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La terrible catastrophe qui, le 8 mai dernier (1902), détruisit de fond en comble la malheureuse ville de Saint-Pierre en Martinique, faisant des milliers de victimes; les éruptions successives du Mont-Pelée pendant cette même année; celles de la Soufrière en l'île Saint-Vincent; enfin celles de la région volcanique du Guatemala, nous ont montré la périphérie du golfe du Mexique en pleine ébullition. Quoique ces phénomènes aient affecté une région circonscrite, celle-ci n'en occupe pas moins une surface considérable, démontrant une connexion intime entre ces diverses manifestations souterraines et excluant toute idée d'accident purement local.

De nombreuses hypothèses ont été émises sur les causes provoquant les phénomènes volcaniques; les événements désastreux de l'an 1902 en firent éclore de nouvelles. Les infiltrations d'eau marine, les actions chimiques, les courants magnétiques, l'action luni-solaire, etc., servirent de bases à ces hypothèses; l'accord est loin de s'établir et les divergences d'opinion, qui ne font que s'accroître, semblent démontrer qu'aucune d'elles ne donne de solution satisfaisante et surtout complète de cette question complexe. Aussi M. Bonney, l'éminent profes

(1) Communication faite à la séance du 16 janvier 1903 de la Société belge de Géologie, de Paléontologie et d'Hydrologie. — Voir les Procès-Verbaux, où le résumé du présent travail se trouve suivi d'un exposé relatif à cette communication, présenté par M. E. Van den Broeck sous le titre Nouvelle théorie de l'explosion volcanique, basée sur la combinaison des vues de M van Ertborn avec les expériences et thèses de MM. A. Gautier et A. Brun et avec la théorie de M. A. Stübel.

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seur de géologie à l'Université de Londres, émet-il l'espoir que la découverte d'une loi physique nouvelle en fournira l'explication. En tout cas, si la cause qui maintient ou rend les roches à l'état de fusion est encore obscure, il n'en est pas moins certain que deux causes fort différentes provoquent le mouvement ascensionnel des déjections volcaniques, soient :

1° La force expansive de la vapeur d'eau et des gaz;

2o L'action de la pesanteur.

La première provoque les courants impétueux qui entraînent les poussières, les cendres, les lapilli, les ponces, les éléments légers en un mot; à l'état explosif, elle projette les bombes volcaniques et les débris de roches; tous les mouvements violents et rapides sont donc

son œuvre.

La seconde, amenant les mouvements lents, ne peut être que l'action de la pesanteur, agissant par contre-pression, et amenant lentement les laves jusqu'au cratère et leur déversement sur les flancs de la montagne. M. William Digby cite à ce sujet la phrase typique de M. Bonney (1): « L'écoulement souvent régulier et pour un temps continu, des laves par une fissure et leur intrusion dans les couches font naître l'idée que la masse fluide est expulsée, comme nous le ferions en pressant un tube compressible contenant de la couleur à l'huile. >>

Remarquons ici que l'idée de compression est nettement émise par l'éminent professeur de l'Université de Londres.

M. Stanislas Meunier, dans le volume si intéressant qu'il vient de publier (2) et que nous avons eu l'honneur de résumer pour les comptes rendus bibliographiques de la Société, consacre un chapitre au volcan; l'auteur ne paraît pas partager les idées exposées précédemment sur l'extravasement des laves. Ses idées, dont quelques-unes sont en désaccord avec celles généralement admises, peuvent se résumer de la manière suivante :

L'auteur considère le volcan comme un appareil hydraulique par lequel l'eau accomplit une circulation verticale. On évalue à une vingtaine de milliers de mètres cubes la quantité d'eau supposée liquide rejetée par jour pendant une éruption. La cheminée et le cratère ne sont que les chemins de décharge du laboratoire où les substances rocheuses destinées à devenir lave ou cendres sont soumises à la haute température de la liquéfaction complète, en même temps qu'ils sont les

(1) Natural Law in terrestrial Phenomena, p. 70.

