esprit de tous, c'est de supprimer l'eau d'Arcier et de la remplacer par une autre, non typhoïgène

Tout cela était fort bien.

Ce qui est regrettable, c'est que M. Fournier ne s'en soit pas tenu là et ait ajouté à sa déclaration un correctif qui dément les espérances que faisait naître la lecture de la première partie de son beau rapport et forme contraste avec ses études sur les sources du Franc-Comtois, et surtout avec la dernière conclusion de la note qu'il adressait le 6 avril dernier à l'Académie des Sciences.

Cette dernière conclusion était : « De la lenteur et de la propagation de la fluorescéine, il ne faudrait pas conclure à une lenteur correspondante de propagation des cultures microbiennes; les sources vauclusiennes sont sujettes à une contamination brusque, impossible à prévoir à temps; i ne faut donc pas les admettre comme eaux d'alimentation, même en temps de sécheresse, puisqu'il suffit d'une pluie d'orage pour les empoisonner brusquement. »

Troublé sans doute par cette idée que la mise à l'écart de la source d'Arcier, dont on connaît malheureusement trop bien les dangers, provoquerait des objections, car il faudrait se procurer de nouvelles eaux et une nouvelle amenée ne se ferait pas sans grande dépense, M. Fournier en arrive à proposer une solution inspirée par l'examen des mesures préconisées pour la protection des sources vauclusiennes et que l'on doit qualifier de profondément malheureuse (1).

« A la conclusion du Dr Thoinot, nous devons, dit M. Fournier, ajouter une remarque qui nous est suggérée par les résultats des

(1) Rapport sur les causes de contamination de la source d'Arcier, 2o partie, p. 8.

>> récentes recherches bactériologiques de M. Maréchal : C'est que l'eau » d'Arcier, très dangereuse en temps de grandes eaux, redevient >> potable et même bonne dans les périodes d'eaux moyennes et de >> sécheresse. Cette constatation introduit un élément nouveau précieux » dans le problème qu'il s'agit de résoudre: il n'est pas nécessaire >> d'assurer constamment à la ville de Besançon un débit d'eau pure égal au débit d'Arcier, il faut seulement trouver le moyen de pouvoir, pendant les périodes de grandes eaux, remplacer d'une façon complète l'eau d'Arcier par une eau salubre. Si ce problème est inso» luble, il ne restera alors qu'à étudier le moyen de stériliser l'eau » pendant les périodes de crues. >>

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<«< Pour que cette suppression momentanée des eaux d'Arcier soit automatique, et ne soit pas, par conséquent, subordonnée à la bonne exécution des ordres que l'on pourrait donner aux employés chargés d'ouvrir et de fermer les vannes, il serait facile d'établir près de la source d'Arcier un système à flotteurs qui, dès que les eaux atteindraient une certaine hauteur, produirait un courant électrique assurant automatiquement la suppression de l'Arcier dans les canalisations, plusieurs heures avant les effets de la crue et par suite avant que la recrudescence bactérienne se soit fait ressentir à Besançon. >>

Certes, c'est là un moyen, mais, comme je le disais tantôt, un fort mauvais moyen...

En parlant comme il le fait, M. Fournier oublie qu'entre « cette certaine hauteur d'eau » qui représente un débit moyen, et le minimum du débit de la source, il y a un écart d'autant plus important qu'il s'agit d'une source issue du calcaire; cette origine même a en effet pour corollaire les fluctuations énormes que nous connaissons tous. Entre ces fluctuations peuvent s'intercaler le produit de pluies importantes avec leurs conséquences, qui peuvent être désastreuses pour la santé publique. Qu'un cas de typhoïde, mal placé, se présente en amont du bétoire ou d'une crevasse inconnue, la précaution peut devenir vaine.

Mais je m'aperçois, Messieurs, de ce que je discute ainsi les conditions d'établissement d'un appareil qui ne doit pas, qui ne peut pas se trouver en tête d'une distribution d'eau, car il serait la commande de la vanne arrêtant ou déchaînant le danger suspendu sur toute une population.

Cette suppression d'une venue d'eau de source commandée électriquement est, en fait, appelée à remplacer, mécaniquement, la surveillance du bassin sourcier telle qu'elle se fait pour Paris; cette proposi25

1903. PROC.-VERB.

tion consacre en même temps la mise à contribution des sources vauclusiennes; cette mise à contribution est elle-même inspirée par l'avis de M. Babinet, et comme on pourrait craindre qu'en m'exprimant comme je le fais, je ne rende pas exactement la pensée de M. Fournier, je vais prouver qu'il en est bien ainsi.

Voici comment s'exprime M. Fournier au début de son rapport : << M. Babinet propose contre la contamination deux palliatifs qu'il considère comme efficaces: 1° capter autant que possible les eaux souterraines au-dessus du point d'absorption, si ce dernier n'est pas trop éloigné de l'émergence et si le débit d'amont est encore suffisant; 2° combler et boucher les gouffres ou bétoires connus susceptibles de recevoir les matières contaminées. >>

Dans le rapport que j'analyse, M. Fournier ajoute :

« Nous nous proposons: 1° d'étudier en détail les causes diverses de contamination des bassins d'alimentation des sources d'Arcier; 2° de rechercher si les mesures de protection préconisées par M. Babinet pour les sources vauclusiennes seraient applicables à la source d'Arcier; 3° d'examiner s'il n'existerait pas une solution différente, permettant de substituer aux eaux contaminées d'Arcier des eaux présentant toutes garanties au point de vue hygiénique. »

Cet extrait montre d'une façon incontestable, Messieurs, que l'avis de M. Babinet, sur l'emploi des sources vauclusiennes, qui pourrait être acceptable pour Paris, qui, je le répète encore une fois, occupe une position spéciale, mais serait à rejeter impitoyablement pour toute autre ville, menace de devenir classique, puisqu'on cherche une adaptation de cet avis à propos d'une source d'aussi fâcheuse réputation! Il est désirable pour le bien public que cette interprétation générale donnée à un avis émis, je me plais à le croire, pour un cas isolé, soit arrêtée dans son développement.

L'exemple de Paris, mal interprété, menace bien, comme je l'avais dit lorsque j'émettais, en séance du 26 février 1901, mon opinion au sujet des sources vauclusiennes, de provoquer une théorie nouvelle, si l'attention des administrations publiques n'est pas attirée sur les graves dangers qu'elle présenterait dans son application.

Que l'ingénieur chargé d'établir une distribution d'eau accepte comme vraie l'opinion émise par M. Babinet sur les sources vauclusiennes, qu'il considère une surveillance médicale incessante comme pouvant parer aux dangers qu'une source peut faire courir éventuellement à la population qui l'utilise, qu'il adopte la solution mécanique de M. Fournier pour la dérivation momentanée des eaux d'une source

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