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voir, des lapsus qui prouvent qu'au XVIIIe siècle le sens critique était difficile à exercer. Dans l'ouvrage suivant, le cas est plus grave et quoiqu'il soit de plus d'un demi-siècle plus récent, nous allons voir s'étaler une grosse bourde sous la plume d'un auteur cependant compétent et estimable, le minéralogiste Rozin (1).

Je reproduis textuellement, pour ne pas lui ôter sa saveur, un passage où il parle de gisements de mercure de Belgique.

« Les mines de cinabre... Il s'en trouve même dans la Belgique, quoiqu'elles ne soient point exploitées. A Biamont, près de Soignies, département de Jemappes, il y a une grande étendue de terrain tenant du cinabre, et dont le vif-argent, volatilisé pendant la chaleur du jour en été, se condense par la fraîcheur de la nuit et se dépose en globules dans certaines feuilles, formant une espèce de cornet, telles que celles de l'Alchimille, de la Mauve et autres. »

Ne croirait-on pas entendre parler un alchimiste? Autant de mots, autant d'erreurs. A part le fait controuvé de la présence du cinabre, un homme de science devait savoir que le cinabre ne se décompose pas à la simple chaleur du soleil; que même dans ce cas, le mercure n'attendrait pas la nuit pour se condenser, et que, à moins d'une abondance prodigieuse, on n'en trouverait pas dans des fleurs à proximité. Un paysan loustic aura fait remarquer à quelqu'un les gouttes de rosée matinale qui tremblent dans le calice des fleurs, et auxquelles les feux du soleil levant communiquent l'éclat du métal. Peut-être lui aura-t-il fait accroire qu'il s'agissait là de vif-argent, et la chose colportée aura été gravement avalée par Rozin.

Les ancêtres de nos chevaliers d'industrie.

L'humanité a eu de tout temps un faible pour l'exploitation des mines. On l'a dit avec raison, au fond de tout homme il y a un joueur. Or l'exploitation des mines satisfait cet instinct de jeu qui est en nous. Par ses péripéties soudaines, par ses gains extraordinaires et subits, par l'incertitude qui plane toujours sur ses résultats, cette industrie tient l'homme dans une fièvre perpétuelle. Une fois que certains tempéraments ont goûté de ce jeu, ils ne peuvent plus s'en passer, et alors il se trouve toujours quelqu'un pour exploiter cette passion, qui, arrivée

(1) ROZIN, Essai sur l'étude de la minéralogie avec application au sol français et surtout à celui de la Belgique. Brux., in-8°, 1802. imp. Cutot, 332 pp. de texte, XXXVI pp. de tables.

à un certain degré, ôte, comme toutes les passions, sa clairvoyance à l'homme.

Un des princes dont le nom est resté le plus sympathique aux Belges, Charles de Lorraine, avait un goût très vif pour l'industrie et les mines. Il a rendu de grands services à notre pays en y introduisant plusieurs industries nouvelles, et il était passionné pour la recherche des mines.

Notre pays ne lui offrant pas, à cet égard, toutes les satisfactions qu'il aurait désirées, il se trouva naturellement quelqu'un pour les lui fournir (1). Nous trouvons des détails sur ce point intéressant du caractère du grand prince dans un beau travail que M. Éd. Laloire a fait paraître sous le titre suivant: LALOIRE ED., Recherches de mines dans les Ardennes en 1754. (Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liége, t. X, 1896, pp. 295-313.) Je renvoie à ce travail très complet ceux qui seraient désireux d'en savoir davantage. Qu'il me suffise de dire qu'un seigneur d'Arquennes, du nom de G.-J. de Moors, fut chargé de parcourir les Ardennes à la recherche de mines et d'objets anciens dignes de figurer dans le cabinet d'histoire naturelle du Prince, tels que fossiles et minéraux. Le travail de M. Laloire est plein de détails intéressants sur les pérégrinations de de Moors, sur ses rapports fantastiques et aussi sur les sommes qu'il soutira au budget des fonds secrets (gastos secretos) de l'époque. M. Laloire termine son travail par une intéressante liste des mines découvertes par de Moors. Parmi celles-ci, il en est qui ont réellement existé et qui ont été exploitées depuis, mais l'indication de mines d'or, d'argent, de cuivre, d'étain et de soufre dans de nombreuses localités belges suffit assez pour montrer que si, pendant la période 1734 1735, il émargea largement aux fonds secrets, ses découvertes n'enrichissaient pas notablement la nation ni ses protecteurs.

