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et, à une certaine distance de celle-ci, des eaux superficielles véhiculant des bactéries pathogènes, ces bactéries pathogènes sont-elles susceptibles d'atteindre la source considérée et quelle est la vitesse maxima avec laquelle elles sont capables d'arriver à cette source?

Certes, l'expérience à la fluorescéine ne répondra pas catégoriquement à cette question. Seule fournirait une réponse à peu près indiscutable une expérience effectuée avec la même espèce de bactéries pathogènes ou avec des bactéries inoffensives sensiblement comparables quant à leurs conditions de résistance par rapport aux milieux traversés. Mais les expériences effectuées au moyen de bactéries exigent des conditions d'installation toutes spéciales et dans de nombreux cas, on devra se contenter des indications fournies par les expériences à la fluorescéine.

Par suite, il faut que l'expérience à la fluorescéine indique nettement la vitesse maxima de propagation de l'eau sous terre, afin de connaître la vitesse maxima avec laquelle les bactéries pathogènes pourraient réapparaître à la source étudiée.

Des différentes discussions qui ont jailli au sein de la Société, on peut tirer cette conclusion : c'est qu'on ne sait pas au juste ce qu'il faut appeler vitesse de propagation de la fluorescéine, ni même vitesse moyenne de propagation. Mais un fait a été nettement mis en évidence et accepté par tous, c'est que la coloration produite par la fluorescéine ne se propage pas uniformément et qu'il existe une tête dans cette coloration. Et cette tête de coloration peut se diviser elle-même en coloration invisible au fluorescope actuel, coloration visible au fluorescope, coloration visible à l'œil nu.

Plus la quantité de fluorescéine véhiculée par les eaux souterraines dans l'unité de temps sera importante, plus la coloration de ces eaux sera intense et plus il y aura de chances pour que la tête de coloration n'échappe pas à l'observateur. Il faut donc se placer dans des conditions telles que la plus grande masse de la fluorescéine employée arrive le plus rapidement possible aux eaux souterraines.

Est-on toujours placé dans des conditions pareilles? Nous ne le croyons pas, surtout si on n'emploie que de faibles quantités de colorant.

Lorsqu'on effectue une expérience à la fluorescéine en déversant de cette substance dans des eaux superficielles disparaissant dans le sol, il est bien rare que ces eaux s'engouffrent subitement par une cheminée ouverte depuis le niveau où circulent les eaux souterraines jusqu'à la surface du sol, et qu'on soit par suite à même de jeter la matière colorante dans un puits naturel ou artificiel parcouru par un courant souterrain.

En général, on exécute des expériences à la fluorescéine sur des bétoires dont le fond est plus ou moins obturé par des matériaux d'éboulis et qui sont séparés du niveau souterrain des eaux par une épaisseur plus ou moins grande de terres ou de roches. Si l'on opère dans ces conditions, le flot d'eau colorée, que l'on précipitera dans le bétoire, n'atteindra pas d'un seul coup la nappe souterraine. Il se divisera. Même si on opère avec de la fluorescéine en morceaux, dissoute dans de l'eau, c'est-à-dire avec la fluorescéine la plus pure, une grande partie de cette substance se déposera sur toutes les particules terreuses ou rocheuses par simple action mécanique et ce ne sera qu'au bout d'un nombre d'heures très variable, mais toujours très grand, que les matériaux constituant le fond du bétoire et ceux situés au-dessous de ce dernier seront lavés complètement et débarrassés des dernières traces de fluorescéine qui s'y trouvent déposées. Par suite, la quantité de fluorescéine qui arrivera subitement aux eaux souterraines sera loin d'égaler la quantité de fluorescéine employée.

Mais on ne peut opérer toujours sur un bétoire dont le fond est constitué par des terrains remaniés et ne retenant que peu la fluorescéine. Bien au contraire, on est fréquemment obligé d'effectuer l'expérience dans un lit perméable de ruisseau, où l'eau s'infiltre progressivement sur plusieurs centaines de mètres de parcours, ou encore sur une prairie perméable, de plusieurs ares de superficie. Dans ces conditions, les quantités de colorant, retenues mécaniquement pour quelques heures ou quelques jours, seront autrement importantes et la quantité de fluorescéine arrivant jusqu'à un niveau souterrain, dans le minimum de temps, sera infiniment plus faible. Il faudra forcer la dose de fluorescéine employée afin d'avoir une tête de coloration aussi prononcée que possible et afin de calculer la vitesse de propagation de la fluoresceine avec la plus grande approximation possible.

