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grimpera avec vous pour vous servir fidèlement de guide sous peine de mort, et, tandis que nous entrerons par la brèche, vous entrerez par les terrasses. Mais ce second moyen ne peut être adopté qu'au cas où il se trouvera cinquante hommes assez braves, assez lestes et assez résolus pour escalader une muraille qui donne sur un précipice dont on ne peut pas voir le fond. Du reste, passé une certaine hauteur, ajoutai-je, l'homme qui tombe n'y regarde plus.

-Je marcherai le premier, s'écria le colonel, qui avait écouté ma harangue, et peut-être, pour prix de notre audace, serons-nous assez heureux pour mettre la main sur le commandant.

Vous lui en voulez beaucoup, à ce qu'il paraît? dis-je au colonel.

-A mort! comme on peut en vouloir à l'homme qui vous a infligé un mortel outrage. »

L'exemple du colonel encouragea les guerrilleros, et bientôt celui-ci put choisir, parmi tous ceux qui s'offraient, les plus forts et les plus agiles pour l'accompagner. De toute cette troupe, celui qui paraissait évidemment le moins enthousiasmé était le prisonnier espagnol, à qui cette escalade d'un mur de vingt-cinq pieds de haut, se dressant à pic au-dessus d'un gouffre, ne souriait que médiocrement.

Les cinquante hommes désignés par le colonel

faisaient leurs préparatifs d'escalade. Le bâtiment massif était orné à des distances très-rapprochées d'almenas (espèce de créneaux), qui indiquaient la noblesse du propriétaire. Chaque soldat était muni de son lazo, dont un anneau de fer servait à former le nœud coulant. En une minute, à chacun des créneaux fut suspendue une corde flottante dont l'extrémité entourait la saillie de pierre. Avant que le signal fût donné pour commencer l'escalade, nous convînmes, Garduño et moi, que les soldats du colonel n'attaqueraient la garnison ennemie qu'au troisième coup de canon qu'ils entendraient; trois boulets nous paraissaient plus que suffisants pour jeter à bas la porte de la ferme. Les conventions faites, le colonel, avec son calme ordinaire, saisit le premier la corde flottante qui devait lui servir d'échelle, et la mit dans la main du prisonnier en lui ordonnant de le précéder. Quand l'Espagnol se fut élevé au-dessus du sol de quelques pieds, don Garduño mit son poignard entre ses dents et s'enleva de terre à son tour. Les guerrilleros firent comme lui, et bientôt nous vîmes cinquante hommes, s'aidant des mains le long de la corde et des pieds contre la muraille, flotter au-dessus du précipice, comme autant de démons qui semblaient sortir de l'abîme.

Quoique périlleuse en elle-même, car un étourdissement subit ou la rupture d'un des lazos pouvait lancer un homme dans l'éternité, cette ascen

sion était plus facile encore que l'attaque dont je m'étais chargé. La sentinelle postée dans la cage du clocher, eût-elle fidèlement veillé, ne pouvait apercevoir les assaillants cachés par le mur; mais le poste que nous avions choisi offrait un autre genre de danger : nous allions bientôt quitter le couvert des arbres qui dissimulait notre présence aux yeux des factionnaires, pour entrer en rase campagne, embarrassés d'un canon qu'il fallait traîner à force de bras. Heureusement cette marche se fit sans accident, et, quand nous vîmes le dernier des nôtres prendre pied sur la terrasse de l'hacienda, nous songeâmes, Valdivia et moi, à remplir le rôle que nous nous étions réservé.

Avant de nous démasquer, je commençai par donner l'ordre de charger le canon. Ceux qui l'avaient traîné y attelèrent de nouveau leurs chevaux, et nous avançâmes; mais à peine avions-nous fait quelques pas, qu'une des sentinelles, postée sur l'un des hangars intérieurs, donna l'alarme, et déchargea sa carabine contre nous. La balle n'atteignit personne par bonheur, et nous redoublâmes d'efforts pour traîner le canon démonté jusqu'à l'endroit où nous supposions qu'était la porte d'entrée que nous voulions enfoncer. D'autres coups de fusil retentirent bientôt à nos oreilles, et nous entendîmes dans les cours de l'hacienda les tambours battre et les clairons résonner. Il n'y avait

plus pour nous d'espoir de surprendre la garnison, et je fis passer de rang en rang l'ordre à mes cavaliers de pousser des cris aigus en changeant à chaque cri l'intonation de leur voix. Grâce à cette ruse, cinq cents hommes paraissaient hurler presque à la fois. La détonation du canon, auquel je mis le feu, ébranla tous les échos.

Bientôt le mur fut garni de soldats espagnols, et les décharges se succédèrent rapidement. Quoiqu'elles commençassent à devenir meurtrières l'ardeur de vaincre fit qu'aucun de nos soldats ne lâcha pied. Nous répondîmes au feu de l'ennemi. Les cavaliers qui traînaient le canon redoublèrent d'efforts; mais au moment où ils allaient tourner l'angle du mur d'enceinte pour longer celui qui faisait face à l'hacienda, et dans lequel la grande porte était enclavée, un fossé profond et large les arrêta. A moins d'un pont volant, il était impossible que le canon franchît cet obstacle inattendu.

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Nous jetterons un pan de muraille par terre, me dit Valdivia. Ces briques résisteront moins qu'une porte de chêne bardée de fer.

- C'est vrai,» m'écriai-je, et je mis pied à terre pour pointer la pièce avant de la charger; mais, au moment où je prenais mon point de mire, je jetai un cri de désappointement : par suite de la hauteur du mur et de l'inégalité du sol, le boulet ne pouvait atteindre que la terre d'un talus sur le

quel s'élevaient les assises de brique. Tous nos efforts étaient perdus. Comment, en effet, abaisser ou élever la gueule d'une pièce d'artillerie privée d'affût? Cependant une grêle de balles pleuvait sur nous. La position devenait critique. Nous ne pouvions sans échelles escalader les murs défendus par un feu bien nourri, et les cinquante hommes qui devaient combiner leur attaque avec la nôtre couraient le risque d'être tués ou faits prisonniers sans profit pour nous.

Combien s'en manque-t-il pour que le canon porte en plein dans la muraille? me demanda Valdivia. - D'un pied et demi à peu près, répondis-je en mesurant de nouveau le terrain et en tirant de l'œil une ligne jusqu'au pied du mur.

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Et si vous aviez un affût de la hauteur d'un pied et demi, vous pourriez ouvrir une brèche?

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-Eh bien! mon dos servira d'affût, reprit Valdivia.

- Vous plaisantez!

Non, je parle sérieusement. »

Tout le monde connaissait la vigueur extraordinaire de Valdivia, mais personne ne s'attendait à une semblable proposition. Valdivia parlait sérieusement en effet, car il s'agenouilla, appuya ses deux mains sur le sol, et présenta la surface de ses larges épaules pour soutenir le canon.

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