Une légende minière.

L'homme est partout le même, et sous l'empire des mêmes circonstances, sans qu'il s'en doute, il pose les mêmes actes et il forme les mêmes jugements. Des gens qui n'ont jamais eu la moindre relation

(1) C'est au cours de la lecture de ma communication que M. Cumont m'a engagé à y faire figurer l'histoire de ce détail de la vie de Charles de Lorraine que je connaissais par le travail de M. Laloire. J'ai acquiescé volontiers à son conseil, le travail en question étant d'ailleurs publié dans une revue peu répandue. C'est du reste aux recherches de notre confrère, M. G. Cumont, que le travail de M. Laloire dut d'avoir vu le jour,

seraient bien étonnés si on leur montrait que d'autres ont eu, sur les mêmes sujets, exactement les mêmes idées. Cette réflexion m'est déjà venue plus d'une fois à l'esprit et encore tout récemment dans une circonstance nouvelle, à propos de recherches de charbon que l'on fait quelquefois dans des régions impossibles, sur les indices les plus vulgaires. Qu'arrive-t-il dans ce cas? Les recherches ne peuvent donner et ne donnent en réalité aucun résultat. Mais pour les gens du pays, désappointés dans leur espoir de voir leur contrée s'enrichir soudainement, les choses ne paraissent pas aussi simples. Il s'établit dans leur cerveau, surtout quand le temps a jeté sur les recherches son voile obscurcissant, il s'établit, dis-je, une opinion plus légendaire. Une recherche de mines doit toujours réussir. Donc, si elle n'a pas réussi, ce n'est pas faute de trouvailles, mais c'est parce qu'il y avait des gens intéressés à sa non-réussite. Voilà le thème sur lequel se brode la légende à laquelle je veux consacrer ces quelques lignes. Et comme on va le voir, quel que soit le pays, on ne se met pas en frais, la légende reste identique à elle-même.

On a fait en Belgique, il y a bien des années, à Sart-Messire-Guillaume, hameau de Court-Saint-Étienne, des recherches de charbon qui avaient alors quelque apparence de fondement, car elles se faisaient dans les phyllades noirs graphiteux de l'assise cambrienne de Mousty (Rv. Revinien de la Carte géologique belge). Des gens sans connaissances géologiques pouvaient s'y laisser prendre, mais le succès était impossible. Lorsque je suis allé visiter ces recherches, je ne suis laissé dire que les recherches avaient abouti et que l'on avait trouvé du charbon. Que si aucune exploitation ne s'en était suivie, c'est que les charbonniers du pays de Charleroi, alarmés de la concurrence que ce charbon allait leur faire, étaient accourus, avaient tout acheté et comblé les puits de recherches pour faire croire à un insuccès.

Voilà l'histoire dans toute sa simplicité. Faisons une petite excursion en Angleterre : nous allons la retrouver absolument pareille, les personnages seuls auront changé et les gens de Charleroi feront place à ceux de Manchester.

En étudiant un jour les couches inférieures au Houiller productif, mon attention fut attirée par des traces de puits creusés dans des couches de schiste noir appartenant à l'assise appelée en Angleterre Yoredale beds et qui correspond à notre assise stérile de Chokier. Ces schistes, qui se trouvaient sur le bord du bassin houiller de Burnley dans le Lancashire, ne renferment jamais de traces de couches de charbon. Un paysan m'a cependant soutenu sur place que du beau charbon gras

y avait été trouvé, mais que les gens de Manchester, par crainte de concurrence, avaient corrompu les chercheurs et fait tout combler.