Une autre considération, mise en relief par MM. Fournier et Magnin. pousse à employer de grandes quantités de fluorescéine. Il peut être utile, dans certains cas, d'obtenir des colorations visibles à l'oeil nu, afin que les populations et les partis politiques locaux ne puissent mettre en doute les résultats obtenus. MM. Fournier et Magnin citent les cas des sources d'Arcier et de Foules (1). Nous citerons pour notre part l'expérience que nous avons eu l'occasion de faire pour la ville d'Auxerre en 1902.

Certains travaux, effectués aux environs d'une galerie filtrante, nous

(1) E. FOURNIER ET MAGNIN, loc. cit.

avaient amené à penser que les eaux, recueillies dans cette galerie de captation et délivrées à la population, étaient contaminées depuis l'exécution de ces travaux. Mais ces travaux étaient énergiquement défendus par une certaine partie de la presse locale. Nous fimes alors une expérience à la fluorescéine, mais en ayant soin d'employer un poids suffisant de cette matière pour colorer à l'œil nu les eaux de la galerie de captation. Nous pûmes alors, par la coloration à l'œil nu, prouver à la population que les eaux qu'on lui distribuait étaient réellement contaminées, tandis qu'un examen fluorescopique nous indiqua quelle était la vitesse de la contamination (1).

A ce propos, il est un fait que nous tenons à faire remarquer pour l'avoir maintes fois observé nous-même. La coloration à l'œil nu des eaux d'alimentation jette un certain trouble dans l'esprit des populations et principalement des populations rurales, mais les inconvénients résultant de ce trouble ne sauraient être mis en balance avec les immenses avantages provenant de ce fait que les résultats de pareilles expériences ne peuvent être mis en doute par personne.

D'autre part, pour les expériences où les postes de prélèvement sont multiples, l'emploi de grandes quantités de fluorescéine présente un autre avantage, celui-ci d'ordre pécuniaire et par conséquent pratique. Pour une dépense supplémentaire de fluorescéine d'une cinquantaine de francs, on peut réaliser de très sérieuses économies si l'on obtient des colorations visibles à l'œil nu. A chaque poste de prélèvement on pourra en effet cesser de prendre des échantillons dès que la coloration sera visible, au lieu de continuer à en prendre jusqu'à un nombre d'heures fixé plus ou moins arbitrairement à l'avance. Cette façon de procéder n'empêchera d'ailleurs pas, par l'emploi du fluorescope, de rechercher l'heure précise d'arrivée de la tête de coloration.

Enfin, avec les faibles quantités de fluorescéine, les doubles colorations restent souvent insoupçonnées. C'est ainsi que lors de l'expérience de Chitry que nous avons effectuée le 1er avril 1903 et que nous avons citée dans notre précédente note (2), nous avons eu l'occasion d'observer pour une même source trois colorations. La première, intense au fluorescope, se manifesta le 2 avril; les deux autres, intenses à l'œil nu, se produisirent l'une et l'autre après de grandes chutes pluviales,

(1) M. LE COUPPEY DE LA FOREST, La fièvre typhoide à Auxerre en 1902. (REVUE D'HYGIÈNE ET DE POLICE SANITAIRE, t. XXIV, p. 485.)

(2) M. LE COUPPEY DE LA FOREST, Considérations sur le mode de propagation de la fluoresceine sous terre. (BULL. DE LA Soc. belge de GÉOL., DE PALÉONTOL. ET D'HYDROL., procès-verbal de la séance du 16 juin 1903, p. 259.)

respectivement le 9 avril et le 21 août 1903. Il est de toute évidence que si nous n'avions pas employé de grandes quantités de fluorescéine, tout au moins la troisième de ces colorations aurait passé inaperçue. Jamais nous n'aurions songé à faire continuer les prélèvements depuis le 1er avril jusqu'au 21 août.

Nous sommes donc en droit de dire que l'emploi de grandes quantités de matière colorante permet de noter des faits qui sans cela échapperaient à l'observateur.

Il est un second point sur lequel nous désirerions dire quelques mots. C'est le dépôt de la fluorescéine que nous avons observé dans certaines de nos expériences, mais qui a été nié par plusieurs de nos collègues.

