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Aussi longtemps qu'on n'aura pas prouvé formellement que l'introduction d'une matière colorante modifie le mouvement du liquide dans lequel on l'incorpore, il faudra admettre que les constatations relevées dans la marche de la coloration fournissent des indications exactes sur les circonstances de ce mouvement, à condition, bien entendu, que la matière colorante ne soit pas altérée en route.

Or, dans les essais effectués avec la fluorescéine, nous ne voyons rien qui soit en opposition avec les lois ordinaires de l'hydraulique. Quelques expérimentateurs ont cru découvrir, dans leurs essais, des faits de nature à accuser la fluorescéine d'apporter de notables perturbations dans le mouvement de l'eau; nous croyons que cela est dû à la défectuosité des opérations ou à des erreurs d'interprétation; sans doute même ces craintes ne se produiront plus quand de nombreux essais auront fait voir combien est variable l'allure du mouvement des différents filets et auront montré que dans la plupart des cas de la nature, le mouvement d'un flotteur, que l'on considère volontiers comme définissant bien le mouvement, ne donne qu'une idée très inexacte du phénomène de l'écoulement.

M. Kemna trouve dans l'action décolorante de la lumière et de l'acide carbonique signalée par M. Du Fief, l'explication possible de cette curieuse anomalie du « retard » de la fluorescéine. Le résultat négatif des expériences avec l'argile et le calcaire est assez étonnant; il y a quelques jours à peine, l'orateur a décoloré des eaux jaunes tourbeuses et enlevé une bonne partie du fer dissous, par simple agitation avec du carbonate de chaux précipité. Il y a quelques années, Klement, opérant avec du spath pulvérisé sur les eaux brunes du puits de Willebroeck, avait obtenu le même résultat. M. Du Fief a travaillé avec des doses massives de substance solide, pour se mettre dans les conditions réalisées pour les eaux du sous-sol. La fluorescéine a pourtant un poids moléculaire assez élevé pour qu'on eût pu s'attendre à la voir soustraite à la solution par les corps absorbants; il serait intéressant de rechercher si elle résiste aussi à des décolorants plus énergiques, comme le noir animal, l'alumine précipitée (1) ou l'oxyde ferrique.

(1) L'alumine précipitée détruit la coloration, mais ne se charge pas elle-même de la couleur, comme elle le fait avec les matières humiques. Dans le filtrat à peine teinté, l'ammoniaque fait réapparaitre une légère fluorescence. Vis-à-vis de la fluorescéine, l'alumine semble done jouer le rôle d'un acide.

M. Rabozée pense qu'il peut y avoir des causes qui peuvent fausser un peu les expériences, mais il estime que les matières colorantes sont ce qu'il y a de mieux pour reconnaître le mouvement de l'eau.

M. Van den Broeck donne ensuite lecture de la note de M. Dienert: Étude des courants souterrains au moyen de la boussole et des courants électromagnétiques.

L'assemblée décide que ce travail sera inséré dans les Mémoires et la discussion aura lieu ultérieurement.

A la suite de cette lecture, M. Kemna fait remarquer que l'historique de la méthode utilisant la conductibilité électrique à l'analyse des eaux a été fait tout récemment par M. F. Schoofs, de l'Institut d'hygiène de l'Université de Liége (Technologie sanitaire, 15 avril 1902, vol. 7, p. 429, et 1er juillet 1902, p. 559). La même idée semble être venue à plusieurs savants et d'une façon indépendante. Il paraît que dès 1887, on a utilisé le sel et le téléphone pour suivre des courants d'eau souterrains. Le terme nouveau « résistivité » employé pour « résistance >> n'a pas un avantage bien appréciable.

M. Rabozée résume en séance la communication suivante envoyée par M. E.-A. Martel :

E.-A. MARTEL.

Expériences complémentaires

sur la fluorescéine.

Au cours d'une mission d'études officielles dont j'ai été chargé cet été au Caucase occidenta' par S. Ex. A. Yermoloff, Ministre de l'Agriculture et des Domaines de Russie, j'ai effectué de nouvelles expériences de coloration de cours d'eau à la fluorescéine; l'absence de localités habitées et le parcours que j'avais à effectuer le long des thalwegs m'ont mis à même de réaliser des observations précises et suivies surtout pendant de longues distances; j'en donne ci-après les résultats tels qu'ils sont consignés dans mes notes prises sur place, afin de les livrer dans toute leur sincérité aux critiques et discussions qu'ils sont de nature à provoquer.

I. 26 août-8 septembre 1902. Vallée de la Dagomis orientale : 15 kilomètres Nord de Sotchi (littoral caucasien de la mer Noire, entre Novorossiisk et Soukhum).

Torrent de montagne à pente de 8%. Débit évalué (?) : 2 mètres

cubes par seconde; 500 grammes de poudre jetés à 8 h. 40 dans une cascatelle écumeuse, en amont d'un bassin de 4 à 5 mètres de diamètre et 1 mètre de profondeur. La dilution (disparition de la poudre rouge) est à peu près immédiate et la flèche de tête file rapidement; 9 heures, le bassin est encore coloré, mais seulement dans sa portion aval et au fond, sans aucune décantation dans la portion amont; en aval, la coloration verte intense s'arrête dans les bassins et dans toutes Partie restant

Jet Partie décoloree colorée au bout

en 20 min de 20 min

les parties latérales sans courant, et n'en est expulsée que très lentement; donc une portion est non pas retardée précisément, mais retenue comme dans des poches; dans ces poches, on remet la coloration en mouvement vers l'aval, soit en agitant l'eau avec un bâton, soit en y jetant des pierres qui font légèrement déborder la poche (comme le font évidemment les crues).

