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qui aura bien certainement eu comme résultat de faire respecter mieux, ultérieurement, les vérités acquises de la science et l'énorme progrès qu'elles ont fait faire à nos connaissances sur le passé de la Terre. Il reste d'ailleurs suffisamment de points douteux ou difficiles à éclaircir pour que les bases immuables des vérités scientifiques acquises puissent rester à l'abri de critiques de la nature de celles dont s'est occupé ici M. de la Vallée.

Passant rapidement en revue la plupart des autres exposés énumérés plus haut, écrits dans une langue châtiée et élégante, d'une plume alerte et facile, et toujours d'un intérêt captivant, nous dirons que l'exposé des Explorations géologiques à l'Ouest des États-Unis constitue un tableau grandiose et vraiment évocatif de l'œuvre colossale entreprise par les savants et les explorateurs américains au sein d'une nature sans pareille.

Ce sont les rapports officiels de Hayden, alors chef du Service géologique, qui inspirèrent à M. de la Vallée son merveilleux tableau de cette région incomparable constituée par l'Ouest américain, et il vivifie ses descriptions aussi bien d'une poésie intense que d'un intérêt scientifique extraordinaire, au point que celui qui, comme l'auteur de ces lignes, a eu l'heureuse chance de parcourir ces régions merveilleuses, se surprend à ne pas concevoir comment M. de la Vallée a pu faire un exposé si parfait sans avoir ressenti par lui-même les impressions que décrit si bien son œuvre. Cela est surtout vrai pour la région des cañons et particulièrement du Gardiner, du Colorado, du Parc du Yellowstone.

Les considérations que fait valoir l'auteur, dans la seconde partie de son travail, sur l'utilité de l'étude comparée des faunes anciennes américaines et européennes, sont suivies de données relatives aux faunes secondaire et tertiaire de l'ancien et du nouveau monde, et les êtres à la fois étranges et gigantesques de la faune secondaire d'Amérique fournissent encore à M. de la Vallée des pages pleines d'intérêt, malgré l'extension et le développement des recherches et des découvertes paléontologiques faites depuis lors. La comparaison des flores tertiaires américaines et européennes vient compléter ce remarquable tableau, dont la lecture reste encore actuellement une superbe évocation devant inspirer à ceux qui n'ont point parcouru l'Ouest américain le désir ardent de le visiter, et à ceux qui ont eu cette bonne fortune, l'impression qu'ils s'y retrouvent encore en lisant les pages éloquentes et si évocatrices du savant professeur de Louvain.

Dans son étude Paléontologie et Darwinisme, l'auteur défend, avec une conviction et une science qui l'honorent, la thèse qui pourrait à d'aucuns paraître tout indiquée par ses opinions philosophiques et religieuses, mais qui résultait tout simplement, chez la plupart des hommes de sa génération, des idées alors courantes, d'après l'état de la science de cette époque. M. de la Vallée exposa sa thèse de 1875 en galant homme, que préoccupe seulement sa conviction scientifique, et il le fit avec une probité scientifique parfaite, sans exclusivisme mesquin et aussi avec une ampleur de vues qu'indique nettement le passage suivant (Revue des questions scientifiques, 1875, p. 315) :

S'ensuit-il de tout cela que l'on puisse se refuser à toute idée d'évolution parmi les êtres organisés et nier absolument tout indice de lien génétique entre les êtres différents? Il serait erroné de le soutenir dans l'état actuel de nos connaissances. L'histoire géologique du règne animal et du règne végétal, prise en bloc, accuse incontestablement une marche progressive qui débute par des êtres d'une organisation simple pour aboutir à ceux d'une organisation élevée. Il n'y a rien de mieux établi. La diversité et la beauté des formes, le progrès par l'élévation de la structure, par la spécialisation des organes et notamment des organes les plus nobles, se sont manifestés toujours avec plus d'ampleur et n'ont atteint leur apogée que depuis les derniers âges de la planète. Cet accroissement, d'ailleurs, ne s'est pas produit en une fois; il ne s'est pas davantage opéré suivant une gradation continue; il a marché par étapes, par saillies, non sans quelques retours en arrière et un peu comme le flux de l'océan. Dans un développement historique de ce genre, la pensée que ce qui précède est la préparation de ce qui suivra et qu'il existe quelque rapport intime entre les termes consécutifs, cette pensée s'impose presque nécessairement à l'esprit.