En particulier, les expériences de MM. Van den Broeck et Rahir semblent en contradiction formelle avec les nôtres (1). Mais cette contradiction tient peut-être uniquement à la dissemblance des conditions dans lesquelles les expériences de MM. Van den Broeck et Rahir, effectuées à Remouchamps, et les nôtres, exécutées dans l'Yonne, ont été pratiquées. Aussi croyons-nous utile de préciser les détails de nos expériences.

Parmi les différentes expériences où nous avons eu l'occasion de noter ainsi des dépôts de fluorescéine, celle de Pourly (4 avril 1902) nous semble une des plus typiques.

Dans cette expérience, un ruisseau, débitant 4 à 5 litres à la seconde, se déversait dans un bétoire. Ce bétoire, sensiblement en forme de tronc de cône renversé, large de 3 mètres et profond de 1,50, avait un faible pouvoir absorbant : il n'y disparaissait que les quatre cinquièmes environ de l'eau qui lui parvenait; le ruisseau, à la sortie du bétoire, roulait encore environ 1 litre par seconde. Le sol dans lequel le bétoire était creusé, était constitué par une terre arable et des calcaires fendillés appartenant au Jurassique. Le fond du bétoire était caillouteux et vaseux. Deux kilogrammes de fluorescéine, en morceaux amorphes, la seule fluorescéine que nous ayons employée dans nos recherches hydrologiques, furent dissous dans un certain volume d'eau et déversés dans le ruisseau en amont du bétoire. Au bout d'un certain temps, la masse entière de l'eau contenue dans le bétoire fut colorée et l'eau du ruisseau, à la sortie du bétoire, fut également colorée. Les choses

(1) VAN DEN BROECK ET RAHIR, Expériences sur la densité de la fluorescéine dissoute dans l'eau et sur sa vitesse de propagation. (IBID., procès-verbal de la séance du 20 octobre 1903.)

furent laissées dans cet état et, quarante-huit heures après, nous revinmes sur les lieux. Il n'existait plus trace de fluorescéine, perceptible même au fluorescope, dans l'eau du ruisseau, ni en aval ni en amont du bétoire. Mais, sur les parois de ce dernier, et principalement sur la paroi du fond, une grande quantité de fluorescéine était déposée. Une violente agitation de l'eau dans le bétoire eut pour effet de mélanger à nouveau la fluorescéine à la masse de l'eau et de colorer derechef l'eau du ruisseau à la sortie du bétoire.

Différents facteurs ont pu jouer un certain rôle dans le dépôt de la fluorescéine, tant lors de cette expérience que lors d'autres expériences, à peu près identiques. Parmi ces facteurs, nous croyons devoir relever : 1o La quantité de fluorescéine employée;

2o La nature des parois de la cavité;

3o La nature de la cavité elle-même ;

4° La façon dont l'eau parvenait dans la cavité.

Quantité de fluoresceine employée. Après ce que nous avons dit plus haut, nous croyons inutile d'insister sur le rôle que peut jouer la quantité de fluorescéine employée. Nous rappellerons toutefois qu'avec de faibles quantités de fluorescéine, nombre de phénomènes passent inaperçus lorsqu'on opère sur des eaux de surface ayant une coloration propre ou contenant des matériaux en suspension. Dans l'expérience de Pourly, nous avions employé 2 kilogrammes de fluorescéine, le volume d'eau contenu dans le bétoire étant environ de 4 mètres cubes

(.1,52.1,5), l'eau dans la cavité, au début de l'expérience, était donc colorée au taux de 0.5 gramme par litre. Mais nous ne pouvons comparer, à ce point de vue particulier, l'expérience de MM. Van den Broeck et Rahir avec la nôtre, car nous ignorons quelle quantité de fluorescéine fut utilisée lors des recherches sur les chaudières de Remouchamps.

La nature des parois de la cavité doit jouer un certain rôle; ce rôle est peu connu. Toutefois, il est un fait certain, c'est que le terrain caillouteux et vaseux de notre bétoire présentait toute une série d'aspérités et de recoins, où la fluorescéine se déposa. Il doit y avoir là quelque phénomène d'attraction physique intéressant à élucider. Ce même phénomène ne pouvait se produire aussi librement sur les parois lisses et rocheuses des chaudières de Remouchamps.

La nature de la cavité elle-même doit intervenir également. Les parois des chaudières de Remouchamps n'étaient pas perméables. Les parois du bétoire de Pourly étaient absorbantes. Il y avait, par suite, une aspiration de la masse liquide vers ces parois. Cette aspiration était

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