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BULLAIRE

la partie réservée à l'autre. Ces frères jouissent de grands privilèges: ils ne sont pas soumis à l'interdit; au cas où ils arriveraient dans une ville frappée de cette censure, ils ont droit de faire sonner les cloches pour annoncer la quête qu'ils viennent faire.

Gui resta quatre ans à la tête des deux hôpitaux de Rome et de Montpellier, résidant sans doute, comme le voulait Innocent III, tantôt dans l'une tantôt dans l'autre de ces deux villes. Il mourut à Rome, loin de sa ville natale qui a perdu même son souvenir (Voir N° 178).

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Innocent III écrit aux consuls et aux habitants de Montpellier de ne pas apporter des entraves à la construction d'une chapelle que veulent élever les Frères du Saint-Esprit.

Non sine dolore referimus, nec sine pudore narramus quod quidam in reprobum sensum dati, tanquam impii, qui, cum venerint in profundum vitiorum, contemnunt, ædificationem oratorii Fratrum hospitalis Sancti Spiritus, contra nostrum statutum, imo potius contra divinum mandatum, multipliciter impedire nituntur, non attendentes quam sit impium et iniquum nequiter operari contra opera pietatis, quæ, secundum Apostolum, promissionem habet vitæ, quæ nunc est, pariter et futuræ.

Quia vero tantæ præsumptionis audacia ecclesiastica debet severitate retundi, nos, ex parte Dei omnipotentis, Patris, et Filii, et Spiritus Sancti, auctoritate quoque beatorum apostolorum Petri et Pauli, simul ac nostra, excommunicamus et anathematizamus omnes omnino, sive clericos, sive laicos, qui, per se ipsos vel alios, constructionem ipsius oratorii præsumpserint aliquatenus impedire; auctoritate apostolica statuentes ut, si quisquam in laqueum hujus excommunicationis inciderit, a nemine absolvatur, præterquam in mortis articulo constitutus, donec apostolico se curaverit conspectui præsentare, dignam de tanto facinore pænitentiam recepturus. Devotionem autem vestram in Domino commendamus, quod, apostolicis exhortationibus informati, prædictis fratribus contra præsumptores hujusmodi potentes hactenus astitistis, impendentes eis auxilium opportunum, ita quod, nisi vestro fuissent favore defensi, oratorium jam incoeptum non solum impeditum fuisset, verum etiam omnino destructum.

Cupientes igitur vos, tanquam filios speciales, in bono perseverare proposito, et de virtute semper ascendere in virtutem, charitatem vestram monemus attente, et in remissionem vobis injungimus peccatorum, quatenus fratres prædictos contra malignorum molestias defendatis, et ad consummationem oratorii jam incœpti manum eis auxilii porrigentes, non permittatis ut ejus constructio possit ab aliquo impediri, quatenus per hæc et alia bona quæ, Domino inspirante, feceritis, æternæ retributionis præmia uberius consequamini, et Apostolicæ Sedis gratiam mereamini plenius obtinere.

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Nous avons rapporté plus haut (voir No 169) quelques privilèges accordés par Innocent III à l'Ordre du Saint-Esprit, parmi lesquels figure surtout la construction d'une chapelle dans l'intérieur de leur hôpital, faveur accordée d'ailleurs par les bulles précédentes, et qui n'avait pas eu son plein effet à Montpellier, lieu d'origine du fondateur.

Nous le redisons encore, nous ne croyons pas que Guillaume d'Autignac fût parmi les opposants, du moins Innocent III ne le laisse même pas soupçonner; il est indubitable que, dans le cas contraire, il aurait ramené l'évêque au devoir. Toutefois l'historien pourra être surpris de voir le Pape intervenir à plusieurs reprises pour une affaire qui paraît bien légitime:

Ces difficultés que Gui rencontre pour son Ordre dans sa ville natale, soit de la part des prédécesseurs de Guillaume d'Autignac, témoin l'accord conclu entre lui et Guillaume Raimond et sanctionné par Grégoire, légat du Pape (voir No 169), soit de la part de certains laïques et clercs, qui devaient être assez influents, démontrent qu'il n'eut pas toujours à se louer de la bienveillance de ses compatriotes.

Quels motifs pouvaient alléguer ces laïques et clercs pour empêcher l'achèvement de la chapelle? Innocent III nous les laisse ignorer, et nous ne pouvons émettre aucune hypothèse.

On nous permettra ici une remarque. Il y a entre les deux plus illustres enfants de Montpellier, Gui et saint Roch, une certaine analogie: dans nos archives, le nom du premier n'y figure pas plus que n'y figure celui de second. Comment l'expliquer? Les contemporains n'ont jamais prononcé son nom, et on ne peut se douter, en lisant les actes pourtant si nombreux qui nous sont parvenus sur cette époque (1180-1208), qu'il y avait alors à Montpellier un homme que l'on a justement comparé à saint Vincent de Paul. Sans doute, son œuvre est nommée dans le testament de Guillem VIII, mais son nom n'y figure pas, car on ne peut, ainsi que nous l'avons dit, identifier le fondateur de l'Ordre du Saint-Esprit avec maitre Gui, l'un des quinze bourgeois à qui Guillem VIII confia la surveillance de ses enfants. Seul, parmi ses contemporains, Innocent III s'intéressa à la personne

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et à l'œuvre du célèbre Montpelliérain. Si nous n'avions les bulles de ce Souverain Pontife, nous ne connaitrions à peu près rien sur cet homme, pas même son lieu de naissance.