(2) STANISLAS MEUNIER, La Géologie générale, Paris, 1903.

sources d'où dérive l'eau qui doit s'incorporer par occlusion dans le magma, de manière à le rendre FOISONNANT.

Nous soulignons cette dernière phrase et tout spécialement le dernier mot, souligné par l'auteur lui-même; nous ne saurions assez insister sur son importance dans le sujet que nous allons traiter.

Reprenons le texte de l'auteur. Celui-ci fait remarquer que l'idée la plus simple, c'est que la cheminée volcanique se prolonge au travers de toute l'écorce rocheuse et s'alimente dans le noyau non encore solidifié; il se demande ensuite si, sous l'influence de l'eau surchauffée parvenant à son contact, la matière des zones moins profondes et par conséquent solidifiée ne deviendrait pas pâteuse et même liquide, de façon à pouvoir surgir par la cheminée. Il fait remarquer ensuite que par les expériences réalisées d'après la méthode de Sénarmont, on voit des roches et des minéraux perdre leur forme et par conséquent leur consistance bien au-dessous de leur point de fusion. Il lui paraît difficile, sinon impossible, d'admettre que les infiltrations puissent pénétrer à soixante kilomètres, épaisseur probable de l'écorce solide du globe.

<< Notre opinion, ajoute M. S. Meunier, fondée sur plusieurs ordres de considérations, c'est que le volcan est alimenté en eau par l'écroulement le long des failles souterraines, de blocs pourvus de l'eau d'imprégnation, qui caractérise les assises les moins profondes de la croûte du globe. » On avait déjà opposé à cette idée, émise précédemment par l'auteur, que les volcans émettent aussi d'autres gaz et que ceux des îles Hawaï rejettent, non de la vapeur d'eau, mais de l'acide chlorhydrique; des chlorures, comme le sel gemme, pourraient produire ce dernier gaz.

L'auteur fait remarquer ensuite que les laves, même les plus anciennes, contiennent des cavités et en sont même criblées; le peu de densité, le caractère poreux des lapilli et des cendres volcaniques sont trop connus pour qu'il y ait lieu d'insister à leur sujet.

Enfin l'eau de carrière contenue dans les roches effondrées abaisserait, en se volatilisant, le point de fusion des roches et leur communiquerait la propriété foisonnante, qui les rend volcaniques. Plus loin, M. S. Meunier ajoute encore : « La vue des éruptions volcaniques nous apprend que l'ascension des laves jusqu'au sommet de l'Etna, c'est-à-dire à 3000 mètres de hauteur, est en tout point comparable à l'extravasement d'une eau gazeuse ou du vin de Champagne, hors de la bouteille restée debout, mais dont le bouchon a été brusquement enlevé. »

Cette théorie, telle que l'expose M. Stanislas Meunier, nous parait tout

au moins incomplète. Le phénomène de l'écoulement des laves est toujours lent et ne se produit pas brusquement; l'auteur n'indique pas a force souterraine qui le rend continu, au moins pendant un certain temps; nous en parlerons plus loin. Il n'admet pas que les eaux d'infiltration puissent traverser l'écorce solide du globe, épaisse d'une soixantaine de kilomètres, selon toutes probabilités, mais il admet que les laves peuvent suivre le chemin inverse et provenir d'une très grande profondeur. Il est incontestable que l'eau ne peut parcourir, en cheminant comme eau de carrière, toute l'épaisseur de la croûte terrestre, mais il est de fait que les régions volcaniques sont caractérisées par de grandes et nombreuses failles, que la cheminée se trouve probablement au point d'intersection de deux d'entre elles, que les mouvements sismiques si nombreux et si puissants dans les régions volcaniques ont dû fissurer les roches en tous sens et ouvrir des voies faciles d'infiltration aux caux.

L'accès des eaux en profondeur n'est donc pas aussi difficile que paraît le croire M. S. Meunier, et cela d'autant plus que leur mouvement est activé par l'action directe de la pesanteur.

