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BULLAIRE

comme héritiers des Carolingiens? Mais alors leurs droits s'étendaient sur le comté de Barcelone, la Provence, etc., etc. Vouloir nous représenter les Capétiens usurpateurs, comme des héritiers de la deuxième race, c'est abuser un peu de la crédulité du lecteur. Les droits des Capétiens ne dépassaient pas la longueur de leur épée. Au commencement du XIe siècle, le Midi de la France était plus espagnol que français, et l'influence de Pierre d'Aragon contrebalançait, si elle ne la dépassait, l'influence de Philippe-Auguste. C'est après la guerre des Albigeois, quand le Midi est vaincu, et que les Capétiens, autant par leur épée que par leur habile politique, ont réussi à s'implanter dans la patrie Occitanienne et à l'incorporer à leur royaume, que nous trouvons la première réclamation formulée par eux. Raimond VI qui connaissait ses droits devait aussi connaître ses obligations. S'il voulut faire hommage du comté de Melgueil au Pape, c'est qu'il lui reconnaissait des droits de suzerain. Voyant l'orage venir, il aurait dû, semble-t-il, pour sauvegarder ses États, les mettre sous la protection d'Innocent III. Rien de tel: il ne veut faire hommage que pour le seul comté de Melgueil. Pourquoi cette restriction?

Comment était-il devenu comte de Melgueil? Nous l'avons dit : par son mariage avec la sœur de Bertrand Pelet, qui avait été déshérité par sa mère. Nous allons voir bientôt les Pelet réclamer auprès d'Innocent III leur part de l'héritage. A plusieurs reprises même, au cours du XIe siècle, ils protesteront; alors nous apprécierons la conduite des Papes, qui fut tout autre que celle des comtes de Toulouse. Donc, les historiens, au lieu de s'attendrir sur le sort de Raimond VI nous parlons seulement pour le comté de Melgueil pourraient, comme Innocent III et ses successeurs, réserver quelques-unes de leurs sympathies pour les héritiers de Béatrix.

Raimond VI reconnaissait ainsi la validité de la donation faite par le comte Pierre, et les droits de suzeraineté du Saint-Siège sur le comté de Melgueil. Il est certain, ainsi que nous le verrons par la suite, qu'il fut un assez mauvais vassal, et qu'il considéra ce comté comme lui appartenant en propre : il aliéna certaines villes ou châteaux sans le consentement de son suzerain, et ne paya jamais le cens annuel qu'il devait au Saint-Siège en signe de vassalité, comme nous le dit Clément IV. Nous sommes surpris que M. MOLINIER ne mentionne pas cette bulle, qui est pourtant d'une grande importance dans le débat, et qui arrêta saint Louis dans ses revendications.

Ce n'est pas, en effet, avec nos idées, et parfois même avec nos préventions, qu'il faut juger cet acte, mais selon les lois et la justice de l'époque. Or il était inscrit dans le droit coutumier du comté que tout vassal devait améliorer le fief reçu, qu'il ne devait pas le détériorer ou le laisser se détériorer, et, enfin, qu'il devait payer régulièrement le cens annuel. Ces trois conditions furent violées par Raimond VI; le comté était donc tombé en commis, et Innocent III, dont les droits étaient incontestables, pouvait justement reprendre son bien.

Innocent III refusa donc de recevoir l'hommage que voulait lui prêter Raimond VI pour le comté. Il ne pouvait faire autrement. Sous cet hommage, que M. MOLINIER appelle « une offre imprudente », se cachait, au contraire, une ruse contre le Pape. Pouvait-il, en effet, reconnaître pour son vassal, lui confirmer la possession du comté, et recevoir par conséquent pour ami, l'homme que le bruit public accusait d'avoir trempé ses mains dans le sang de Pierre de Castelnau? Pouvait-il, dans ces conjonctures, faire cesser les causes qui, d'après le droit de l'époque, faisaient tomber le comté en commis?

