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des moules furent fabriqués pour couler des canons; c'était au moment où de nouvelles ressources semblaient sortir du sein de la terre que les deux aventuriers avaient pénétré dans la caverne. Don Ramon fit de vains efforts pour retenir à son service Andrès d'abord, puis Berrendo; mais ni l'un ni l'autre n'avaient garde d'y consentir. Ils prétextèrent, pour refuser ses offres, des ordres du général don Ignacio qui les rappelaient vers lui.

Le soleil était encore élevé sur l'horizon, quand ils eurent regagné Púcuaro, ce qui leur permit de consacrer le reste du jour aux préparatifs de leur voyage du lendemain. Andrès et Berrendo avaient, par hasard, leurs bourses bien garnies, et, sans s'être en rien communiqué leurs projets, chacun d'eux se trouva le matin devant la maison de la vieille avec deux chevaux harnachés et bridés dont ils avaient fait l'achat, l'un pour la mère, l'autre pour la fille. C'était un double emploi dont la première ne parut pas se plaindre. Quant à la seconde, en dépit de ses efforts pour se conformer aux leçons de sa mère et garder un dédaigneux et fier maintien, ses joues teintées de rose et ses yeux chargés des douces langueurs de l'amour naissant ne laissaient deviner en elle que bien peu d'aptitude pour le rôle qu'on lui imposait. A la vue des quatre chevaux que les deux galants avaient amenés, la mère de Luz lui lança un regard de triomphe; mais la

pauvre enfant, honteuse d'en comprendre la portée, n'y répondit qu'en ramenant son rebozo sur son visage pour cacher la rougeur de son front, comme la fleur du mimosa pudique referme ses pétales sous un trop rude contact. Le chercheur de traces examinait cette scène muette sans paraître la voir; mais, quand bien même il n'eût pas surpris les sentiments secrets de la mère et de la fille, les › dispositions de Luz n'auraient pas échappé à la pénétration de son regard.

Deux des quatre chevaux furent destinés à servir de relais pendant la route; et les femmes se mirent en selle avec l'aide des deux galants. Puis la vieille, s'adressant à l'un et à l'autre :

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Seigneurs cavaliers, dit-elle, vous êtes à présent responsables de la vie et de l'honneur de deux femmes.

- Puisse le premier ravin t'engloutir, duègne damnée!» se dit Berrendo en tordant sa moustache.

Et le cortége se mit en marche pour Tehuacan.

III

Le faucheur de nuit.

Tehuacan est situé dans l'État de Oajaca, Púcuaro dans celui de Valladolid, et ce n'était pas alors une tâche facile que de franchir, en compagnie de femmes ou avec un chargement de marchandises, la distance de plus de deux cents lieues qui sépare les deux villes l'une de l'autre. C'était un long et dangereux trajet. Indépendamment du risque que courait tout cavalier armé d'être traité par les Espagnols comme insurgé, c'est-à-dire d'être pendu haut et court, sans forme de procès, au premier arbre qui se trouvait sur la route, les voyageurs pacifiques, les muletiers, les commerçants, étaient soumis à mille tribulations. La province de Oajaca surtout, à cause de son commerce avec Puebla et les autres villes, avait plus à souffrir, à cette époque, qu'aucune autre province. Les convois à protéger servaient de prétexte aux commandants espagnols pour commettre toute sorte d'abus odieux. Chaque tranchée, chaque fortin était soumis à un péage. Non-seulement on y payait, suivant le caprice des chefs, de grosses sommes d'argent, mais les anciens

droits féodaux semblaient ressuscités : les commandants prélevaient à leur profit, puis ensuite au profit de leurs soldats, un odieux tribut sur les malheureuses femmes qui s'approchaient de leurs résidences.

Les voyageurs durent bien des fois se résigner à faire de longs détours pour éviter les postes espagnols, et, sans la sagacité d'Andrès, il est probable qu'ils n'eussent pu arriver même sur les confins de l'État de Oajaca. C'était là que devaient se présenter les étapes les plus dangereuses; heureusement, le chercheur de traces, natif de ce même État, connaissait les moindres sentiers de ses bois comme de ses montagnes, et cette connaissance pratique était de nature à écarter les nouveaux périls qui venaient menacer la caravane. Pendant tout le trajet, la vieille femme avait habilement manœuvré auprès des deux galants; elle avait encouragé tour à tour leurs espérances. Luz, de son côté, peu capable de mettre en pratique les leçons de sa mère, avait repris le maintien modeste et réservé qui lui était naturel, et, si Andrès n'avait pas connu le fond de son cœur, rien dans sa manière d'être envers lui n'eût trahi la passion dont il était l'objet. La timide fierté de la jeune fille avait été plus habile que la coquetterie la plus raffinée; l'ardeur des deux soupirants s'en était accrue, et rien ne pouvait ôter à Berrendo l'espoir de l'emporter sur son rival. La

plus complète harmonie n'avait pas cessé de régner entre les voyageurs, quand deux circonstances extraordinaires vinrent décider du sort d'Andrès et préparer le terrible dénoûment du doux roman dont le prologue s'était ouvert à Púcuaro.

Pour plus de sécurité, la petite caravane ne voyageait que de nuit. D'ordinaire, les traites commençaient au crépuscule et ne se terminaient qu'à l'aube, et le soleil, à son lever, trouvait les voyageurs cachés dans quelque cabane isolée, au milieu d'un massif d'arbres ou dans quelque aride solitude loin de tout passage. Un soir, qui devait être le dernier avant leur arrivée à Tehuacan, la nuit les surprit dans la halte d'un Indien zapotèque, en train de donner aux chevaux leur ration de maïs, et n'attendant que la fin du souper pour se mettre en route. Andrès et Berrendo faisaient au dehors les derniers préparatifs du départ, lorsque la mère de Luz vint, tout effrayée, leur annoncer que, si près de Tehuacan, elles voulaient attendre le jour suivant pour se mettre en route.

« Et pourquoi cela? demanda le chercheur de traces surpris.

Pourquoi? reprit la vieille en se signant. L'Indien, notre hôte, a vu, la nuit dernière, le faucheur de nuit, et il dit que nous le rencontrerons sans doute fauchant les champs d'alfalfa (luzerne), au clair de lune, avec ses grands ciseaux. Par tous les

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