Il est incontestable que des parties de roches peuvent se détacher des parois de la cheminée, des massifs considérables même formant partie de l'écorce terrestre et servant de soubassement à la montagne, peuvent aussi s'effondrer dans le magma liquide, se fondre et donner naissance à une certaine quantité de vapeur d'eau; mais l'eau de carrière seule nous paraît insuffisante pour en fournir une quantité aussi considérable, d'autant plus que les roches primaires ne sont guère poreuses; on peut même se demander si les éléments constitutifs de ces roches ne pourraient pas fournir l'un des gaz générateurs de l'eau.

Personne n'ignore que le plus grand nombre des volcans sont situés dans le voisinage de l'Océan, mais il en est d'autres, dans les Andes, qui en sont distants de plus de 250 kilomètres, quoiqu'une telle distance, dans la question qui nous occupe, puisse être considérée comme minime. On cite, il est vrai, un volcan situé en Mandchourie, éloigné d'un millier de kilomètres de la mer. Il est possible que dans ce cas isolé, les eaux souterraines agissent comme les eaux marines. Leur action si importante en géologie n'est étudiée que depuis peu et cette étude n'a pas encore dit son dernier mot.

Dans une communication des plus intéressantes, faite à la séance de la Société du 16 décembre dernier, M. Kersten nous disait, au sujet du coup d'eau survenu au charbonnage du Levant du Flénu, en juillet dernier, que la quantité s'élevait à plus de 30000 mètres cubes; cette

eau fossile, car elle ne pouvait, vu sa composition chimique, provenir des morts-terrains, contenait par litre 56 grammes de chlorure de sodium en dissolution, soit près de 1700 tonnes de ce sel. En contact avec de la lave, cette eau aurait produit de l'acide chlorhydrique, comme le fait remarquer M. A. E. Verrill dans The American Journal of Science (1). Dans la plupart des volcans, dit-il, la température de la lave doit atteindre 3000°; si cette lave vient en contact brusque avec de l'eau marine, le chlore du sel sera dissocié du sodium et se combinera avec une partie d'hydrogène. Cette combinaison constituera de l'acide chlorhydrique à l'état gazeux.

Le sondage de Beeringen a rencontré dans le Houiller un amas d'eau saturé de sel. Les gisements de l'espèce ne sont donc pas bien rares et leur rôle dans les éruptions ne peut être considéré comme une impossibilité.

Il nous semble donc que les eaux de toutes provenances peuvent intervenir dans les éruptions volcaniques, et l'avenir nous apprendra peut-être de quelle manière dans chaque cas se produit leur intervention.

La partie de la théorie de M. St. Meunier qu'il nous paraît difficile d'admettre est celle où il attribue l'entraînement et le déversement des laves à une hauteur considérable, à une action absolument semblable à celle que produit l'extravasement du vin de Champagne, lorsque la bouteille est brusquement débouchée.

Les événements de la Martinique ont, semble-t-il, élucidé la question; s'il y eut débouchage brusque, ce fut bien en ce point, et les laves auraient dû être entraînées comme un torrent le 8 mai, et cela avec d'autant plus de raison que l'éruption eut lieu par une fissure latérale de la montagne et non par le cratère. Or il n'en fut rien, et l'écoulement de la lave ne commença à se produire que vers la mi-décembre, soit plus de sept mois plus tard.

Le caractère explosif n'a donc aucun rapport avec les épanchements de laves à des hauteurs considérables, et tout semble indiquer que c'est la contre-pression, soit l'action de la pesanteur, qui permet aux laves de s'épancher à 3 000 et même à 6 000 mètres de hauteur. Elles montent donc comme un bouchon abandonné au fond de l'eau remonte à la surface et comme l'aérostat s'élève dans les airs sous l'action de la

(1) Vol. XIV, July 1902, pp. 72 à 74. Voir aussi le présent BULLETIN, t. XVI, Traductions et Reproductions, pp. 66 à 68. Trad. de M. Halet.

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