De L'ÉGLISE DE MAGUELONE

On sait combien les événements se précipitèrent; comment, dès son arrivée en France, Milon se fit livrer par le comte de Toulouse sept de ses châteaux, en particulier celui de Montferrand dans le comté de Melgueil, et comment, le 20 juin 1209, il en confia la garde à l'évêque de Maguelone.

Voici le serment que prêta Guillaume d'Autignac. Nous l'empruntons à MIGNE (Innocentii III opera, t. III, col. 94), et nous nous servons du texte du serment prêté par l'archevêque d'Arles, changeant seulement les noms de l'évêque et du château.

In nomine Domini. Pontificatus domini Innocentii Papæ III anno duodecimo, XII kal. julii. Ego Guillelmus, Magalonensis episcopus, juro tibi Miloni, domini Papæ notario, Apostolicæ Sedis legato, quod castrum de Monteferrando sine omni malo ingenio, et sine omni fraude pro posse meo faciam fideliter custodiri, nec idem castrum comiti Tolosæ vel alii personæ restituam vel restitui scienter permittam sine mandato domini Papæ bullatis litteris ejus inserto, vel sine mandato tuo vel alterius Romani Pontificis nuntii sive legati, ad hoc specialiter cum litteris bullatis deputati. Sane illi vel illis, cui vel quibus dominus Papa, vel tu, vel alius nuntius sive legatus domini Papæ, cum supradicta forma ad hoc specialiter destinatus, jusserit, prædictum castrum restituam, tempore legitimo mihi tunc assignato; restitutis tamen prius mihi universis expensis et usurarum gravaminibus pro castri custodia tunc factis, juramento bajuli mei, quem in prædicto castro posuero, absque alia probatione declarandis. Expensas autem de concessione tua intelligo faciendas de redditibus et omnibus proventibus castri illius et mandamentorum quos de voluntate comitis, et concessione, et mandata tuo bajulus meus ibidem percipere debet, jurisdictionem plenariam duntaxat pro castri custodia et sufficientibus ad expensas redditibus colligendis per omnia exercens. Porro, si prædicti proventus ad prædicta complenda non sufficient, nec comes nec aliquis pro eo expensas juxta voluntatis meæ moderamina ministraverit, ego ex mutua pecunia expensas faciam, nec prædictum castrum tenebor restituere, donec prædictæ expensæ cum omnibus suis gravaminibus mihi fuerint plenius restitutæ. Hæc omnia, sicut supra scripta sunt, bona fide servabo. Sic me Deus adjuvet et hæc sancta Dei Evangelia.

El ego Milo, domini Papæ notarius, Apostolicæ Sedis legatus, hanc fidelitatem auctoritate domini Papæ et Romanæ Ecclesiæ accipiens, concedo tibi, Guillelme, Magalonensis episcope, eadem auctoritate, ut omnia suprascripta possis exigere et percipere, et pro tuæ voluntatis arbitrio bona fide disponere, volens et statuens te et Ecclesiam tuam indemnem super expensis et omnibus gravaminibus, occasione custodiæ memorati castri quocumque tempore factis, conservari. Ad perpetuam autem omnium horum firmitatem, hanc chartam sigilli mei munimine facio roborari.

Ainsi, l'évêque de Maguelone devenait gardien du château de Montferrand, en attendant que le Pape lui inféodat le comté tout entier, et cela en toute justice, car le droit de la Papauté était indiscutable au point de vue historique et féodal» (F. FABRÈGE, Hist. de Maguelone, t. I, p. 421).

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Innocent III écrit à son légat de faire respecter par l'armée chrétienne la ville de Montpellier.

Innocentius episcopus, servus servorum Dei, venerabili fratri episcopo Regensi, et dilectis filiis Cisterciensi abbati et magistro Miloni, notario nostro, Apostolice Sedis legatis, salutem et apostolicam benedictionem.

