Imágenes de páginas
PDF
EPUB

avait tracé, mais qui n'était pas de force à lutter contre moi.

Il vous a confessé que ce fourrage était empoisonné?

- Il ne m'en pas dit un mot; nous n'avons causé que du beau temps et des dernières pluies, répondit Andrès en achevant de débrider son cheval.

[ocr errors]

Et cela vous a suffi?

Parbleu! j'ai deviné la pensée de bien des gens en moins de mots qu'il ne m'en a dit. J'avais pu l'observer quelque temps sans qu'il me vît, et, quand je l'ai accosté, je savais déjà presque à quoi m'en tenir. « L'ami, lui ai-je dit, je suis envoyé en courrier extraordinaire au commandant du fort de

[ocr errors]

Villegas pour un message de vie ou de mort; mon cheval est rendu de fatigue, et une botte de cette << luzerne que vous me laisserez prendre lui rendra <«<les forces sans lesquelles il ne pourrait arriver «< cette nuit; autrement le fort sera pris. » Je prévoyais la réponse le faucheur me dit que mon cheval arriverait encore plus vite s'il mangeait ailleurs, parce que.... parce que la luzerne était verte et humide de la rosée de la nuit. « C'est bien, ré

pondis-je; j'emporte le chapeau d'un sot. » En disant ces mots, je lui arrachai son chapeau de mascarade, et il n'était pas revenu de sa stupéfaction, que déjà je galopais pour vous rejoindre et

vous convaincre que le faucheur de nuit n'est qu'un homme payé pour empoisonner les champs d'alfalfa dans le voisinage des postes insurgés. D'ici à une demi-heure, nous irons voir en quel état se trouve le cheval qui a mangé sa ration de luzerne.

L'événement confirma de tout point l'assertion du chercheur de traces. Le pauvre animal ne tarda pas à expirer dans les convulsions du poison, et un immense brasier consuma bientôt sur la place la dernière parcelle du fourrage qui, sans l'intervention d'Andrès, eût été si fatal à la cavalerie de Teran.

IV

Le Playa-Vicente.

En arrivant, après mille dangers, à Tehuacan, Andrès et Berrendo s'étaient vainement flattés de continuer en paix la lutte courtoise dont Luz devait être le prix. Moins de huit jours après leur arrivée à Tehuacan, nous les retrouvons chevauchant tous deux, seuls cette fois, à une soixantaine de lieues de là, sur les limites de l'État de Oajaca et de celui de Vera-Cruz.

La saison des pluies avait commencé, et le pays qu'ils traversaient offrait l'aspect le plus triste et le

plus étrange. Du cerro Rabon, l'un des points les plus élevés de la Sierra-Madre, coulent une quantité considérable de cours d'eau qui ne tardent pas à se réunir en une masse bientôt divisée ellemême en douze fleuves distincts; le rio de PlayaVicente occupe un des premiers rangs de ce magnifique faisceau de fleuves. Le lit de ces cours d'eau était devenu trop étroit pour les contenir, et leurs flots débordés avaient transformé le pays en un lac immense aux eaux troubles, au-dessus duquel surgissaient, comme des navires à l'ancre, les clochers des haciendas inondées.

Au milieu d'étroites bandes de terrains noyés, semblables à des chaussées ménagées sur ce grand lac, les chevaux des deux aventuriers n'avançaient qu'avec peine et enfonçaient dans la fange jusqu'au poitrail. A une demi-lieue plus loin, derrière eux, un corps d'armée de quatre cents hommes environ suivait la trace des deux guides: c'était l'expédition commandée par le général Teran en personne pour gagner le Playa-Vicente, puis la barre du fleuve de Goazacoalcos, et prendre livraison du chargement d'armes dont le général avait traité avec Robinson. Les deux batteurs d'estrade, Andrès surtout, laissaient percer sur leur physionomie un air d'abattement mélancolique que justifiaient l'aspect des lieux et les circonstances désastreuses au milieu desquelles ils se trouvaient.

[ocr errors]

« Plaise à Dieu que mes prévisions ne se réalisent pas, dit Andrès en jetant un regard décou

ragé sur la campagne ravagée par les eaux, et qu'il n'en soit pas de nous comme du cheval de l'Espagnol, qui, pour avoir été trop vivement poussé par son cavalier, ne put arriver au but de son voyage! Je le crains aussi, reprit non moins tristement Berrendo.

Je suis en pays inconnu, continua le chercheur de traces; je l'ai vainement représenté au général, et cependant, si je me trompais de route, si je laissais quelque ennemi à côté de nous sans déjouer ses tentatives, c'est un déshonneur auquel je ne survivrais pas. Si du moins il avait voulu différer son expédition jusqu'après la saison des pluies!

C'est de votre faute s'il nous a pris pour guides malgré nous, répliqua Berrendo; si nous n'étions pas partis là nuit où nous voulions rester dans la cabane de l'Indien, de peur de rencontrer le faucheur de nuit, vous n'auriez pas rendu au général l'éminent service de sauver une partie de sa cavalerie; vous ne lui auriez pas rendu le service plus important encore d'empêcher une cargaison d'armes de tomber au pouvoir de l'Espagne. Alors Son Excellence ne se fût pas engouée de votre sagacité ainsi que de votre courage; partant nous aurions évité.... Mais à ce propos, continua Ber

[ocr errors]

rendo, comme si une idée subite venait de le frapper, j'ai certainement quelque mérite aussi ; cependant, comme je n'ai pas été assez heureux pour rendre à Son Excellence le moindre service, pourquoi donc a-t-elle daigné me faire savoir que, s'il me plaisait de vous accompagner, j'étais libre de le faire, et que, si cela me déplaisait, je n'étais pas libre de rester à Tehuacan?

Ami, repartit gravement le chercheur de traces, votre loyauté se fût effarouchée d'un combat à armes inégales; rester seul à Tehuacan vous eût fait auprès de la divine Luz la partie trop belle. J'ai voulu égaliser les chances, et c'est grâce à ma sollicitation pressante que vous avez été contraint de m'accompagner dans cette expédition en qualité de second guide.

[ocr errors]

Il y a entre nous une merveilleuse sympathie, reprit non moins gravement Berrendo. Sachez que, si je n'eusse pas porté jusqu'aux nues devant le général votre incomparable mérite comme guide, il est plus que probable qu'à l'heure qu'il est vous seriez encore à Tehuacan,»

Après cet échange de confidences, les deux rivaux gardèrent le silence; mais leurs regards s'étaient croisés et venaient de se lancer un sauvage défi. Ils étaient encore sous l'impression de leurs mutuels aveux, quand ils arrivèrent à un point où la route allait en pente et se dirigeait vers une plaine

« AnteriorContinuar »