Les opinions sur l'évolution paléontologique et le Darwinisme que M. de la Vallée avait en commun avec la plupart des hommes de son temps, se sont modifiées, je m'empresse de le faire remarquer, à mesure que la science progressait et que les faits se prononçaient de plus en plus en faveur du Transformisme. En 1875, nous le voyons adversaire de l'évolution par transitions insensibles et partisan des changements assez brusques, parce que c'était la solution que semblait dicter la Paléontologie de ce temps-là. Plus tard, lorsque certaines lacunes paléontologiques furent comblées, il comprit que l'évolution avait été plus progressive qu'il ne l'avait cru d'abord. Il reçut avec joie, avec un enthousiasme dont un de ses collègues de Louvain fut le témoin, de la voie indiscutable des faits, cette conclusion qui s'accor

dait mieux que toute autre avec les tendances de son esprit profondément religieux et philosophique, et avec une intelligence lui permettant d'écarter de puériles thèses d'incompatibilité n'ayant rien à voir à un raisonnement sincère et approfondi de ces graves questions philosophiques.

La manière dont avait parlé, en 1873, des cañons du Colorado le savant professeur de Louvain dans son exposé des explorations géologiques de l'Ouest des États-Unis, fait trouver tout naturel que l'apparition de la merveilleuse étude monographique et de l'atlas du capitaine Cl. Dutton, publiés à Washington en 1882, sur l'histoire tertiaire du « Grand Cañon District », ne pouvait manquer de rappeler sur ce sujet fécond l'attention de M. de la Vallée.

Dans son étude sur les Excavations naturelles du Colorado, il fait un exposé à la fois pittoresque, évocatif et des plus intéressants de cette partie merveilleuse, et unique au monde, de la vallée du Colorado, qui coule au fond du sillon qu'il s'est creusé de 1000 à 1500 mètres audessous des plateaux qui le bordent, dominés eux-mêmes par 6 à 800 mètres de collines et hauteurs avoisinantes, témoins épars d'une plaine plus ancienne encore.

Certes, les magnifiques planches en couleurs de l'atlas du capitaine Dutton ont dû faciliter à M. de la Vallée sa tâche descriptive de la section du Cañon dont le plateau Nord porte le nom de « Kaibab »; mais quel talent d'évocation n'a-t-il pas fallu cependant à l'analyste perspicace pour rendre avec tant de justesse l'impression colossale et extraordinaire de cette merveille des merveilles géologiques!

Il est vrai qu'il avoue sincèrement n'avoir fait que résumer fidèlement l'impression des contemplateurs de ces ruines plus merveilleuses que celles de Thèbes et d'Ankor et avoir même emprunté leurs expressions. A la demande qu'il fait si la réalité est à la hauteur des descriptions américaines, tous ceux qui ont vu répondront sans aucun doute affirmativement, car le spectacle est non seulement merveilleux, mais absolument impressionnant, au point même, j'en puis parler en connaissance de cause, d'arracher des larmes d'émotion à celui qui, confondu par la grandeur du spectacle, en subit, écrasé, toute la sublimité.

L'élucidation des causes physiques ayant constitué la genèse du Grand Cañon a été entreprise par MM. Gilbert et Dutton. Comme le fait remarquer M. de la Vallée, la simple application, par ces subtils observateurs, de phénomènes et de lois bien connus, résout aisément

le problème qui a, d'ailleurs, une portée doctrinale universelle incontestable dans son élégante solution régionale.

M. de la Vallée, après eux et d'après leurs conclusions, le reprend avec une maëstria parfaite, et il est bien difficile de résister au désir de reproduire de multiples citations de son exposé lumineux, qui se résume en ce fait qu'un massif de près de 900,000 kilomètres carrés, soit de trente fois la superficie de la Belgique, possède une rare simplicité et unité de structure géologique. La série régulière des terrains primaires, secondaires et tertiaires s'y présente, à partir de la base du Carbonifère, en succession concordante, c'est-à-dire en couches presque toujours et uniformément horizontales ou très faiblement inclinées. Contrairement à ce qui se passe habituellement en Europe, il n'y a eu ici ni plissements ni redressements de couches. Une série de failles se borne à découper le tout en compartiments, diversement relevés les uns par rapport aux autres, mais toujours restés horizontaux.