Quanto dilecti filii homines Montispessulani nunc et hactenus in fide veritatis catholice stabiliti, a labe pravitatis heretice sese mundos conservasse noscuntur, et nobis ac Apostolice Sedis se semper exhibuere devotos, tanto nos decet sollicitius providere ne per alicujus prave suggestionis astutiam (') ab hiis qui, orthodoxe fidei zelo succensi, ad expugnandum hereticos se accingunt, quicquam injurie vel molestie patiantur.

Quapropter dilectioni vestre per apostolica scripta mandamus, quatinus homines memoratos et terram eorum, tamquam viros catholicos et Ecclesie Romane devotos, in quibus expedit confovendos, non permittatis eos a fideli exercitu signatorum in aliquo contra justitiam (2) molestari. Quod si non omnes hiis exequendis potueritis interesse, duo vestrum ea nichilominus exequantur.

Datum Laterani, II kalendas martii (3), pontificatus nostri anno duodecimo.

Bibliographie.

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Archives municipales de Montpellier, Grand Thalamus, fol. 6 ro, analysée dans l'Inventaire LOUVET, publié par M. J. Berthelé; Innocentii III epistolæ, éd. BALUZE, t. II, p. 401; éd. MIGNE, t. III, col. 187; POTTHAST, no 3683; VAISSETE, Hist. gén. de Languedoc, t. VI, p. 274; GERMAIN, Hist. de la Commune de Montpellier, t. I, p. 230; GARIEL, Series, t. I, p. 285.

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Date. Dom VAISSETE et POTTHAST assignent à cette bulle la date du 1" mai 1209. Nous suivons sur ce point le manuscrit de Montpellier. GERMAIN, par inadvertance, la fixe au 27 février 1210. Il ne la publie pas et ne fait que la mentionner; mais il n'y a pas de doute que la bulle qu'il vise est bien la même que celle-ci. Innocent III ayant été sacré le 22 février 1198, la 12° année de son pontificat a commencé le 22 février 1209.

(1) Grand Thalamus: astuciam.

(2) Grand Thalamus: justiciam.

3 Grand Thalamus: marcii.

Au moment où Innocent III écrivait ces lignes, l'armée des Croisés était déjà en marche pour combattre l'hérésie albigeoise. Dans quelques mois elle allait déboucher dans les plaines de Languedoc et entreprendre le siège de Béziers. Montpellier était donc sur sa route. Or, à cause de son orthodoxie, Montpellier devait être, dans l'esprit du Pape, le boulevard de la foi catholique, la ville où les légats trouveraient toujours un asile pour combattre l'hérésie. Il importait donc de ménager ses habitants. Innocent III commence alors cette série de bulles que nous trouverons abondantes dans nos archives municipales, et par lesquelles les Papes, à cause de la pureté de la foi catholique de nos bourgeois, demandent aux Croisés de les respecter.

Ce n'est pas que Montpellier fùt complètement acquis à Simon de Montfort. Ce serait, croyons-nous, se tromper beaucoup, que d'émettre une pareille supposition. Montpellier fut, à cette époque, la ville catholique par excellence du Midi, toute dévouée au Pape et à l'Église, mais en même temps ennemie de celui qui devait bientôt être considéré comme le chef de la croisade, et se substituer à la famille des comtes de Toulouse. Ce fait nous a toujours paru intéressant à noter: il nous dévoile un état d'àme que nous devons souligner.

Les contemporains, même dès les débuts de la guerre albigeoise, se rendaientils bien compte du but que certains chefs cachaient sous le spécieux prétexte de combattre l'hérésie? Nous le croyons. En tout cas, les habitants de Montpellier, soit par amour de leurs libertés, soit pour tout autre motif, interdirent toujours à Simon de Montfort l'entrée de leur ville; et, si un jour il y pénétra pendant le concile, ce fut par surprise. Loin de blâmer une pareille conduite, les Papes l'approuvèrent, et nous verrons les successeurs immédiats d'Innocent III renouveler cette protection en termes à peu près identiques, et à plusieurs reprises.