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En une heure vingt minutes, la tête n'a pas fait 3 kilomètres. Conclusions provisoires: La vitesse d'un torrent est faible; et ce genre de courant est un détestable champ d'expérience, à cause de l'irrégularité de sa marche, pour l'étude normale de la vitesse de l'eau;

mais il enseigne peut-être en quoi consiste réellement le retard de la fluorescéine, qui est en grande partie localisée, pour ainsi dire emprisonnée, dans les espèces de culs-de-sac où elle s'engage sur les bords et au fond. Mais pourquoi n'en sort-elle pas aussi rapidement qu'elle y arrive?

II. 30 août-12 septembre 1903. - Vallée de la Matzesta (6 kilomètres Est de Sotchi).

Aussi torrentielle que la précédente et même pente (8%), mais débit plus fort (3 à 4 mètres cubes par seconde).

Un kilogramme, jeté à 4 1⁄4 heures par 125 mètres d'altitude, a fait 3 kilomètres en 1 1/2 heure, soit 2 kilomètres à l'heure; cours extrêmement sinueux avec ruptures de vitesse probables à chaque coude.

Peu de bassins de retenue, mais quantité de blocs rocheux et subdivisions de bras ou de passages sans profondeur, avec un lit de galets assez large; c'est-à-dire multiplication des frottements.

III. 31 août-13 septembre 1903. Vallée de la Khosta orientale (10 kilomètres Est de la précédente).

Torrent comme les autres, pente 9 %. Débit : 2 à 3 mètres cubes par

seconde; 1 kilogramme; la coloration met une heure à disparaître du point de jet, où s'observe nettement, dans un bassin précédé d'un rapide, l'allure suivante : la poudre rouge commence par tomber au fond, puis la couleur remonte en filets intermittents émanant comme de points émissifs et s'élevant obliquement vers la surface pendant une heure ; il y a donc un temps appréciable nécessaire pour que la dilution s'opère, et les facteurs densité et accrochage des particules ne sont pas négligeables. Que se produirait-il si la poudre était au préalable dissoute dans l'eau ou l'ammoniaque? Cette dissolution complète est-elle matériellement réalisable et dans quel volume de liquide approprié? Avant que toute la rivière soit colorée, la partie la plus rapide du courant refoule latéralement les premières volutes fortement teintées et semble faire obstacle à la dilution. - Constaté 4 kilomètres en 2 1/2 heures.

1903. PROC.-VERB.

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Conclusion à discuter: Le temps nécessaire à la dilution et à la progressivité de celle-ci semble vraiment bien synonyme de retard réel, et il paraît qu'une infime partie de la substance épouse la réelle vitesse maximun de l'eau. Si l'on met trop de couleur, on fausse les éléments du problème; si l'on en met moins, on ne distingue plus la coloration. La question se complique de plus en plus!

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IV. 8-12 septembre. Rivière Sotchi, en amont de Plastunskoje, à 15 kilomètres de l'embouchure. La pente n'est plus que de 5 et la rivière approche de son profil d'équilibre; petit fleuve mesurant déjà plus de 50 kilomètres depuis ses sources; débit impossible à évaluer, supérieur à 15 ou 20 mètres cubes.

Deux kilogrammes, jetés à 75 mètres d'altitude, produisent une coloration rapidement réalisée, qui s'étend, en une demi-heure, sur plus de 1 1/2 kilomètre de longueur et accuse une vitesse de 3 1⁄2 à 4 kilomètres à l'heure. La nuit a empêché de voir l'arrivée en mer.

Conclusion: La vitesse dépend beaucoup plus du débit que de la pente (voir mes notes précédentes).

V. 14-27 septembre. Fleuve Mzimta (à l'Est de Sotchi), long de plus de 100 kilomètres et descendant de cimes de 3000 à 3500 mètres. Débit ignoré; doit arriver à 50 mètres cubes par seconde.

A 8 12 heures, par 550 mètres d'altitude, 2 kilogrammes jetés dans le torrent dit « Ruisseau fou », série de cascatelles rapides et écumeuses, qui provoquent une dilution à peu près immédiate sans aucune retenue dans des bassins intermédiaires; la dilution paraît favorisée par la division infinie de filets d'eau très multipliés et très véloces.

A 9 1/2 heures cependant, la coloration est encore visible, mais manifestement affaiblie, 1 kilomètre plus loin et 80 mètres plus bas (pente 80 %). Je n'ai pu, en ce point, arriver à temps pour constater la venue de la tête, à cause d'un détour nécessité par les difficultés du terrain. Mais un peu au-dessous dudit point, au confluent de la Mzimta, la coloration du fleuve est intégrale et éclatante; le mélange des eaux des deux courants est donc intime. Dans la Mzimta, la tête a une forte avance sur nous; nous ne la rejoignons (en voiture, par la route qui suit la vallée) qu'à midi, à 14 kilomètres du point de jet; les sinuosités du fleuve atteignent au moins 21 kilomètres, et la coloration au confluent ayant dû commencer vers 9 heures, la vitesse peut être considérée comme de 7 kilomètres à l'heure; la pente, tout à fait torrentielle, est de 11 à 1200.

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