I E président du conseil municipal, M. de Hérédia, demande qu'on institue libéralement dans toute la France, des bibliothèques communales. On ne saurait trop approuver ces tendances. Les députés, en grand nombre, s'y sont déjà ralliés. Pourtant le projet n'est qu'élaboré, et nous ne pouvons parler encore des bibliothèques communales avec l'autorité que donne la lecture attentive des documents et l'observation sincère des faits. Nous voulons aujourd'hui nous occuper des bibliothèques populaires, origine première des bibliothèques communales projetées, et qui, certainement, auront la vie plus résistante et rendront plus de services que les bibliothèques communales, dont cependant on ne saurait médire qu'avec injustice, puisqu'elles n'ont encore que peu ou point fonctionné. Au fond, il y a, entre les bibliothèques communales et les bibliothèque populaires, une question de protection et de liberté en antagonisme. Dans leur rapport présenté au conseil d'administration de la Société Franklin, à l'appui d'un projet de loi relatif à la fondation et au fonctionnement des bibliothèques populaires, MM. Charles Robert et Henri Faré, pour préciser leur pensée, ont toujours parlé des bibliothèques populaires libres. Il existe donc des bibliothèques populaires protégées? En effet, et ce sont les bibliothèques communales. Les bibliothèques populaires ont pour elles la liberté, la gratuité des services, la solidarité BIBL. MOD. -I. des cotisations, le choix direct et spontané des lectures par les lecteurs même, le ralliement de la famille aux distractions instructives et moralisantes de la bibliothèque, et enfin l'initiative ardente des apôtres de l'idée essentiellement républicaine qui a présidé à cette fondation. Du côté des bibliothèques communales, il y a l'officialisme, le système protecteur avec une velléité de libéralisme qui ne suffirait pas à en assurer le succès, si l'habileté administrative et la vigilance des conseils municipaux, dans les villes et dans les campagnes, n'organisait pas les bibliothèques de façon à défier toutes les immixtions suspectes. Nul doute; M. de Hérédia ne s'est bercé d'aucune illusion. Les bibliothèques communales, une fois fondées, se soustrairont d'elles-mêmes à la protection. Elles se transformeront par la force des choses en bibliothèques populaires libres, et c'est peut-être le seul but que désire atteindre le conseil municipal. La sympathique et républicaine institution des bibliothèques populaires est de fondation entièrement récente. En vingt ans, le succès a dépassé tout ce qu'on pouvait espérer. Il a été immense, on peut déclarer qu'il sera illimité puisqu'en quelques années, depuis 1874, sept mille bibliothèques se sont spontanément établies en France. Ce résultat tient à ce que l'organisation des bibliothèques populaires, avec leurs livres circulant à domicile, ne présente plus rien de défectueux, à ce qu'elles satisfont complètement aux besoins pour lesquels elles ont été créées, à ce qu'elles s'inspirent d'une moralité supérieure et qu'elles sont le mot suprême de la solidarité démo 1 cratique dans son application pratique la plus | maine public de l'intelligence. Elles ne sont profitable, la plus noble et la plus désinté- pas le domaine privé de chaque travailleur intelligent. ressée. On n'est arrivé à cette combinaison harmonieuse et indépendante qu'après des essais qui, tous, n'ont pas été heureux, ni même très favo. risés. On ne s'est point enquis des adhésions gouvernementales, et même, à la fin, on a su les écarter. On a subi beaucoup d'épreuves, aujourd'hui presque toutes surmontées. Ce long effort et l'immensité des services rendus donnent beaucoup d'intérêt à tout ce qui concerne les bibliothèques populaires et au formidable commerce de librairie qu'elles ont inauguré et provoqué. II Le point de départ se retrouve dans les bibliothèques publiques, qu'on a voulu rendre. accessibles à toute heure aux lecteurs de toutes les classes, surtout aux travailleurs, et donner en quelque sorte en propriété aux associés. Les vastes établissements qu'on appelle les bibliothèques publiques et qui appartiennent à l'État, sont le juste objet de l'orgueil national. Elles renferment des richesses précieuses; mais, au point de vue de l'universelle diffusion de l'éducation par la lecture, elles ont le tort de ne pouvoir exister que dans les grands centres et de n'être accessibles que pendant les heures où l'activité journalière retient les employés dans leur bureau et chaque travailleur à ses affaires. Les bibliothèques publiques répondent à des besoins constatés, mais non pas directement populaires. Abondantes en volumes et accessibles à toutes les informations, ces collections s'adressent au savant, au lettré, à l'érudit, à l'artiste, à l'homme d'étude pour qui l'étude est toute la vie, toute la volupté, toute la distraction, ou tout le gagne-pain. Elles répondent à une certaine moyenne de l'esprit, à un niveau de culture déjà élevée, à une absorption presque complète de l'existence par les gymnases du cerveau. Certainement elles étalent leur opulence pour l'usage de tous ceux qui en veulent profiter et sont appropriées pour l'universelle curiosité; mais quoique ouvertes au public et appelées. à satisfaire aux plus diverses sollicitations, elles ne sont pas en réalité destinées à tous, ni faites pour contenter l'investigation spéciale et familière de chaque humble lecteur. C'est pour l'aristocratie de l'intelligence qu'elles ont été érigées. Elles sont le do On comprend que chaque État, que chaque ville importante dont la population est étendue et la richesse accompagnée du libéral sentiment des choses de l'esprit, aient voulu s'octroyer l'inestimable cadeau d'une de ces halles de la pensée humaine où sur quelques planches s'amasse comme un trésor l'héritage des trouvailles intellectuelles; mais on comprend que le peuple ait déserté les bibliothèques publiques qui ne lui étaient pas destinées, où sa place n'était point préparée. Qu'y eût-il fait d'ailleurs? il ne savait pas lire. Mais dès que le peuple a su lire, dès qu'il a compris l'utilité du livre, le précieux avantage d'une bibliothèque, aussitôt on a songé qu'il trouve à sa portée le livre et la bibliothèque et enfin on a mis à sa disposition la bibliothèque populaire, modèle réduit et approprié de la bibliothèque publique. Le livre et la bibliothèque sont ainsi devenus son domaine privé, sa propriété personnelle où il est le maître et se dirige comme il lui plait, par la raison qu'il est chez lui et qu'il paye de son argent les voluptés de son cerveau. Grave défaut ! Le bénéfice des bibliothèques publiques est refusé aux familles. Or, la femme veut lire. Elle exige que son enfant lise. Plus que le mari, elle est âpre au désir de s'instruire et d'instruire son enfant. L'épouse, la mère de famille, celle qui ne trahit ni le mari ni l'enfant, celle qui respecte la couche nuptiale et le berceau, celle pour qui le foyer est le temple auguste de la fidélité conjugale et de la maternité empressée à toutes les immolations, l'épouse, la mère est essentiellement éducatrice. Le problème à résoudre était donc de faciliter la lecture au centre des familles, dans le foyer même, dans l'âtre domestique et aux heures où les employés, les ouvriers, tous les travailleurs sont libres, le dimanche, les jours de fête et le soir, lorsqu'après avoir porté le faix du jour, le père, l'époux se retrouve avec ses enfants, avec sa femme, ses vieux parents, ses camarades dévoués, dans sa maison libre, honnête et respectée. III Ce moyen s'est d'abord réalisé au moyen de la propagande religieuse ou philosophique. Des publications furent répandues par milliers, au milieu des populations agricoles, par |