Or, entre la direction des rivières de cette curieuse région et les accidents de relief actuel, il y a une indépendance absolue, de même que les failles elles-mêmes n'ont nullement servi de jalons conducteurs; elles sont, en effet, transversales au Rio Colorado et indépendantes du réseau fluviatile adjacent. Tout ce réseau fluvial est, dit M. de la Vallée, comme jeté au travers des plateaux et des massifs les plus épars, rencontrant indifféremment dans le trajet les dépressions et les régions élevées. Des obstacles paraissant infranchissables sont traversés dans des tranchées à parois escarpées de plusieurs milliers de pieds de hauteur, et les eaux coulent dans le sens des bancs comme à contresens, leurs sinuosités étant indépendantes de la disposition du chenal, soit qu'elles y coulent à plein bord, soit dans des profondeurs de 500 mètres. La dureté et la solidité relatives des roches ne paraissent pas avoir plus d'influence que les inégalités de la surface dans le drainage général de la contrée.

Le savant professeur de Louvain remarque à ce sujet que, sauf l'ampleur du phénomène, celui-ci se représente dans nos contrées, où le Rhin et la Meuse en fournissent des exemples frappants.

Ces conditions, énigmatiques au premier abord, résultent tout simplement de ce que la direction des cours d'eau a été fixée antérieurement à la formation des accidents topographiques actuels de la contrée qu'ils arrosent. Ces rivières, en un mot, sont plus anciennes que les pays qu'elles traversent!

Deux facteurs ont opéré : un temps immense, consacré tant au creu

sement qu'au phénomène d'érosion et de destruction des terrains avoisinants par les agents atmosphériques, et l'exhaussement plus ou moins continu du sol. Et c'est tout!

Cette conclusion permet à M. de la Vallée de revenir sur le cas de la Meuse dans sa traversée du haut massif à roches dures de l'Ardenne et lui fournit une preuve des plus concluantes du bien fondé des vues qu'il avait exposées en 1885 à la Société géologique de Belgique. Il revient sur cet intéressant problème et, montrant que les progrès du creusement étaient en relation directe avec la rapidité des eaux, facteur elle-même de la pente et dérivée de l'intensité et de la rapidité du mouvement général et de l'exhaussement du sol, il arrive à montrer que, aussi longtemps que le sol de la Belgique et celui de l'Ardenne française conserveront leur stabilité actuelle, s'opposant à l'augmentation de vitesse des eaux courantes et aux progrès de creusement, la profondeur des cañons de la Meuse n'augmentera pas. Mais vienne une période de reprise du mouvement de surrection et de poussée ascensionnelle, se prolongeant, par exemple, pendant de nombreux milliers d'années, aussitôt le processus opératoire du creusement reprendra et les cañons de la Meuse augmenteront proportionnellement au relèvement général du pays.

Pour terminer sa belle étude, M. de la Vallée expose, d'après MM. Dutton et Gilbert, les motifs de la raideur et de la continuité des cañons sillonnant le Colorado et semblables à des amoncellements de murs verticaux empilés en retrait les uns sur les autres. Le phénomène est dû à l'allure restée horizontale de couches formées d'une succession alternante de roches massives et résistantes, gréseuses et autres, et de roches tendres et friables. La discussion de l'âge du processus de dégradation d'un tel ensemble colossal de couches forme la partie finale, des plus intéressantes, de cette belle étude, dont on ne saurait trop recommander la lecture, surtout à ceux qui veulent se rendre compte des motifs pour lesquels de tels aspects ne s'observent pas dans nos contrées d'Europe.

La question du temps nécessaire à un tel travail de burinage et de ciselure du sol terrestre s'impose à la fin de ce bel exposé.

Voici comment y répond sagement M. de la Vallée :

Les dénudations générales qui ont produit les terrasses du grand plateau ont exigé, comme on l'a dit, une durée immense. Mais les membres du Service américain pensent que la gorge centrale descendue par le fleuve a dù se former dans un temps beaucoup plus court. D'après certains indices, le creusement de cette fissure, profonde de 1000 à 1500 mètres, aurait pu

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