Tout nous porte à croire que, malgré les largesses de Guillem VIII, Gui, comme saint Roch, rencontra dans notre ville beaucoup de difficultés. Et ces difficultés devaient être bien graves pour que le Pape eùt recours à l'excommunication, réservée à lui seul, contre tous ceux qui tenteraient d'entraver son œuvre. L'œuvre de Gui n'aurait-elle pas fait naître auprès des pouvoirs publics et mème de la population tout l'intérêt qu'elle méritait et que le Pape lui portait? Tout semble le prouver, surtout l'oubli dans lequel ses compatriotes ont laissé sa

mémoire.

Cette ressemblance avec saint Roch nous a paru bonne à noter.

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Innocent III charge ses légats d'examiner la légitimité du mariage de Pierre d'Aragon avec Marie de Montpellier.

Transmissa nobis charissimus in Christo filius noster, Petrus, Aragonum rex illustris, insinuatione monstravit, quod, cum dilectam in Christo filiam nostram, nobilem mulierem, M[ariam], natam quondam G[uillelmi] de Montepessulano, sibi de facto matrimoniali fœdere copulasset, apparuit tandem, quod quamdam carnaliter præcognoverat, eamdem nobilem proxima consanguinitatis linea contingentem ; quin etiam eadem M[aria] virum habet superstitem, cum quo ante contraxerat, videlicet nobilem virum, comitem Convenarum. Propter quod idem rex, tanquam vir catholicus et Deum timens, cauteriatam conscientiam super hoc gerens, ac metuens ex hoc animæ suæ periculum imminere, ad Apostolicae Sedis oraculum duxit quantocius recurrendum.

Quocirca discretioni vestræ per apostolica scripta mandamus, quatenus, si talis apparuerit accusator, cujus accusatio de jure sit admittenda, vos, partibus convocatis, audiatis causam, et eam, si partes consenserint, sublato appellationis obstaculo, fine canonico terminetis; alioquin gesta omnia conscribentes, sub testimonio litterarum vestrarum ea nobis fideliter transmittatis, præfigentes partibus terminum competentem, quo per procuratores idoneos nostro se conspectui repræsentent, justum, auctore Domino, judicium recepturæ.

De L'ÉGLISE DE MAGUELONE

Quod si non omnes [his (') exsequendis potueritis interesse,] duo vestrum [ea, sublato cujuslibet contradictionis et appellationis obstaculo, nihilominus exsequantur.]

Datum Ferentini, xv kalendas julii, anno nono.

Bibliographie. Innocentii III opera, éd. MIGNE, t. II, col. 908; t. XIX, p. 482; RAYNALDI, Annal. eccles., ad. annum 1206, § 34.

BOUQUET, Recueil,

Nous voici de nouveau aux tribulations matrimoniales de la pauvre Marie de Montpellier. Il est hors de doute que son mariage avec le comte de Comminges était invalide, la femme de ce comte vivant encore quand il épousa la fille de Guillem VIII. Mais il est inexact, ainsi que l'affirment dom VAISSETE (Hist. gén. de Languedoc, t. VI, p. 213) et M. F. FABRÈGE (Hist. de Maguelone, t. I, p. 331) que Marie ait été répudiée par Bernard de Comminges dans toutes les formes canoniques. Tout d'abord Pierre n'y fait aucune allusion parmi les motifs qu'il allègue pour son divorce, au contraire; et ce fut Innocent III qui, ainsi que nous le mais dirons, prononça la nullité de son mariage avec le comte de Comminges, bien après l'année 1204 (voir N° 190), dans la même bulle où il déclara valide le mariage de Pierre avec Marie.

Elle revint donc à Montpellier. Déshéritée ou presque par le testament paternel fait en faveur des enfants d'Agnès de Castille, elle ne pouvait être appelée à la seigneurie de Montpellier qu'après la mort de tous ses frères, il ne lui restait plus que 200 marcs d'argent, ses parures et son mobilier.

Suivons maintenant la suite des événements. Marie dut rentrer à Montpellier dans la première moitié de l'année 1203. Elle vit son frère Guillem IX prêter, le 1er août de cette année, serment de fidélité à l'évêque de Maguelone, Guillaume d'Autignac, pour la seigneurie de Montpellier (Cf. Cart. de Maguelone, reg. E, fol. 113); et il semblait bien que la fille d'Eudoxie devait être pour toujours exclue de l'héritage des Guillems.