Il a paru, il y a très peu de temps (1), un ouvrage très curieux où sont relatées les tentatives séculaires que l'on a faites pour trouver du charbon dans le département des Ardennes françaises. Un passage de ce livre m'a frappé. On y rapporte que dans une de ces recherches, on aurait rencontré du charbon. Malheureusement, au dire des gens du pays, la découverte n'a eu aucune suite, car les Belges, etc. Je n'ai pas besoin de vous dire le reste de l'histoire. Elle est calquée sur les deux autres. Rien n'autorise la moindre idée qu'on aurait en réalité trouvé du vrai charbon.

Il est inutile de dire que tous ces racontars .sont faux. Si des découvertes avaient réellement été faites, les Anglais, les Belges et même les gens des environs de Charleville sont assez industrieux et assez intelligents pour savoir qu'en pareil cas il y a quelque chose de beaucoup plus profitable à faire que de combler des puits par crainte d'une concurrence. Et ce quelque chose, c'est d'exploiter le charbon découvert, quitte aux charbonniers de Charleroi, de Manchester ou de Liége à se tirer d'affaire avec la concurrence. Lorsque des découvertes ont été réelles, ce n'est pas le silence qui se produit, c'est la fièvre de l'or, la fièvre du phosphate ou, comme tout récemment en Campine, la fièvre noire, qui révolutionnent les pays.

M. Kemna. La communication de M. Stainier prouve une fois de plus qu'il y a toujours avantage et intérêt à relire les vieux livres. Il n'est même pas nécessaire de remonter de cent ou cent cinquante ans en arrière. La science de la nature a si rapidement progressé que souvent les opinions d'il y a une cinquantaine d'années à peine nous frappent d'étonnement. J'en citerai deux exemples, qui peuvent figurer sans déshonneur dans la galerie de M. Stainier.

En rassemblant les matériaux pour une esquisse biographique de Gegenbaur (publiée par la Société zoologique et malacologique de Belgique), je suis tombé sur un travail sur l'embryologie des mollusques terrestres. Gegenbaur constate que les globules de segmentation de l'œuf n'ont pas de membrane; il leur dénierait le caractère de cellules, si la suite du développement ne montrait que les vraies cellules avec

(1) L. Duquénois, Historique des recherches et théorie géologique du bassin houiller ardennais, broch. grand in-12, 1903, 120 pp., 3 cartes, Mézières-Charleville, éditée par le journal L'Usine.

membrane ne peuvent provenir que de ces globules nus. Le travail date de 1850; à cette époque, la membrane était considérée comme une partie essentielle et nécessaire de l'organisme cellulaire. Gegenbaur n'a pas pu constater des contractions de la substance fondamentale de l'œuf (nous dirions aujourd'hui : des mouvements améboïdes du protoplasme), fait avancé par Dujardin; en conséquence, il déclare ne pas pouvoir accepter la notion de sarcode. Gegenbaur, rejetant la notion de sarcode, nous semble chose à peine croyable.

Un des faits les mieux acquis de la paléontologie est l'imperfection du squelette interne des Poissons primitifs; l'ossification n'a que fort graduellement remplacé le cartilage autour de la corde, comme cela a lieu encore aujourd'hui dans le développement individuel des poissons osseux. Cette concordance entre l'évolution paléontologique et l'embryologie a été signalée par Agassiz. Or, la Bibliothèque royale de Bruxelles possède l'exemplaire de Johannes Müller des Poissons du vieux grès rouge (1844). Cet exemplaire, comme celui du grand ouvrage Les Poissons fossiles, porte beaucoup de notes au crayon, des rectifications sur les planches, etc. Certaines de ces notes, par exemple sur les tableaux de classification, sont remarquables par leur prescience. A la page 60, à côté du passage où cette belle généralisation est développée, se trouvent écrits les mots : « Dummes Zeug », en bon français, mais peu académique : « Des bêtises >>.

M. Kemna lit à son tour une note bibliographique concernant la première partie du nouvel ouvrage du professeur Zittel intitulé : Grundzüge der Paläontologie (Paläozoologie), 1e Abth., Invertebrata.

Ce travail prendra place dans le Bulletin bibliographique, publié en annexe à la séance.

La séance est levée à 10 h. 50.

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