Avec cette bulle d'Innocent III, nous entrons en pleine période de la guerre albigeoise. Nous n'avons pas à apprécier le rôle des principaux acteurs, ni à rappeler, même succintement, les faits. Nous restons dans notre rôle de commentateur des documents pontificaux. Loin des tumultes des armes et des passions, nous assisterons au grand drame qui se joue, et dont le dénouement sera la ruine de la famille de Toulouse et la fin de la patrie Occitanienne. Ces mêmes documents nous obligeront pourtant, sous les pontificats d'Innocent III et d'Honorius III, à toucher aux points les plus délicats de cette affaire.

Notre diocèse fut préservé des horreurs de la guerre. Avant nous, GERMAIN et M. FABRÈGE en ont dit les causes. Certainement le diocèse de Maguelone dut ce bienfait à ses évèques et aussi aux seigneurs de Montpellier; mais, à notre avis, surtout aux relations continuelles qui existèrent entre cette Église et celle de

Rome.

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Innocent III écrit aur consuls de Montpellier et les engage à combattre les hérétiques.

Gloriantes hactenus in malitia, et in sua iniquitate potentes destruere tandem incipiens, manus Dei miraculose jam fecit eos de suis tabernaculis

BULLAIRE DE L'ÉGLISE DE MAGUELONE. - T. I.

emigrare, dum, eo terram populi sui misericorditer emundante, pestis hæreticæ pravitatis, quæ, serpens ut cancer, Provinciam pene totam infecerat, mortificata depellitur, captisque in potentissima manu sua numerosis castris et civitatibus, quas per possessos a se diabolus habitabat, in locis expulsorum hæreticorum Spiritui Paracleto, per repletos ab ipso, sanctum habitaculum præparatur. Super quo laudes et gratias Omnipotenti referimus, quod, in una eademque misericordiæ suæ causa, duo dignatus est justitiæ opera exercere, ita perfidis faciendo dignam supervenire perniciem, ut quam multi fideles meritam assequerentur ex ipsorum exterminatione mercedem, cum, etsi eos, in solo spiritu oris sui, potuisset quandocumque conterere, suorum tamen exercitui signatorum in illorum contritione dignatus sit salutis causam, imo salvationis occasionem præbere quo nuper sub nostrorum magisterio legatorum de ipsis mirabiliter triumphante, dilectus filius nobilis vir, Simon de Monteforti, vir utique strenuus et catholicus, terris a quibus illi depulsi sunt, provida est deliberatione præfectus, ut per prudentiam ejus, in his quæ gesta sunt vel gerenda, negotium pacis et fidei possit ibidem efficacius promoveri.

Quia igitur, etsi tante pietatis initia prospere hucusque processerint, fine tamen non sunt adhuc necessario solidata, universitatem vestram rogandam duximus et monendam, in remissionem vobis peccaminum injungentes, quatenus ad reliquias hujus pestis penitus exstirpandas, cum ad similitudinem hydræ, quæ locupletior fertur fieri damno capitum, gravius possent, si neglecta fuerint, reviviscere, tam per vos quam per vestra obsequium Deo devotum et auxilium opportunum Ecclesiæ impendatis, scientes remissionem peccaminum a Deo ejusque vicario universis indultam, qui, orthodoxæ fidei zelo succensi, se ad opus accinxerint hujusmodi pietatis, ut eis labor tam sanctus ad operis satisfactionem sufficiat super illis offensis, pro quibus cordis contritionem et oris confessionem veram obtulerint vero Deo.

Quapropter expergiscimini, boni filii, et ad palmam hujus gloriosi certaminis festinate, piaque pœnitentia ducti quod tam secundis ejus principiis neglexeritis interesse, felicissimo fini vestram studeatis et operam et præsentiam exhibere; quia, cum evangelicus retributor illis æqualiter retribuerit qui novissime venerunt in vineam, et qui primo, licet hi qui

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