Que se passa-t-il à Montpellier à cette époque? Comment Guillem IX en fut-il chassé, et comment Marie recueillit-elle ses droits? Aucun document à notre connaissance ne peut nous renseigner exactement. Nous devons donc recourir à des hypothèses fondées, croyons-nous, sur l'enchaînement des faits.

En mourant Guillem VIII avait laissé ses enfants mineurs. Il avait donc institué une sorte de conseil de régence, composé de quinze bourgeois de Montpellier qui furent, pendant la minorité de Guillem IX, les véritables souverains; en même temps, à l'exemple de son père, il avait tourné ses regards vers l'Espagne, avec laquelle tant de liens le rattachaient, et demandé à Pierre d'Aragon de protéger sa famille et ses domaines.

Au commencement du XIIIe siècle la lutte est vive entre les Capétiens et les rois d'Aragon. Qui va l'emporter dans le Midi de la France? L'Espagne viendrat-elle jusqu'à la Garonne et aux Cévennes, comme l'ancien royaume Wisigoth, ou s'arrêtera-t-elle aux Pyrénées? Cette lutte d'influence va s'accentuer encore par la guerre des Albigeois, et elle explique pourquoi Pierre II, qui fut toujours un

(1) Les mots entre crochets ne se trouvent pas dans MIGNE.

bon catholique, tomba cependant à Muret dans les rangs de ceux qui combattaient la croisade.

Montpellier était un beau joyau à ajouter à la couronne d'Aragon; en même temps Pierre II, veuf de sa première femme, entrait de plein pied et sans conteste dans le Midi de la France, et en devenait le principal seigneur après le comte de Toulouse. Marie était donc pour lui un bon parti. Elle devait embarrasser les quinze bourgeois chargés de la régence, comme elle avait embarrassé Guillem VIII pendant sa vie. D'un autre côté, n'était-elle pas l'héritière légitime des Guillems? Quand Eudoxie avait donné sa main à Guillem VIII, celui-ci ne lui avait-il pas juré que le premier enfant qui naîtrait, quel que fùt son sexe, serait héritier de la seigneurie, et ce serment n'avait-il pas été confirmé par tous les habitants de Montpellier à partir de l'âge de dix ans ? Les habitants n'avaient pas été relevés de ce serment. Et la renonciation de Marie à ses droits paternels n'avait-elle pas été obtenue par force?

Il est assez difficile de préciser les progrès de la commune de Montpellier depuis la révolte de 1142 jusqu'en 1204; mais nos bourgeois durent saisir avec avidité l'occasion qui s'offrait à eux pour faire reconnaître légalement la commune, et il est bien probable que la révolution pacifique, qui éclata à Montpellier à la fin de 1203 ou au commencement de 1204, fut avant tout une révolution communale. Au fond chacun y trouvait son intérêt: marier leur jeune souveraine avec Pierre d'Aragon, constituait un bon parti pour elle tout en procurant à son époux de sérieux avantages; en même temps nos bourgeois arrivaient au but de leurs désirs: la commune était constituée. Pour parvenir à ces fins, il suffisait de renverser Guillem IX, après avoir obtenu du roi d'Aragon et de la future reine la promesse que Montpellier aurait sa commune.

Le 15 juin 1204, Pierre d'Aragon épousa Marie; le 1er juillet, il fit hommage à l'évêque de Maguelone pour Montpellier, et le 15 août, fête de Notre-Dame des Tables et de la nouvelle reine, fut accordée la charte fondamentale de la commune de Montpellier. Mais deux mois auparavant, le jour même du mariage, les bourgeois de Montpellier avaient obtenu un préambule de la charte qui fut signée dans le cimetière de la maison du Temple de Montpellier.

Guillem IX fut donc dépouillé de ses droits au profit de sa sœur, achetant la couronne d'Aragon très probablement par la promesse formelle de donner la commune à ses sujets. Nous verrons, par la suite, qu'elle n'eut pas toujours à se louer de ses compatriotes, et que son frère, soutenu par Pierre d'Aragon, porta plus tard ses plaintes aux pieds d'Innocent III.

Marie fut loin d'être heureuse dans ce nouveau ménage. Était-elle ་་ plus riche que belle », ainsi que le dit GERMAIN (Hist. de la commune de Montpellier, t. I, p. 33)? Quoi qu'il en soit, l'historien s'arrêtera toujours avec pitié et vénération devant cette petite-fille des empereurs d'Orient, qui, pendant sa vie, ne connut jamais un cœur pour l'aimer, un bras pour la défendre, et fut obligée d'aller se réfugier auprès d'Innocent III pour trouver aide et protection. Repoussée par un père à qui sa présence seule reprochait sa conduite, maltraitée par une marâtre, livrée par eux deux au seigneur le plus voluptueux du Midi, puis répudiée, livrée enfin par ses sujets comme une matière d'échange à Pierre d'Aragon qui l'épousa sans amour et par intétét, elle montra en toute circonstance un caractère audessus des événements, et but jusqu'au fond le calice d'amertume, qu'elle ne put avaler cependant sans se plaindre, se donnant à elle-même le nom que l'histoire a ratifié la crucifiée.

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